Les résultats de la grande enquête de Bagira, à laquelle ont répondu 1 500 abertzale d’Iparralde, sont d’une aide précieuse au moment de penser une feuille de route globale pour le mouvement, voire une stratégie nationale pour Euskal Herria.
Après une phase de bilan suivie d’une grande enquête réalisée au sein du mouvement abertzale d’Iparralde, le processus Bagira planche actuellement sur la rédaction d’une feuille de route partagée qui serait un document de référence pour les années à venir. Les réponses à l’enquête menée entre mai et juillet 2023 dessinent à elles seules une bonne partie de cette feuille de route.
Être abertzale en 2024
Quand on analyse la grande majorité de ces réponses, elles nous révèlent, dans des proportions comprises entre 80 et 90%, comment les abertzale d’Iparralde définissent eux-mêmes ce qu’est « être abertzale » aujourd’hui.
Globalement, ce terme regroupe les personnes qui, sans distinction d’origine, de maîtrise linguistique, de genre, de religion ou de statut social, partagent :
– la volonté de construire une société basque libre, euskaldun, égalitaire, écologiste, féministe, progressiste et démocratique,
– le sentiment qu’une souveraineté politique maximale est nécessaire pour mettre en œuvre ce projet de société,
– une participation active à l’accomplissement de ces objectifs au sein de la pluralité des modes d’engagements du mouvement abertzale.
Les souverainetés réelles
Un autre fait marquant ressortant des résultats de l’enquête est l’importance donnée au travail pour construire les souverainetés réelles ou matérielles (alimentaire, énergétique, médiatique,…). 85% estiment qu’il constitue un fondement important de l’abertzalisme du XXIème siècle. Ce même item des souverainetés réelles arrive en 4ème position sur 21 propositions dans les réponses à la question : « Dans le contexte actuel, quels doivent être les enjeux prioritaires pour l’avenir ? » .
Et encore, les trois items recueillant un meilleur score que lui relèvent eux-mêmes de l’enjeu de construire nos souverainetés réelles : euskara, droit au logement, lutte contre le changement climatique.
Au Nord comme au Sud
Ces résultats apportent de l’eau au moulin de l’analyse proposée par David Lannes dans un éditorial récent d’Enbata. Il remarquait qu’à deux semaines d’intervalle, deux événements importants organisés l’un à Bayonne et l’autre à Hernani amenaient dans le débat public la question des souverainetés réelles, la manière pour le peuple basque de construire, de gagner peu à peu la souveraineté dans tous les domaines de ce qui est nécessaire à nos vies. Il s’agissait d’une part d’Euskal Herri Burujabe organisé par Bizi!, et de l’autre de Burujabetzak organisée par la mairie d’Hernani.
David Lannes soulignait ainsi que « deux projets portés respectivement par une organisation d’Iparralde née de la mobilisation contre le réchauffement climatique et la mairie d’un fief de la gauche abertzale formalisent en des termes identiques la nécessité de reconquérir nos souverainetés. » . Et il en tirait la conclusion suivante : « Au Nord comme au Sud, cette conception de la souveraineté est désormais commune chez les abertzale. (…) Une opportunité historique s’offre à nous en raison de cette convergence inédite de nos logiciels politiques. Nous sommes arrivés au même point par des chemins différents et nos expériences sont donc complémentaires pour réussir cette reconquête de nos souverainetés. Quoi de mieux que d’y travailler ensemble afin qu’Euskal Herria devienne notre cadre de pensée naturel ? »
Réalités asymétriques
Penser une stratégie nationale, commune aux sept provinces historiques d’Euskal Herria, a depuis toujours constitué un vrai défi tant l’histoire, les réalités socio-économiques, la part de la population adhérant au projet indépendantiste ou votant abertzale, les niveaux d’auto- gouvernement et les types de compétences gérées localement diffèrent entre les communautés d’Euskadi, de Navarre et d’Iparralde. Et les stratégies peu ou pas adaptées à ces réalités asymétriques, souvent pensées dans les territoires où l’abertzalisme était majoritaire comme le Gipuzkoa et la Biscaye, ont produit dans le camp abertzale moult tensions et divisions au cours du dernier demi-siècle.
Élaborer une stratégie nationale qui puisse reposer sur ces réalités et ces points de départs si différents n’est donc pas un exercice aisé.
Une stratégie réellement nationale
N’y a-t-il pas matière à poser les bases d’une stratégie réellement nationale à partir d’un terrain sur lequel Navarre, Euskadi et Iparralde partent à peu près de la même situation, du même point de départ ? Car, en matière alimentaire, énergétique, médiatique, etc., nos niveaux de souveraineté réelle sont hélas assez comparables, c’est-à-dire dramatiquement bas.
La grande force d’une stratégie nationale fondée sur de telles bases, et cela je pense que la municipalité d’Hernani l’a bien compris, c’est qu’elle peut également parler aux parties non abertzale de nos populations respectives, qu’elle a un potentiel d’adhésion populaire majoritaire sur l’ensemble des trois communautés administratives distinctes que compte aujourd’hui le Pays Basque.