Spéculation, fiscalité, artificialisation des terres agricoles, rôle des collectivités locales et de la SAFER, carences ou effets inattendus des lois et règlements, le directeur de l’EPFL (Établissement public foncier local Pays Basque) Arnaud Portier, au plus près des réalités du terrain, aborde ces questions sans complaisance ni langue de bois. Face à des situations complexes ou des évolutions apparemment inéluctables, il pointe les solutions nécessaires. Voici la retranscription de son intervention aux Entretiens 2023 d’Inxauzeta qui réunit chaque été à Bunus les principaux acteurs de l’habitat — élus locaux et nationaux, acteurs sociaux, professionnels du logement, partenaires sociaux, universitaires — pour débattre et faire des propositions.
Il m’a été demandé de vous faire un retour en tant qu’opérateur foncier public de la problématique du ZAN (Zéro artificialisation nette), des inquiétudes et des analyses qu’elle suscite et des propositions qui pourraient être faites pour favoriser des évolutions.
Nous faisons tous un constat en matière d’interventions foncières, nous avons l’impression de mettre des rustines à droite et à gauche sur une bouée qui est en train de fuir de partout. Lorsque l’on a mis une rustine à un endroit, ça lâche de l’autre côté, nous sommes constamment dans cette course. J’en veux pour preuve une série de démarches engagées qui se sont conclues finalement par ceci : le prix du foncier ne fait que continuer à augmenter. Je me souviens qu’il y a quelques années, on disait, c’est formidable, nous aurons enfin des collectivités qui instaureront des pourcentages obligatoires de logements sociaux et dans les opérations, cela fera baisser le prix du foncier. Or, nous constatons que le prix du foncier a été multiplié par trois, l’effet escompté n’a pas eu lieu. Avec la mise à la TVA de leurs terrains constructibles, les vendeurs n’ont pas réduit de 20% le prix des terrains, mais les acheteurs ont payé 20% plus cher, et cela s’est reporté sur le prix final des logements. Actuellement, dans les opérations d’aménagement et de construction de logements, le foncier représente quelquefois 30 à 50% du coût de la réalisation.
La valeur du foncier
D’où la nécessité de s’interroger : comment travailler sur la valeur de ce foncier ? Quand on voit au quotidien sur le territoire du Pays Basque les mises en vente de biens et l’évolution de leurs prix, que ce soient des terrains nus ou des maisons inhabitables mais qui vont générer des constructions ultérieures, on se demande comment ensuite l’opération sera possible. En tant qu’opérateur foncier public, nous pensons qu’aucune opération n’est faisable sans une participation et un financement public conséquent. Nous nous sommes tous jetés sur le Fonds friche(1) qui a eu un succès phénoménal. On nous en aurait donné dix fois plus, nous les aurions pris.
Je le dis depuis des années, dans cette chaîne d’acteurs de la réalisation et du développement, on s’est toujours posé la question des règles à l’intention des constructeurs privés : comment encadrer les opérateurs sociaux, comment réglementer les problématiques d’aménagement. Jamais personne n’a demandé à un acteur majeur – le propriétaire du foncier – de faire des efforts. On ne s’est jamais demandé s’il était pour quelque chose dans la dégradation de la situation. Il n’a jamais fait le moindre effort et a continué à encaisser. Tous les autres acteurs ont dû continuer à faire des efforts et à venir équilibrer les choses. Chaque fois que nous avons évoqué ces questions, on nous a toujours répondu : droit de propriété, droit constitutionnel, il est impossible d’y toucher.
Actuellement, dans les opérations d’aménagement et de construction de logements, le foncier représente quelquefois 30 à 50% du coût de la réalisation.
