Voyage au pays de l’ezko

Le livre d’Aglaë Miguel et de Mari Campistron

Les cires de deuil, les pratiques rituelles qui les entourent et donnent sens, leur symbole et leur fabrication, ont fait l’objet d’une résidence d’artiste aux Aldudes. Aglaë Miguel s’est emparé de ces cires, avec la complicité de Mari Campistron. Toutes deux en ont fait un livre délicieux, un livre d’artiste trilingue, en euskara, en anglais et en français. Comme un journal de voyage qui égrène au fil des pages dépliées puis refermées, une recherche attentive et des rencontres, autour de cet objet si répandu hier et aujourd’hui méconnu.

Une famille des Aldudes qui se souvient, la dernière fabricante d’ezko en Iparralde, soeur Françoise, qui officie à la ciergerie des Bénédictines de Belloc, un ethnologue gipuzkoan, les traces de cet objet chez les peintres ou les photographes d’hier, nous voici devant un bouquet coloré aux mille facettes. Il se poursuit par un voyage à Amezketa en Gipuzkoa. C’est le dernier village du Pays Basque où les femmes allument sur le jarleku (1), argizaiola, équivalent de ezko en Hegoalde. Des chemins de traverse nous conduisent au Musée pyrénéen de Lourdes, puis chez un apiculteur qui recueille la cire de ses abeilles. Une cire utilisée aussi dans les maisons pour embellir planchers et meubles, objet d’attention et de fierté des etxekoandere, les maîtresses de maison. Mouchoir de pleureuse et drap mortuaire closent ce livre qui se goûte comme un pan d’humanité, aussi chatoyant que la couleur de la cire variant au gré des pollens qui en sont la source.
Des feuilles noires imprimées en gris ouvrent l’ouvrage, de ce gris cher à Ramiro Arrue, qui rappelle les visages voilés par quelque discrète mantille. Il s’achève sur un jaune triomphant, celui de la lumière allumée par celles qui transmettent la vie, celles qui chantent la mort et la vie. Au fil de ces pages, se déroule l’humble témoignage de femmes et d’hommes d’un pays où l’on n’arrive jamais, vivant entre la maison qui les a vu naître et la tombe où ils redeviendront terre. L’ezko brille là, comme « une rose impossible dans la nuit » où « l’or du temps » irradie son magnétisme.
Les cendres de ce foyer sont encore brûlantes. Tout l’art d’Aglaë Miguel et de Mari Campistron est d’avoir posé sur elles un regard amoureux. Elles réveillent la rumeur d’un trésor fait de rituel et de mémoire, pan entier de notre culture ancestrale. Qu’elles en soient remerciées.

+ Pour se procurer ce livre, contacter les autrices à [email protected]

(1) Le jarleku est la place assignée à chaque maison dans l’église paroissiale. Y est installée une chaise devant laquelle est allumé l’ezko par une femme de cette maison.

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Une réflexion sur « Voyage au pays de l’ezko »

  1. Le rite ezko
    et autres coutumes funéraires basques

    Pendant les obsèques et la période de deuil, cette fine cire de deuil est utilisée par les femmes basques. Elle s’inscrit dans une ensemble de pratiques sociales et symboliques essentielles pour comprendre le Pays Basque d’hier. Il ne tient qu’à nous de remette à l’honneur certaines d’entre elles.

    En tant qu’objet, ezko est une longue et fine cire de deuil enroulée sur elle-même et posée dans un petit panier d’osier avec un petit napperon brodé (1). Il était aussi appelé elizaren argia, lumière d’église. Lors des obsèques, ezko est porté par la femme ayant le statut de première voisine de la maison du défunt. Dans le défilé funéraire, celle-ci porte dans une panier assez large conservé à la sacristie, les ezko des différents amis et connaissances qui souhaitent ainsi s’associer au défunt, elle dépose ces cires de deuil allumées auprès du cercueil durant la cérémonie religieuse, puis jusqu’à jusqu’à l’inhumation au cimetière. Dans certaines régions, la première voisine conservera ezko qui sera posé allumé sur la table du repas suivant les obsèques, comme si le défunt en était. Elle le récupère à la fin du repas pour le donner à la famille le lendemain —première rupture du deuil— ou à andere serora, la benoîte. Pendant la période de deuil et à chaque messe dominicale, la maîtresse de maison allumera ezko posé devant sa chaise, au jarleku de l’église. Le jarleku est la place assignée à chaque maison dans l’église paroissiale. Recouvert d’une tapis noir surnommé parfois le « tapis des puces », il rappelle l’endroit où étaient enterrés les défunts issus de chaque etxe (2). La maîtresse de maison s’y tient agenouillée. Les chaises nominatives placées sur le jarleku feront leur apparition au cours d’un XIXe siècle bien engagé. Hors période de deuil, les ezko sont, soit gardés à la maison, soit rangés dans des petits placards creusés dans les murs de l’église, ils sont placés sous la vigilance de andere serora, la benoîte.

