Les quadras montent à l’assaut

Imanol Pradales, candidat PNV à la magistrature suprême et Peio Otxandiano candiadat EH Bildu.


Les partis politiques présentent de nouveaux candidats aux élections du parlement de Gasteiz qui choisira le futur Lehendakari en mars-avril prochain. Nous sommes à la veille d’un grand changement de génération dans le personnel politique de notre pays.

La vieille garde passe le relais. Trois quadragénaires peu connus du public seront les porte-drapeaux du PNV, d’EH Bildu et du PSOE aux prochaines élections régionales de 2024. Seul, le PP présentera Javier Andrés issu de la vieille garde. Podemos n’a pas encore désigné son ou sa champion.ne, tant il est miné par des tensions internes à l’échelon étatique avec l’émergence de Sumar, un parti rival qui prend le dessus.

Pour présenter un candidat au poste de Lehendakari, à tout seigneur tout honneur, c’est le Parti nationaliste basque qui ouvre le bal. Une fuite dans les médias a précipité les choses. Elle oblige le patron du parti Andoni Ortuzar à annoncer le 24 novembre la décision prise par la direction – l’Euskadi buru batzar – d’écarter le président en exercice. Après trois mandats successifs, le président Iñigo Urkullu (62 ans) ne se représentera pas en mars ou avril prochain, la date des prochaines élections régionales n’étant pas encore fixée.

Andoni Ortuzar président du PNV, Imanol Pradalés candidat au poste de Lehendakari et Iñigo Urkullu, Lehendakari actuel.

Les raisons sont à rechercher du côté des résultats électoraux marqués par une érosion considérable depuis deux scrutins, du constat du vieillissement de son électorat, des difficultés à contrer la montée en puissance de son rival EH Bildu, des conflits sociaux à répétition et qui s’éternisent faute de solution, dans le secteur public basque — police autonome Ertzaintza et service de santé Osakidetza —. S’ajoutent à cela les questions non résolues du sur-tourisme et les prix de locations qui s’envolent en Gipuzkoa, la sécurité à Bilbo et enfin les transferts de compétences qui peinent à se concrétiser. Le dossier De Miguel, un scandale de corruption sur les marchés publics alavais où plusieurs dirigeants et cadres du PNV – tous exclus – ont été condamnés, a laissé des traces. La perspective de devoir de plus en plus faire appel au PSOE et éventuellement à un autre parti pour faire passer ses projets de loi, limite sa marge de manoeuvre.

Le PNV relève le gant et fait tapis

Il y a péril en la demeure, alors le vieux parti décide de prendre le taureau par les cornes. Il prolonge un mouvement déjà entamé lors des élections de juillet, en écartant la génération des années 2000 très masculine. Elle ne postulera pas au sein du futur gouvernement autonome où la plupart des titulaires de portefeuilles ministériels ne rempileront pas, le vice-président et ex-porte parole Josu Erkoreka en tête. Globalement, il s’agit d’un large coup de balai. Une purge, diront ses détracteurs, qui persistent à dire que le PNV est le dernier parti léniniste d’Europe. Face à la décision qui l’écarte, Iñigo Urkullu, en bon militant discipliné, ne bronche pas d’un cil, seul apparaît son sourire un peu crispé… Le changement de génération affecte dans chaque province les listes des candidats PNV qui aspirent à être députés au parlement de Gasteiz. En Gipuzkoa, le vétéran Joseba Egibar annonce son retrait et la moitié des candidats sont des nouveaux venus. Même phénomène en Araba où deux caciques brillent par leur absence. Sur les 17 candidats biscayens, sept se présentent pour la première fois à ce scrutin. C’est le grand chambardement. Il sera entériné par l’assemblée nationale extraordinaire du parti, le 27 janvier prochain. De son côté, Andoni Ortuzar, grand chef d’orchestre de ce cyclone, ne cache pas que l’essentiel de sa carrière politique est désormais derrière lui. Il devrait en principe quitter la direction l’été prochain. Les instances internes du parti seront renouvelées d’ici 2025.