Je suis allé regarder la jurisprudence du Conseil constitutionnel, elle fonde le droit de propriété sur la déclaration des droits de l’homme de 1789, citée dans le préambule de notre Constitution, qui dit ceci en son article 17 : «La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment et sous la condition d’une juste et préalable indemnité »(2). A aucun moment, quand un propriétaire voit son terrain déclassé de U à A dans un document d’urbanisme, il y a atteinte à son droit de propriété. Il n’y a gagné moins d’argent quand il a vendu son terrain. Mais où son droit de propriété a-t-il été violé ? Je ne vois pas. En quoi l’encadrement éventuel du prix de vente modifie-t-il le droit de propriété du propriétaire ? Une note rédigée par le Conseil constitutionnel rappelle que l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme dit ceci : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Finalement, certains vendent du foncier très cher. Cette spéculation sur le foncier empêche- t-elle des gens de se loger ? Est-ce qu’on n’est pas en train de nuire à autrui ? On peut s’interroger.
Il s’agit d’une réalité que nous constatons en tant qu’opérateur public foncier. Nous sommes convaincus de l’intérêt de la mise en oeuvre d’une réflexion et de travailler sur l’économie du foncier, sur la protection du foncier agricole et du terrain naturel, de refaire la ville sur la ville, de retraiter les friches, de travailler sur la densité… Cela fait des années que les EPF accompagnent les collectivités, les encouragent dans cette démarche. Le foncier est cher, essayons de l’utiliser le mieux possible. Faire de l’étalement urbain, c’est générer de la route, des tuyaux d’assainissement. Tout cela a un coût pour la collectivité et doit être pris en considération dans une réflexion intelligente du développement local. Il est préférable de travailler sur de la densification et une utilisation raisonnée du foncier. Pour autant, la mise en oeuvre du ZAN (Zéro artificialisation nette) suscite des inquiétudes.
Communes avec 90 hectares à urbaniser
Nous travaillons sur des documents d’urbanisme mis en place par les collectivités puis validés par les services de l’État. Ce n’est pas un simple « truc » que le maire a fait dans un coin de sa cuisine puis mis sur la table. C’est quelque chose de très complet. Ceux qui font des documents d’urbanisme connaissent la difficulté pour aboutir. Il y a quelques années, l’EPFL Pays Basque et la culture de l’aménagement et du développement local disaient : anticipons, faisons des stocks fonciers, de la réserve foncière. De façon à permettre aux collectivités de saisir des opportunités, d’être en capacité de développer leurs projets urbains et non pas d’être là, le lundi matin, à attendre que le propriétaire veuille bien vendre pour pouvoir réaliser l’école, l’équipement public ou les logements sociaux nécessaires.
La mise en oeuvre du Zéro artificialisation nette (ZAN) va amener à limiter, voire à supprimer la possibilité de construire sur des terrains nus, donc nécessiter de travailler sur du bâti ou de la friche. Mais toutes ces opérations sont déficitaires.
En se disant aussi qu’avec cette anticipation, le foncier acheté en 2010 aurait un coût inférieur à celui de 2020, du fait de l’évolution des prix du marché. Cela permettrait de faire des choses plus simplement et de façon économique en s’appuyant sur les documents d’urbanisme. Il s’est agi de sensibiliser les collectivités du territoire à leurs disponibilités foncières et d’analyser cette situation. Ce travail a débouché sur un constat simple : ici, en Pays Basque, nous avons des documents d’urbanisme très ouverts, très permissifs en matière de développement, par rapport aux besoins réels définis par le territoire. Cela veut dire que dans certaines communes, vous avez 90 hectares, je dis bien 90 hectares, de foncier ouvert à l’urbanisation et donc qui, potentiellement, peuvent permettre la mise en oeuvre de projets. En travaillant avec l’Agence d’urbanisme des Pyrénées-Atlantiques, nous avons alors analysé que pour le développement de la commune à l’horizon 2030, il en fallait cinq fois moins. La question qui se posait fut alors de savoir comment la collectivité va pouvoir maîtriser les choses, qui va pouvoir empêcher le propriétaire de vendre à un opérateur qui aurait des projets. Cette future opération dans le cadre du dépôt d’une demande d’aménagement ou d’urbanisme, aurait été difficilement refusable par la collectivité, puisqu’elle respectait les règles du PLU. Comment allions- nous parvenir à régler cette question ?
