Lorsque vous lirez ces lignes, le ministre de l’Intérieur français aura présenté son propre projet d’autonomie aux élus de l’Assemblée de Corse. Il les a invités —convoqués ?— à Paris le lundi 26 février, en prenant prétexte que l’ensemble des élus de l’assemblée de Corse ne s’était pas mis d’accord dans les délais impartis sur un texte commun de statut d’autonomie. C’était la condition demandée par Emmanuel Macron lors de sa visite sur l’île le 28 septembre 2023. En faisant mine d’ignorer que 73 % de cette assemblée avait approuvé un statut le 5 juillet 2023.
Sans avoir le choix, le président Gilles Simeoni s’est courageusement attelé à la tâche pour élargir cette majorité déjà considérable. Comme prévu, il a suffi aux élus de droite de bloquer les choses sur le plan des compétences, en particulier législatives. Nous avions en octobre dernier dénoncé cette manœuvre annoncée. Le piège vient de se refermer.
Cela permet à Gérald Darmanin de présenter un projet a minima qu’Enbata analysera prochainement. Gageons qu’il s’agira d’une version Canada dry de l’autonomie attendue. Elle ne fera que renforcer le camp des plus radicaux réunis autour du nouveau parti Nazione et du FNLC qui renaît de ses cendres.
Le processus n’est pas terminé. En principe, il passera par une modification de la Constitution qui nécessite l’accord du Sénat dont la majorité est particulièrement jacobine. D’où un nouveau coup de rabot en perspective.
Deux documents
Pour les lecteurs d’Enbata désireux d’approfondir ces questions, voici deux documents de fond: une interview de Gilles Simeoni accordée début janvier à un média corse, et qui présente avec brio sa vision de l’autonomie dans son contexte. Il est accompagné de la «déclaration politique solennelle des élus de la délégation de la Corse», adoptée le 23 février par les élus invités place Beauvau, peu avant la rencontre avec le ministre français.
Voici les éléments principaux de cette déclaration. En préambule, les hommes politiques insulaires demandent «le règlement des suites pénales et civiles liées aux poursuites ou condamnations pour des faits en relation avec la situation politique de l’île.» Dans les propositions adoptées à l’unanimité, les signataires demandent «la reconnaissance constitutionnelle d’une communauté insulaire, historique, linguistique et culturelle, ayant développé au fil des siècles un lien fort et singulier avec sa terre: l’île de Corse». De quoi permettre des mesures spécifiques dans la loi organique concernant les politiques relatives au statut de la langue, au statut de résident et à la fiscalité anti-spéculative. Les élus souhaitent en effet «la constitutionnalisation du lien à la terre et de l’accès équitable à la propriété foncière et immobilière», ce qui permettra de conditionner l’accès à la propriété sur l’île, en justifiant d’une qualité de résident depuis une durée déterminée. La délégation reçue par le ministre veut également un «statut de la langue corse et la mise en œuvre d’un bilinguisme réel et vivant», mais aussi «le principe de l’autonomie fiscale.»
«La consécration et la mise en œuvre d’un pouvoir normatif de nature législative » divise encore les élus corses selon leur tendance. La déclaration contient le texte de la position minoritaire signée par Jean-Martin Mondoloni, président du groupe de droite Un soffiu novu.
Articles précédents pour suivre le dossier corse dans Enbata :
https://www.enbata.info/articles/la-corse-au-pied-du-mur/
https://www.enbata.info/articles/texte-integral-du-projet-de-statut-dautonomie/