La nature et la politique ont horreur du vide, alors dès le 25 novembre, le PNV sort de son chapeau le brillant quadragénaire Imanol Pradales, un cador qui coche toutes les cases pour occuper le fauteuil de Lehendakari. Il est né il y a 48 ans dans une famille modeste de Santurtzi, sur la rive gauche du Nerviòn. Sa mère coiffeuse et son père, d’abord petit entrepreneur puis simple ouvrier polyvalent, ont subi la crise des années 70, ils ont enduré autant le chômage que les travaux les plus divers. Leur fils, dernier d’une fratrie de quatre enfants, est bardé de diplômes, avec entre autres un doctorat en Sciences politiques et sociologie. Professeur à l’université de Deusto, à partir de 2007 il s’engage en politique et intègre le saint des saints du PNV, la députation forale de Biscaye. Il y lancera l’organisme Bizkaia Talent chargé d’attirer les jeunes diplômés qui parfois ont quitté le pays. Iñigo Urkullu le chargera ensuite d’animer un Think tank pour réfléchir à la modernisation du PNV. L’été dernier, la nouvelle députée générale de Biscaye Elisabeth Echanove lui confie le poste de député foral en charge des infrastructures et du développement territorial, ce qui conforte son image un peu négative de technocrate lié aux milieux économiques biscayens.

Imanol Pradalés, candidat PNV à la magistrature suprême.

Père d’une petite fille, l’anecdote retiendra qu’Imanol Pradales eut pour professeur de basque à l‘ikastola… Iñigo Urkullu en personne. Son grand-père fut gudari en 1936 et son père milita au PNV clandestin, puis adhéra au parti dès 1976. Le jeune Imanol put entreprendre des études universitaires grâce à l’aide de son grand-père qui, sur le tard, obtint du gouvernement socialiste espagnol une indemnité attribuée aux vaincus de la guerre civile. A 20 ans, il fait partie de l’équipe de trainières de sa ville. Pour couronner le tout, il est beau comme une gravure de mode. Comme chacun sait, cela compte en politique. Il s’affiche désormais aux côtés du Lehendakari et d’Andoni Ortuzar, tout sourires. Sans nul doute, les batzoki du PNV qui seront consultés d’ici le 20 janvier, l’adouberont. Hier quasi inconnu dans la Communauté autonome, Imanol Pradales parviendra-t-il à percer et à redresser la barre ? Gageons qu’il aura à coeur de relever ce défi.

EH Bildu, vent en poupe

Alors que le PNV met en scène la présentation de son poulain, EH Bildu lance le sien. Arnaldo Otegi (65 ans) annonce le 27 novembre qu’il ne postulera pas au poste de président de la CAV, mais demeurera à la tête du parti. Une formule bicéphale, avec d’un côté la mise en orbite d’un jeune chargé d’élargir l’audience du souverainisme et de l’autre, l’historique Otegi dans le rôle du gardien du temple. Il sera candidat à sa réélection lors du congrès prévu en septembre 2024(1). Il aura pour tâche de garantir la cohésion du parti qui, sous sa houlette, a effectué ces dernières années une mutation sans précédent. Elle a suscité des turbulences et même quelques fractures du côté de la vieille garde et de la jeunesse.