    Dans l’église, l’etxeko andere est agenouillée sur le « tapis de puces », posé sur le jarleku de sa maison
    Ezko s’inscrit dans un ensemble des rites funéraires basques : annonce du décès donnée aux abeilles (3) et aux autres bêtes domestiques, le jarleku et hilbidea chemin des morts, sont les plus connus. Hilbidea n’étant jamais que l’etxe se prolongeant physiquement jusqu’au sanctuaire qui donnera le sens à la vie comme à la mort des etxekoak, des gens de la maison.
    Ezko fait partie du trousseau de la jeune mariée. Si son mari décède avant elle et qu’elle envisage de se remarier, il lui faudra attendre que toute la bougie ait brûlé lors des messes données à la mémoire de son défunt mari.
    Le cortège funéraire traduit l’auzo, c’est à dire le réseau relationnel, ses droits et ses devoirs qui structurent les rapports entre les maisons d’un quartier ou d’un village. Donc la quasi totalité des relations sociales. Nous avons là le pilier du fonctionnement de la société basque. Dans le rite, la première voisine joue un rôle essentiel, en référence aux rapports entre voisins définis par l’auzo. Avec etxeko anderia, la maîtresse de maison, elles présentent les offrandes : la lumière de l’ezko, quelque argent, de la nourriture, autrefois pain et viande d’ovidés au moins. Être d’une etxe, c’est être auzokoa, être d’une maison qui est histoire. L’etxe est d’une lignée, elle a un lehen auzo, premier voisin qui, à son tour en a un autre, le maillage se construit ainsi, jusqu’au quartier qui, fédéré à d’autres, constitue la commune, avec ses terres propres. L’ensemble forme un tout cohérent qui se tient.

    Ordonnancement du cortège funèbre
    Il relie la maison et l’église et peut varier d’un village à l’autre dans son ordonnancement, mais guère dans son principe : la société des voisins se met en scène dans la douleur et la solennité. Voici l’exemple d’un cortège tel qu’il était organisé dans la première moitié du XXe siècle.
    En tête, portant la croix paroissiale, marche le premier voisin, encadré de deux hommes ayant chacun un cierge à la main: ce sont souvent des voisins immédiats, à Urrugne par exemple. Puis vient le prêtre, flanqué de deux enfants de chœur et suivi par le chantre. Le curé et le chantre entonnent en alternance des couplets de cantiques. Derrière eux, parfois des voisins portent le drap mortuaire garni de lames d’argent : il va recouvrir le cercueil durant la messe. Il peut s’agir aussi du drap d’une confrérie à laquelle appartenait le défunt.
    Ensuite, voici le cercueil porté par quatre voisins choisis par la famille. Il est entouré par des enfants du même sexe que le défunt, ils sont porteurs de cierges et de fleurs. Si le défunt est un enfant, le cercueil est porte par des enfants du même sexe que lui.
    Derrière le cercueil, un voisin peut porter une couronne de fleurs ou de perles et la suite du cortège avance souvent sur deux rangs. Sont en tête les « personnes du deuil ». Si le défunt est une femme, ces personnes du deuil sont des femmes et avancent en premier. S’il s’agit d’un homme, c’est l’inverse.
    Une certaine hiérarchie est respectée. Si le mort est un maître de maison, sa mère, sa fille ou sa belle-fille se placent en tête du rang de droite. A côté d’elle, dans l’axe du cercueil, marche argizaina la gardienne de lumière, première voisine qui porte un grand panier rempli des ezko allumés. Dans le groupe de deuil féminin figurent toutes les femmes du quartier; seules manquent les voisines occupées à la préparation du repas qui suivra la cérémonie religieuse.
    Les enfants avancent ensuite, suivis par les parents éloignés et les amis qui ferment la marche. Les habitants du village rejoignent le cortège —femmes et hommes mélangés— au fur et à mesure qu’il s’achemine vers l’église.
    Les femmes revêtent mantaleta qui est en drap épais couvrant tout corps, il est doté d’un grand capuchon et parfois double de satin. Le visage est caché par un voile descendant jusqu’au niveau du buste. Du fait de son prix élevé, mantaleta peut être prêté d’une maison à l’autre. Certains nomment ce vêtement de deuil kaputxina, mais ailleurs ce terme désigne une pièce de tissus qui recouvre seulement le haut du corps, tête comprise. Il fut ensuite remplacé par mantalina dolukoa, un voile épais mais dépourvu de dentelle. Plus tard, nous aurons mantilla, la mantille.
    Au propre comme au figuré, la femme donne la vie, transmet la lumière de la vie et manifeste sa présence au moment du passage de la vie à l’au-delà. Dans les Pyrénéens dont les Basques font partie, on place ici, sur la tombe, sur le jarleku, la femme, celle qui assure la descendance. Affirmant ainsi symboliquement que la mort est niée, l’etxe poursuivra l’aventure. C’est l’etxe qui se transmettra par le premier ou la première né(e). La femme accompagne donc le mort pour signifier la continuité de l’existence et de la communauté. Le mort n’est plus dans le quotidien, mais il est là : «Etxetik atera dela», comme il est écrit sur les intentions de prière données. Il sera associé avec les autres morts de l’etxe, en tête de la liste affichée à la porte de l’église et parfois lue en chaire.

