Le 20 décembre 1973, en plein coeur de Madrid, une bombe de ETA expédiait ad patres le premier ministre espagnol Luis Carrero Blanco, propulsant sa voiture à plus de vingt mètres dans les airs. Retour ici sur cet évènement présenté par certains comme « la première mort » du dictateur Franco.
Un demi-siècle s’est écoulé depuis la mort de Luis Carrero Blanco le 20 décembre 1973. Mort non pas dans son lit comme ce fut le cas de son idole, le général Franco, deux ans plus tard. Mais victime d’une mort violente, alors qu’il se rendait comme chaque jour, de son domicile à l’église où il assistait à la messe, avant de retrouver ses activités de numéro 2 à la tête de l’Etat, accompagné de son secrétaire et de son garde du corps.
Il avait vu le jour à Santoña, dans cette région de Galice, d’où le général Franco lui-même était originaire. La mort de l’Amiral ? D’une violence extrême puisque sa Dodge-Dart fut la proie d’une bombe dont l’explosion la propulsa dans les airs jusqu’à plus de 20 mètres, dans l’une des rues de Madrid qu’il empruntait chaque jour.
Avait-il même un jour pensé que lui, personnage clef de l’édifice franquiste forgé par le dictateur, pouvait être victime d’une bombe posée par ETA ? On peut aller jusqu’à en douter. Sinon on aurait pu supposer que l’homme avait pris des dispositions plus draconiennes afin de se préserver. Se croyait-il invincible lui, l’homme lige du Caudillo ? Excès de confiance en soi, en son escorte et en ce régime dont il se voulait l’un des piliers ? Il fut d’ailleurs sous-secrétaire de la présidence du général Franco dès 1941, considéré comme le plus franquiste des franquistes, soit le généralissime lui-même.
Une bombe sur sa route
Reste qu’une bombe puissante eut raison de lui, posée par un commando d’ETA qui n’hésita pas à intervenir en plein Madrid. Elle fit trois morts, le chauffeur, le garde du corps et l’amiral lui-même. Sa mort violente recouverte au fil du temps d’une sorte de voile de silence, provoqua un émoi considérable dans une Espagne loin de se douter de ce qui l’attendait lors des décennies suivantes. Des centaines d’attentats, des milliers de prisonniers, des milliers de blessés, plus d’un millier de morts, sans compter les victimes des attentats perpétrés par les commandos du GAL (Groupe antiterroriste de libération) qui prirent fait et cause contre ETA, contre les milieux favorables à ETA et contre l’ensemble de la gauche indépendantiste qui défendait la violence.
Plusieurs décennies de violence allaient donc suivre jusqu’à l’ultime cessez-le-feu permanent d’ETA annoncé en 2011, peu après la conférence internationale de paix, tenue le 17 octobre 2011 à Saint-Sébastien. Elle s’était déroulée dans l’ancienne résidence d’été du général Franco lui-même, en ce palais d’Aiete où le chef de l’Etat et son épouse Carmen passaient plusieurs semaines de vacances chaque été, avec messe quotidienne dans la chapelle de la demeure. On retrouva d’ailleurs dans les placards de l’un des greniers, les habits religieux qu’endossaient les prêtres lors des cérémonies. De véritables reliques oubliées dans les tiroirs ! Quel raccourci lourd de sens !
Un passé proche et lointain
Le temps n’a pas vraiment effacé les crimes du franquisme, que ce soit ceux de l’Amiral Carrero Blanco et ceux du Caudillo lui-même. Ils n’ont pas été jugés et ne le seront jamais. L’amnistie de 1977 a signé une sorte de « perte de mémoire » qui a relégué bien des crimes aux oubliettes de l’Histoire.
Le temps n’a pas vraiment effacé les crimes du franquisme,
que ce soit ceux de l’Amiral Carrero Blanco
et ceux du Caudillo lui-même.
Ils n’ont pas été jugés pour autant
et ne le seront jamais.
Un demi-siècle après l’opération Ogro (du nom de l’attentat dont l’Amiral Carrero Blanco fut la cible et dont l’auteur Eva Forest fit un récit, édité dans une version française), l’Espagne est passée à autre chose. La dictature est loin derrière. Elle fut suivie d’une période de transition dite démocratique (la Transición democrática). L’amiral qui fut l’un des piliers de l’après-guerre civile et du franquisme triomphant est désormais une figure d’un passé à la fois proche et lointain, absolument révolu pour la plupart des Espagnols. Et très certainement un inconnu total aux yeux des plus jeunes générations.
« Operacion Ogro. Hechos y construcción del mito » Inaki Egaña vient de consacrer un petit fascicule (“Faits et construction du mythe”) à l’assassinat de l’Amiral Carrero Blanco survenu en novembre 1973 il y a 50 ans, dans une Espagne corsetée qui aspirait à des temps nouveaux. L’évènement finit d’ébranler la dictature d’un généralissime Franco finissant. L’amiral ne mourut pas dans son lit mais sous le coup d’un attentat orchestré par le Commando Txikia. Iñaki Egaña évoque la façon dont ce spectaculaire assassinat se transforma en véritable mythe. Il le souligne, en ces termes : « L’amiral Carrero Blanco n’avait rien d’un dignitaire quelconque, il incarnait l’essence du régime lui-même ». Réédition du livre Opération Ogro (en français, éditions Tumult) d’Eva Forest. [email protected] Adresse du site: https://tumult.noblogs.org/category/livres-en-francais/
A écouter, sur le podcast de Rendez-vous avec X, l’émission : ETA une paix définitive? Numéro 2
A mon humble avis cela n’enlève rien au mérite de ceux qui ont débarrassé l’Espagne du probable successeur de Franco, mais M.X, très souvent bien informé, affirme que le commando était repéré et surveillé par une branche des services secrets espagnols qui AURAIT laissé l’attentat se dérouler dans le cadre d’une guerre de succession du dictateur moribond.
L’histoire n’est jamais simple on le voit avec l’interview récente de Tejero le putschiste de 81 qui affirme que Juan Carlos, le « sauveur de la démocratie », était au courant de ses projets.