Le 4 décembre, le bureau politique d’EH Bildu annonce qu’il soumettra au vote de ses militants Pello Otxandiano. Né dans le village montagnard d’Otxandio en Biscaye il y a 40 ans, le jeune Pello vient d’une famille impliquée dans la vie municipale, son oncle est une des chevilles ouvrières de la Korrika. En 2011, le jeune abertzale est déjà conseiller municipal. Son pedigree est impressionnant : depuis 2012, docteur en ingénierie des télécommunications à l’Université d’Arrasate et au Chalmers University of Technology de Göteborg en Suède, Pello Otxandiano devient le cerveau du programme politique d’EH Bildu et de sa stratégie de conquête du pouvoir. Elle se caractérise par les « pactes d’Etat », la priorité donnée à l’éducation et à la formation, la politique énergétique et la recherche d’un nouveau modèle basque en matière d’entreprises, en facilitant l’entrée des capitaux publics dans plusieurs secteurs et en favorisant les petites et moyennes entreprises. En 2022, il est à l’origine d’un document programmatique important, Ongizate hitzarmena, ou pacte social qui organise en cinq chapitres les mesures à prendre pour un meilleur bien-être des habitants de ce pays et une plus juste répartition de ses richesses. Il s’agit de la définition d’un projet de société pour étayer la confrontation démocratique avec l’État. Un des livres de chevet du jeune dirigeant est l’ouvrage de l’économiste nobélisable Mariana Mazzucato L’État entrepreneur (https://fr.wikipedia.org/wiki/Mariana_Mazzucato) qui a inspiré le programme du leader de gauche nord-américain Bernie Sanders. Une nouvelle culture politique au sein de la gauche abertzale dont les sources d’inspiration s’éloignent quelque peu de l’Amérique du Sud et s’orientent davantage vers l’Europe du Nord, leurs caractéristiques socio-économiques et leurs politiques publiques. Scientifique de formation, on le dit intéressé par les nouvelles technologies qui souvent effraient : intelligence artificielle et blockchain qui pourraient contribuer aux changements sociaux et à la justice économique, « science sans conscience n’est que ruine de l’âme »…

Le massacre de juillet 36 à Otxandio

Pello Otxandiano, père de deux filles, ne cache pas son malaise devant l’individualisme qui progresse en particulier dans la jeunesse basque, résultat des excès d’un libéralisme dévastateur. Désireux de socialiser ses propositions, de convaincre et d’élargir la base sociale de son mouvement, il veut construire des ponts. Considéré comme un radical empreint de pragmatisme, il est issu du noyau dur de Sortu dont il a assuré la refondation à partir de 2016. Certains l’ont alors appelé « l’éminence grise de la gauche abertzale », son « architecte » tirant les ficelles depuis la salle des machines, et ils ont critiqué son « discours technique ». Le parcours du jeune leader est bien différent de celui des dirigeants actuels qui ne cachent pas leurs engagements anciens à ETA, ont été incarcérés, alors que d’autres proviennent d’Alternatiba, d’Ezker Batua-Verts, d’Aralar, d’EA ou sont des personnalités indépendantes.

Pello Otxandiano au palais Euskalduna à Bilbao le 17 décembre, le candidat aux côtés d’Arnaldo Otegi
et de Maddalen Iriarte

Sur le plan biographique, un fait : l’arrière grand-père de Pello Otxandiano et les deux frères de sa grand-mère maternelle sont morts sous les bombes des deux avions franquistes qui, en rase mottes, attaquèrent leur village natal d’Otxandio, le 22 juillet 1936. Bilan : 61 victimes civiles. Comme un avant-goût, près d’un an avant le massacre de Gernika par la Légion Condor de l’aviation nazie. Drame fondateur dans l’engagement actuel de leur descendant. L’image du président J. A. Agirre trônera longtemps dans le logement de l’amatxi de Pello Otxandiano. Aujourd’hui, il n’est pas le seul à être poussé par sa formation sur le devant de la scène, les noms de deux autres militants seront prochainement annoncés pour être porte-parole du parti au parlement de Gasteiz et candidat. e au perchoir. Des équipes étoffées les entourent, elles n’ont pas oublié les difficultés de 2011 où, minoritaire et manquant de cadres et de techniciens à la hauteur, EH Bildu a peiné à diriger Donostia et la députation de Gipuzkoa. Aujourd’hui, la nouvelle génération est autrement mieux formée et pas seulement dans la culture d’opposition ou sur le plan idéologique. Le phénomène est nouveau et va s’amplifier. « Quand je dis à mes interlocuteurs : ‘Pello Otxandiano, docteur en ingénierie des télécommunications de l’Université de Göteborg’, cela impressionne, ils ne s’y attendent pas », dit en riant Arnaldo Otegi avec un brin de fierté. Et quand on lui demande pourquoi il ne postule pas au poste de Lehendakari, Otegi répond : « C’est très simple… parce que Pello est meilleur que moi ! »