    Voilà de façon succincte l’essentiel du rite basque de l’ezko dont il existe des variantes infinies, mais qui suivent toutes une logique équivalente. En quelques décennies, ce rite funéraire basque s’est effacé, écrasé par le rouleau compresseur de cultures d’importation, et privé de sens parce que le substrat dont il est l’expression s’est largement effrité.
    Avec le retour en force aujourd’hui dans la débat public de notions telles que les communs, le local, la proximité, voire un au-delà de la propriété, on mesure l’intérêt de pratiques sociales liées à auzo. Alors pour finir, présentons un vœux : que demain, ezko et auzo reprennent vigueur dans nos pratiques sociales et culturelles déjà en plein renouveau. Veillons sur les repères historiques en nous gardant de les convertir en modèle figé sous prétexte d’authenticité. A nous de le mettre en œuvre en le réinventant à chaque génération.

    (1) L’équivalent d’ezko avec des rites quasiment identiques existe dans les vallées pyrénéennes et en Hegoalde où il prend le nom d’argizaiola. La fine bougie de cire est entourée autour d’une planchette sculptée, elle est devenue aujourd’hui un des symboles de l’identité basque.
    (2) A la fin du XVIIIe siècle et pour des questions d’hygiène, l’autorité royale décida que les défunts soient enterrés en dehors de l’église.
    (3) « Erleak bethatzen du mundua eztiz eztitzeko eta ezkoz argitzeko », l’abeille fournit au monde le miel pour adoucir et la cire pour éclairer.

    A partir des recherches de Michel Duvert (Lauburu, Etniker Iparralde), rédigé par Ellande Duny-Pétré

    Nota
    Vous pouvez vous procurer différents modèles d’ezko auprès de la ciergerie des Bénédictines de Belloc. Amezketa est le dernier village qui met en œuvre la pratique de argizaola de façon quasi généralisée au moment de la Toussaint. Le musée de San Telmo à Donostia en présente une très belle collection et un film explicatif.
    Le Musée pyrénéen de Lourdes offre une vitrine complète expliquant ce rituel qui est répandu le long de la chaîne des Pyrénées et existe sous des formes proches en Bretagne. Ce musée montre l’appareil permettant, en la chauffant sur un petit brasero, de réaliser cette très longue bougie ou cire filée. Le musée Gorrotxategi à Tolosa (Gipuzkoa), consacré au chocolat, à la confiture et aux pâtisseries, comprend une section sur les transformations de la cire. Vous pourrez y voir un appareil du même type permettant d’élaborer les cires de deuil en Hegoalde. Dans le village gipuzkoan d’Amezketa, un habitant continue la fabrication d’argizaiola, planchette décorée en bois, propre à chaque etxe et devenue symbole identitaire, parfois fabriqué en série.

    Pour en savoir plus 
    + Michel Duvert: Etxea & auzoa https://www.youtube.com/watch?v=Ym43DZi9-cw
    + Jon Etcheverry-Ainchart, Michel Duvert, Marcel Etchehandy, Claude Labat : Hil harriak, les stèles discoïdales et l’art funéraire basque, Elkar et Lauburu, 188 p. 2004.
    + Contribution à l’étude ethnographique de la mort en Pays Basque Nord, Anuario de Eusko-folklore, 40/1996-97, José Miguel Barandiaran fundazioa, 264 p. Auteurs : Michel Duvert (responsable du projet), Mano Curutcharry, Aita Marcel Etchehandy, Jon Etcheverry-Ainchart, Monique Gacon, Peio Goïty, Line Jenny, Claude Labat, Armand Mouras, Jean Oxarango, Thierry Truffaut.
    + Le Bondidier Margalide : Les cires de deuil aux Pyrénées, revue Pyrénées n° 27 et 28 (1956) et n° 37 (1959).
    + Argizaiola nola egiten den : https://ahotsak.eus/bergara/pasarteak/ber-208-008/
    + San Telmo erakustokian: https://www.youtube.com/watch?v=tK72_1YqJRU&t=311s
    + Centre d’interprétation de l’art funéraire basque de Larceveau où un ensemble de vidéo réalisées par Lauburu présentent les rites funéraires basques d’Iparralde, le rôle de ses acteurs principaux, le charpentier, andere serora, le porteur de la croix, le jarleku, le hilbide, etc. et le sens dont ils sont porteurs.

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