Changement nécessaire de destination
Nous avons ainsi été amenés à constituer pas mal de stock foncier, en demandant aux collectivités : où sont vos secteurs de réflexion, où souhaitez-vous demain faire du développement ? Aujourd’hui, avec la mise en oeuvre du Zéro artificialisation nette, nous sommes à l’horizon 2030 et avec une réduction prévue de 50%. Nous avons fait un petit calcul, en collaboration avec les services de la CAPB qui travaille sur la mise en oeuvre des PLUi pour intégrer l’objectif du ZAN et donc, défini les terrains qui demain seront constructibles et ceux qui ne le seront plus. Et là, le constat est terrible. L’EPFL représente aujourd’hui environ 123 millions d’euros de stock foncier : sur 40% du total, il y a potentiellement 50% de la surface qui peut changer de destination. Les autres EPF en France sont eux aussi confrontés à cette même problématique. Nous avons alors interrogé le ministère : comment pouvons- nous agir ? Comment anticiper ? Il nous a fait la réponse suivante : assurez-vous que dans les conventions de portage mises en place avec les collectivités, vous soyez sûrs de bien être payés par la collectivité. Je ne vous cache pas que ce n’est pas tout à fait la réponse que nous attendions… Aujourd’hui, nous sommes dans cette situation avec une inquiétude : que va-t-il se passer sur ces fonciers maîtrisés dans les zones 2AU(3) par exemple ? Ce sont souvent d’anciennes parcelles agricoles d’un à trois hectares, elles ont été acquises en 2AU — à l’époque, à hauteur de 10, 15, 20 euros le m2 — certes très loin des prix actuels. Mais, lorsque ces parcelles reviendront au prix du terrain agricole qui est de 80 centimes, qui va assumer le différentiel ? Ce sont les EPFL ? Je pense que nous mettrons alors la clef sous la porte, parce que nous n’aurons pas les moyens d’assumer.
Le maire tombe de sa chaise
Deuxième interrogation : nous travaillons avec des documents d’urbanisme. Les acteurs de la construction travaillent eux aussi avec ces documents et ils proposent des réalisations là où le terrain est constructible. Nous avons ainsi en Pays Basque des cas d’école. Par exemple, un propriétaire a rencontré un opérateur prêt à lui faire une offre d’acquisition sur un terrain de quatre hectares. Nous sommes dans une petite commune basque de moins de 500 habitants où l’opérateur envisage de créer 80 logements. Quand le maire a reçu le propriétaire et l’opérateur, il est tombé de sa chaise. Je travaille sur la restructuration, la réhabilitation du centre bourg, a-t-il dit, j’ai demandé à l’EPFL d’acheter des biens bâtis pour recréer des logements dans du bâti existant, de recréer des commerces en rez-de-chaussée. Cette parcelle est assez éloignée du centre bourg, votre projet ne va pas dans le sens de la démarche lancée par la commune. L’opérateur lui répond : je suis en droit de déposer le permis de construire puisque les règles du PLU me le permettent. Que fait-on ? On nous répond : l’EPFL n’a qu’à préempter !
On se rend bien compte ainsi que dans toutes les démarches mises en oeuvre, nous sommes à chaque fois confrontés au droit de propriété, avec la capacité pour le propriétaire de valoriser son bien.
Bien sûr, l’EPFL peut préempter, sauf qu’à cet endroit dans cette commune, nous sommes à des valeurs qui sont de l’ordre d’une quarantaine d’euros le m². La volonté du maire est que demain, ce terrain redevienne terre agricole. Nous allons donc acheter à 40 euros un terrain qui dans quelques années vaudra 80 centimes le m². Qui paye la différence ? Que fait-on si cette vente intervient effectivement, ces quatre hectares viendront en déduction des potentiels de consommation à venir ? Nous espérons qu’il y aura un sursis à statuer parce que nous sommes dans l’attente de l’approbation des PLUi qui définiront les nouvelles règles de construction pour décider si la constructibilité sera possible ou pas.