C’est dire l’importance qu’EH Bildu accorde au scrutin de 2024. S’ouvrira alors un débat majeur portant sur le modèle territorial de l’État espagnol dont la crise s’est aggravée avec l’affaire catalane, dans un contexte inédit, celui de la dépendance du gouvernement central à l’égard des nations périphériques. Une opportunité historique est à saisir, il conviendra de ne pas la rater.

Candidat du PSOE

Le socialiste Eneko Andueza (44 ans) a annoncé le 3 décembre sa candidature au poste de Lehendakari. Seuls, deux de ses prédécesseurs sont parvenus à ce poste : Ramón Rubial, président du conseil général basque pré-autonomique en 1977, et Patxi Lopez élu trois ans en 2009, grâce à l’interdiction des souverainistes et à un soutien contre nature du PP. Aux élections de juillet, le PSOE a progressé dans la Communauté autonome et Andueza clame à qui veut l’entendre qu’il est hors de question que son parti construise une « majorité de progrès » avec EH Bildu pour gouverner le pays. La signature d’un accord le 13 décembre entre EH Bildu, PSOE, Gero bai et Zurekin, dans le but de donner aux souverainistes basques le poste de maire de la capitale navarraise, constitue pour le candidat socialiste un désavoeu cinglant.

Sondages

Le dernier a été réalisé par le cabinet de prospection sociologique du gouvernement basque entre le 21 et le 24 novembre, donc antérieur au grand chambardement en cours. Comme prévu depuis les élections législatives de juillet, l’écart entre le PNV et EH Bildu se rétrécirait. Le premier perd deux députés (29) et le second en gagne quatre pour un total de 25. En 2020, un écart de 10 sièges les séparait, il se réduirait aujourd’hui à quatre. Les socialistes obtiennent 11 sièges, soit un de plus qu’hier. Le PP en l’absence de Ciudadanos progresserait de deux élus et totalise sept sièges. Vox qui avait un seul député disparaît. Le perdant de ces élections sera Elkarrekin Podemos qui, avec seulement trois élus, voit sa représentation diminuer de moitié. Son érosion est assez généralisée dans toute la Péninsule, sa scission-restructuration avec l’émergence de Sumar contribue à l’affaiblir et on ignore pour le moment sous quelle étiquette ce courant se présentera dans les trois provinces.

La grande question au regard des résultats de ce sondage est celle des alliances pos-électorales. L’addition PNV-PSOE qui dirige le pays totaliserait 40 sièges. La majorité absolue étant à 38, un petit mouvement de voix dans ce scrutin de listes à la proportionnelle risque d’avoir de lourdes conséquences. Les prochains sondages début 2024 sont attendus avec impatience, ils devraient indiquer les effets issus de l’émergence d’une nouvelle génération dans la vie politique basque.

(1) Arnaldo Otegi est toujours sous le coup d’une privation de ses droits civils et politiques qui doit être annulée ou prolongée par le Tribunal Constitutionnel, bien que la Cour européenne des droits de l’homme ait considéré que les tribunaux espagnols avaient manqué d’impartialité en la matière. Ce dossier appelé Bateragune pour lequel Arnaldo Otegi a subi six ans et demi de prison jusqu’en 2016 où sa candidature fut interdite, porte sur la tentative de reconstitution d’un parti souverainiste après l’interdiction de Batasuna et ses succédanés.

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