Le sculpteur aurait eu 100 ans cette année. Ses compatriotes lui rendent hommage au fil de cette année. Le plus cosmopolite des artistes basques vivait ancré au plus profond de sa terre nourricière.
Ce 10 janvier 2024, Eduardo Chillida (1924-2002) aurait eu 100 ans. On a peine à le croire tant sa modernité n’a pas pris une ride. Il est sans doute l’artiste basque (avec son alter ego Jorge Oteiza) le plus connu en Europe et bien au-delà du continent. Une multitude de ses oeuvres furent forgées dans un acier spécial (fait pour résister à l’usure du temps), telles ces pièces monumentales les plus connues dont l’Allemagne (bien plus que la France pourtant voisine) est restée friande. L’on pense bien sûr au Peigne du vent (Haizearen orratza. El Peine del viento), installé dans la baie de Saint-Sébastien, accroché à une partie rocheuse de côte escarpée, battu par les flots depuis son installation en 1977. Son troisième module y trouva sa place le 3 septembre de la même année. Il en avait eu une première idée en 1952, mais il lui fallut plus de 20 ans de réflexion, de recherches et d’ébauches avant qu’il ne finalise son projet. Devenu l’un des emblèmes de la ville natale du sculpteur, l’acier brave donc l’océan face à la Concha. Décliné en trois parties qui ont l’air de se parler entre ciel, terre et mer, l’ensemble provient de l’une de ces forges situées au coeur du Gipuzkoa, dans l’univers de ferronniers où Chillida avait ses habitudes. Il sortit tout droit de la forge de l’industriel Patricio Echeverria à Legazpi. Il fallut bâtir un four spécial, tant les formes de l’ouvrage étaient inhabituelles et monumentales. Hauteur : deux mètres. Poids : treize tonnes. Un rêve fou. Chillida a d’ailleurs raconté que revenu de Paris, où il avait vécu de 1948 à 1951, c’est alors qu’il en avait eu l’idée… Mais eut-il l’occasion de dire et répéter, « comment allais-je faire une telle proposition au maire de la ville, moi qui étais en tout et pour tout, un gardien de but de la Real Sociedad blessé ? »
Entré dans le patrimoine universel
L’ancien joueur de foot n’en n’est pas moins entré dans le patrimoine universel sans jamais se départir de sa simplicité et de ce naturel qui forçaient l’admiration. On lui doit donc des collages, des dessins, des pièces absolument monumentales, sans oublier les quatre portes de la basilique d’Arantzazu, en plein coeur du Gipuzkoa. Le musée Chillida Leku, quant à lui, est installé à Hernani, dans une vieille ferme du XVIe siècle entourée d’un espace à ciel ouvert, vaste prairie de plusieurs hectares, où sont « plantées » une quarantaine de sculptures. Le jour de son inauguration, en présence du roi d’Espagne et du chef de gouvernement espagnol de l’époque (José Maria Aznar), l’artiste, souffrant, était absent(1). Ce jour-là, (le 15 octobre 2000), ETA avait décidé de marquer cette ouverture par un attentat qui, au final, tourna court…
C’est le même Chillida qui quelques années plus tôt, pendant plusieurs semaines, avait exhorté ETA (via un message diffusé par les radios basques) à relâcher José Maria Aldaia, chef d’entreprise de Fontarabie, qu’elle détenait depuis le 14 mai 1995. L’organisation invoquait le fait qu’il s’était refusé à s’acquitter de l’« impôt révolutionnaire » . Au final, l’otage fut libéré 341 jours plus tard, au petit matin. Il évoqua les rudes conditions de sa très longue détention le jour-même, devant la presse. C’est aussi le même Chillida qui en 1995 s’impliqua dans le concert pour la paix organisé à Anoeta.
Et qui, bien des années auparavant, avait conçu le logo du mouvement antinucléaire (« Ez Deva nuclear » , 1974) et celui des Gestoras pro amnistia (1976). Très impliqué dans le monde qui l’entourait, il ne recherchait ni le bruit ni les éloges. C’est pourtant à lui que l’Allemagne a commandé la sculpture monumentale symbolisant la réunification allemande, installée dans les jardins de la Chancellerie de Berlin.
(1) Le musée Chillida Leku a été fermé de 2011 à 2019, année où il rouvrit ses portes.
(2) Le musée Chillida Leku situé Barrio Jauregi à Hernani. Tel 34 943 335 963
Excellent, dense et bref sur un personnage-clef de la culture basque en route pour l’intemporelle. Bravo. Pierre-Marie