Terrains pollués, qui paie ?
La mise en oeuvre du Zéro artificialisation nette (ZAN) va amener à limiter, voire à supprimer la possibilité de construire sur des terrains nus, donc nécessiter de travailler sur du bâti ou de la friche. Mais toutes ces opérations sont déficitaires. Dans notre démarche, il faut trouver un juste équilibre. Pourquoi sont-elles déficitaires ? Parce que l’on n’impacte jamais le propriétaire privé, le vendeur. Voici un exemple récent : nous achetons une friche industrielle d’une superficie de huit hectares, elle est polluée du fait d’une activité industrielle importante. Une partie seulement de la pollution est connue, parce que seulement un minimum d’analyses ont été possibles. Nous sommes intervenus sur une transaction entre le propriétaire et les acquéreurs potentiels, elle situe le prix à deux millions d’euros. Nous savons pertinemment que demain, lorsque la CAPB voudra dépolluer ce foncier pour y produire du développement économique, la dépollution coûtera beaucoup plus cher que deux millions d’euros. Nous avons donc indemnisé un propriétaire vendeur, alors que s’il devait financer la dépollution, cela lui coûterait de l’argent. Nous aurions pu aller devant le juge de l’expropriation pour une fixation judiciaire du prix de ce bien. Dans ce cas, le juge retient la valeur du prix du foncier, comme s’il n’était pas pollué et il affecte un abattement de l’ordre de 20 à 30%. Me Levy, un expert reconnu sur ces problématiques de terrains pollués et d’interventions en acquisition, nous l’a indiqué. Le propriétaire touchera ainsi environ 70% de la valeur du foncier et finalement l’acquéreur fera avec les 20/30% pour financer la dépollution. Donc cette opération sera largement déficitaire pour la collectivité. Y arriverons-nous ? Est-ce possible ? Nous savons bien que les collectivités ont des difficultés à trouver des financements. L’autre situation que nous vivons sur notre territoire est le recul du trait de côte. Avec toutes ces villas les pieds dans l’eau — sans jeu de mot, elles le seront bientôt — qui se vendent à plusieurs millions d’euros, les transactions se font à des prix incroyables. Il y a quelques années, les gens n’étaient pas forcément conscients que demain le bien acheté aurait potentiellement le risque de finir dans l’océan. Aujourd’hui, ils sont forcément informés de la situation, toute une organisation a été mise en place pour cela. Mais, cela n’empêche pas des acquéreurs d’acheter à des prix exorbitants. Dans la loi récemment mise en oeuvre, on a essayé de bricoler : si la collectivité prend les devants en achetant le bien qui n’aura plus tard aucune valeur puisqu’il finira dans la mer, donc elle n’en retirera rien… Plus la collectivité intervient en amont, moins l’abattement sur la valeur du bien est important. Nous avons fait l’analyse du système et nous donnons aux communes un conseil : achetez la maison le lendemain de sa chute dans l’océan. N’allez pas l’acheter avant, parce que cela va vous coûter très cher.
