Le CEF et la quatrième voie

Zone humide en danger.

Des projets d’aménagement sur Mouguerre et désormais Lahonce soulèvent des problèmes d’ordre environnementaux et climatiques mais également — et immédiatement — sur le plan démocratique. Reproduirait-on à l’échelle locale ce que l’on reproche à l’État jacobin ?

Les douze derniers hectares de zones humides à Mouguerre

Je vais vous raconter une histoire. Elle n’est pas des plus spectaculaires à première vue, parlant de couloirs, de réunions, de services techniques, de règlements, de décisions en catimini, d’opacité. Mais elle parle aussi d’eau, de sécheresse, d’inondations, de climat. Elle parle de nombreuses espèces animales plus fragiles et intrigantes les unes que les autres, de plantes remarquables, de patrimoine génétique si riche qu’il contient les germes de l’adaptation de la vie face à un monde en pleine mutation. Elle parle d’avenir, donc. Elle parle des barthes.

C’est donc l’histoire d’un projet né en 1988, celui du Centre européen de fret de Mouguerre. Cette année-là, d’un coup de crayon sur une carte, est dessinée une zone de 100 hectares sur les barthes de Mouguerre et de Lahonce, destinée à de l’activité essentiellement logistique et ferroviaire. Mais le projet a vu trop grand et sur ces 100 hectares, 88 sont actuellement remblayés, tous n’étant pas encore utilisés. Il reste également une belle zone humide de douze hectares sur le CEF à Mouguerre. Et le maire de la commune veut l’artificialiser en totalité, même si cela doit coûter en aménagement et remblaiement douze millions d’euros aux collectivités, et qu’il y a juste à côté dix hectares de friches industrielles, propriété de la CAPB. Mais ça, c’est une autre histoire. Je reviens à la mienne.

De surprise en surprise

La SEPA – aménageur du site – dépose un permis d’aménager pour les douze hectares. La CAPB et le maire se refusent à organiser toute concertation préalable avec les habitants pour discuter de l’opportunité du projet, alors que les deux s’étaient engagés à le faire par une délibération du conseil communautaire (approbation de la révision du PLU de Mouguerre en 2023). Le préfet, dans une sagesse toute juridique, limite strictement son autorisation de destruction des habitats des 58 espèces protégées présentes sur le site aux seuls projets ferroviaires. Car détruire des barthes se doit de justifier d’une « raison impérative d’intérêt public majeur » .

Le dépôt du permis d’aménager s’accompagne de la nécessité réglementaire pour le maire d’organiser une « participation du public par voie électronique » , PPVE pour les intimes, démarrant le 1er décembre. Aucune réunion explicative par les élus de la commune ou par la CAPB (les associations en font une qui rassemble 150 personnes). Trente-deux documents sont mis en ligne, plus de 1.600 pages à lire pour se forger un avis et émettre des propositions (uniquement par internet), le tout en un mois. Le public est très fort, on le sait. On s’aperçoit donc que le futur remblaiement va faire monter les inondations de plus de dix centimètres à Lahonce en cas de crue de l’Adour par rapport à l’état actuel de remblaiement. On s’aperçoit aussi que les projets ferroviaires (et notamment l’arrivée de Brittany ferries) peuvent se dérouler sur les 88 hectares déjà remblayés (et pas encore utilisés) dans une première phase. On découvre enfin que malgré la restriction du préfet, la SEPA, avec l’appui de la CAPB, persiste à vouloir construire pour 16,6 millions d’euros un bâtiment au profit d’une holding américaine qui n’a rien à voir avec le ferroviaire : ENOVIS (ex DJO) sur plus de trois hectares. Mais surprise, deux documents sont mis tardivement en ligne lors de la PPVE. On s’aperçoit alors que des techniciens (dont ceux de la CAPB) ont pris leurs crayons (et leurs ordinateurs, génération oblige) pour tracer une nouvelle route qui serait nécessaire en cas de travaux de LGV. Cette route aurait dû passer sur l’emplacement d’ENOVIS mais du coup, elle passe sur les barthes de Lahonce, touchées à leur tour, dans un « espace naturel sensible » : c’est la quatrième voie d’un nouveau rond-point créé tout exprès pour ENOVIS.

Le respect de la parole donnée

Le conseil municipal de Lahonce est alerté par les associations. Par l’intermédiaire de son maire, il poste en ligne une contribution votée à l’unanimité, s’indignant de ne pas avoir été prévenu de cette possibilité de route, déclarant ne pas donner son accord (que personne ne lui demande par ailleurs), et demandant au maire de Mouguerre une prolongation de la PPVE. Silence radio de ce dernier, et la PPVE s’arrête comme prévu le 2 janvier au soir où, tel le carrosse de Cendrillon, à 23h59, tout disparaît : contributions et documents mis en ligne.

Il y aura sans nul doute d’autres épisodes à cette histoire… On espère que le maire de Mouguerre et la CAPB reviendront à la raison et n’imposeront pas la présence injustifiable d’ENOVIS sur des zones humides. Permettront- ils aux élus de la CAPB de faire respecter leur parole sur la concertation ? La CAPB va-t-elle réparer le dysfonctionnement qui permet à ses services de détenir des documents concernant Lahonce sans les partager avec les élus concernés, ni solliciter leur accord ? On peut l’espérer, car telle n’est pas la CAPB dont on a pu rêver. On peut reprocher à l’Etat d’imposer ses vues aux élus locaux et au territoire, il ne faudrait pas que cette même dérive gagne les couloirs de la CAPB.

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