Prix de revient du logement social
On se rend bien compte ainsi que dans toutes les démarches mises en oeuvre, nous sommes à chaque fois confrontés au droit de propriété, avec la capacité pour le propriétaire de valoriser son bien. Voici un autre exemple. Pourquoi a-t-on pris autant de temps pour promulguer la réglementation sur l’emplacement réservé en faveur de la mixité sociale ? Dans le cadre du PLU, une commune mène une réflexion et détermine cet emplacement réservé dans un endroit donné, là où il lui paraît utile de monter une opération 100% de logement social. Le propriétaire est alors en droit de mettre en demeure la commune d’acheter le foncier. La commune fait une offre au propriétaire. S’il la refuse, il peut saisir le juge de l’expropriation pour demander la fixation judiciaire du prix. Si la collectivité tient à la mise en oeuvre de ce projet, elle va aller au bout de la procédure. Si elle l’abandonne, elle doit retirer l’emplacement réservé aux logements sociaux. Or, le code de l’expropriation prévoit expressément que le juge, pour fixer la valeur du bien, ne doit pas tenir compte de la notion d’emplacement réservé. Donc, la collectivité va payer un terrain sur lequel la règle d’urbanisme prévoit de faire des logements sociaux. Quand on sait que 30 à 50% du prix des logements correspondent à la valeur du foncier, je vous laisse imaginer le chèque à signer par la collectivité pour équilibrer l’opération. Donc, finalement, on se demande à quoi ça sert.
La SAFER rendue inopérante
Autre interrogation sur ces lois et ces adaptations réglementaires qui finissent à la longue par ne servir à rien. Je parlerai ici de deux dossiers que tout le monde connaît. Ce sont deux propriétés agricoles assez conséquentes, avec du bâti, vendues à des acquéreurs non agriculteurs prêts à les payer très cher. Tout le monde dit : la SAFER va intervenir. C’est super, il y a quelques années, une loi a été instaurée qui permet à la SAFER de faire une préemption partielle. Cette loi est tellement bien faite que si le propriétaire n’est pas d’accord pour dissocier la partie terrain de la partie bâtie, il peut imposer à la SAFER d’acheter la totalité du bien au prix de la notification. Donc, la SAFER se retrouve à jouer le rôle du spéculateur. Autant dire que la SAFER ne s’engage pas dans cette démarche. A ce moment-là, elle se retire et la vente a lieu. C’est ce qui vient de se passer à Saint-Pée avec une propriété de 50 hectares et un bâtiment, le tout mis en vente à hauteur d’un million trois cents mille euros. Selon la profession agricole et par rapport aux références locales, la valorisation de ce bien serait de l’ordre de 650 000 euros. La SAFER a essayé d’intervenir, mais grâce à l’application de ce texte, la vente s’est réalisée. Les associations ont essayé de se battre, mais elles ne disposent pas des moyens juridiques voulus. Pourquoi ? Parce que ce texte qui, à l’origine, avait été plutôt bien rédigé et permettait une intervention sur l’ensemble du bien, a été complètement détricoté. Sous prétexte de l’atteinte au droit de propriété, nous aboutissons à cette situation.
Nous pouvons aussi nous poser la question de l’application du droit de préemption de la SAFER. Elle ne peut préempter un bien dont l’activité agricole a été arrêtée depuis plus de cinq ans.
Nous pouvons aussi nous poser la question de l’application du droit de préemption de la SAFER. Elle ne peut préempter un bien dont l’activité agricole a été arrêtée depuis plus de cinq ans. Cela signifie que pour tous les bâtis aujourd’hui non utilisés, à partir du moment où ils ne sont plus à vocation agricole depuis plus de cinq ans, la SAFER n’aura pas la possibilité d’intervenir. Donc, des acquéreurs seront à même d’investir pour de la résidence secondaire, peut-être et tant mieux pour de la résidence principale. Ils viendront participer potentiellement à la spéculation, donc à renchérir et à faire monter les prix du marché immobilier.
Renforcer l’intervention publique
Pour terminer, il me semble que si nous voulons relever le défi, il faut renforcer, redonner la place qui doit être la sienne à l’intervention publique. A partir des faits et des dossiers, nous constatons que l’intervention publique n’est pas favorisée lorsqu’un juge de l’expropriation dit que, lorsqu’il évalue un bien, il retient toujours la valeur la plus favorable au propriétaire. Quand dans certains secteurs, notamment pour une convention de requalification de quartier ancien dégradé signée sur la commune de Bayonne avec le ministre du logement de l’époque, Benoît Apparu, un juge de l’expropriation indique : votre projet est incontestablement d’utilité publique, mais votre DUP aurait dû être plutôt une DUP projet qu’une DUP foncière. Cela ne changeait rien à la problématique puisque la personne qui attaquait la DUP était un propriétaire considérant que nous ne lui achetions pas assez cher son appartement. Que l’on soit en DUP foncière ou en DUP projet, cela ne changeait pas le problème. Sauf que lorsque vous êtes dans une démarche avec des financements de l’ANRU, avec des délais et des dates butoir, le projet ne pouvait plus se faire parce que nous perdions les financements. Donc, que s’est-il passé ? Nous avons dû accepter le prix du propriétaire et le coût de l’opération a été renchéri. Il y a véritablement des questions à se poser là-dessus.
Le grand soir de la loi foncière
Parmi les pistes de solutions, on nous annonce depuis des années le grand soir de la loi foncière. Je pense qu’il faut qu’on y arrive pour remettre véritablement à plat les choses et que l’on ne s’interdise pas de modifier les réglementations. Certaines vont changer les usages, vont peut-être faire mal au portefeuille de certains propriétaires, mais on ne peut pas continuer ainsi. Quand une commune doit mettre 100.000 euros pour chaque logement social qui se construit sur son territoire et qu’elle en a 2.500 à réaliser pour rattraper son retard SRU, où va-t-elle trouver les deux milliards et demi d’euros ?
Nous ne pourrons pas aller vers cette grande loi foncière sans interroger véritablement la problématique du droit de propriété. Il faut sans aucun doute le respecter et le maintenir, mais il faut se réinterroger sur sa financiarisation.
Nous ne pourrons pas aller vers cette grande loi foncière sans interroger véritablement la problématique du droit de propriété. Il faut sans aucun doute le respecter et le maintenir, mais il faut se réinterroger sur sa financiarisation. En ce qui concerne la taxation des plus-values, nous voyons avec certains élus, notamment ceux de la côte basque, que certains acteurs privés, des particuliers, sont devenus des spécialistes. Tous les deux ans, ils revendent au plus offrant leur maison d’habitation en faisant une belle culbute. Comme il s’agit du logement principal, la plus-value n’est pas taxée. Dernier élément : sur le territoire de l’agglomération, des investissements conséquents sont réalisés pour faire circuler un Trambus. Ainsi, un arrêt du Trambus se trouve en bas d’un immeuble. Du coup, la réalisation de cet aménagement, naturellement, fait augmenter la valeur des appartements. Si demain, dans le cadre du ZAN, la collectivité doit acquérir ces biens pour faire une opération de renouvellement urbain, elle va être pénalisée. Elle aura droit à la double peine. Elle rachètera plus cher les appartements dont le prix a augmenté parce qu’elle a financé un aménagement public. Est-ce qu’à moment donné, il ne faut pas pouvoir partager la rente foncière, selon un modèle à trouver ? Pour faire en sorte que dans les investissements publics réalisés, la collectivité puisse intégrer ces éléments et permettre son développement.
(1) Le Fonds friche a vocation à financer des opérations de recyclage de friches ou de fonciers déjà artificialisés.
(2) NDLR : pour une approche détaillée du sujet, voir www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/conseil-constitutionnel-et-la-propriete-privee-des-personnes-privees
(3) Zone 2 AU d’un document d’urbanisme : elle est destinée à l’extension future de la commune à long terme. Sa vocation sera d’accueillir, aussi bien des habitations que des commerces, des services et des activités de taille limitée, dans le cadre d’opérations soumises à des contraintes d’organisation de l’espace et à une programmation des équipements.
+ Pour voir l’intégralité des entretiens 2023 d’Intxauzeta : www.entretiensinxauseta.fr.
+ Site de l’Etablissement public foncier local Pays Basque : www.epfl-pb.fr/etablissement/pour-aller-plus-loin/