Dans la cour des grands

Peio Dufau lors d’un vote à l’Assemblée nationale.

La candidature EHBai aux législatives sous la bannière NFP annonçait déjà l’entrée du parti abertzale dans la cour des grands. La victoire au soir du 7 juillet l’a concrétisée. Une nouvelle étape donc pour le mouvement abertzale de gauche avec ses opportunités et ses défis.

Ayant eu l’occasion de suivre Peio Dufau à Paris, voici mes premières réflexions en entrant dans cet autre monde. Se retrouver à l’Assemblée, c’est un peu comme pénétrer dans le studio hollywoodien de la politique française. Traverser les décors familiers et croiser les acteurs politiques connus a quelque chose de déstabilisant, mais nous fait prendre la mesure de notre ascension politique : pour la première fois le casting s’est ouvert à un abertzale.

L’une des premières choses qui frappe en arrivant à l’Assemblée, ce sont les moyens alloués aux parlementaires. En tant que militants habitués à fonctionner souvent de manière précaire en mode « système D », avoir accès aux ressources des députés est assez vertigineux. Salles luxueuses, bureaux équipés, enveloppes pour les collaborateurs, la communication, les frais de représentation… Une adaptation rapide est nécessaire pour tirer pleinement parti de ces moyens inédits, tout en évitant de les prendre pour acquis.

Bien que nous ayons à nous acclimater aux codes parisiens, avec l’arrivée d’un député EHBai dans ce nouveau monde c’est aussi celui des abertzale que l’on introduit au Palais Bourbon. Depuis quelques semaines, l’euskara résonne dans les coulisses de l’Assemblée, un moyen de rappeler au quotidien (et avec fierté) à la classe politique française que notre langue existe et qu’elle est bien vivante.

Une nouvelle ère d’opportunités

Cette élection devrait nous permettre de poser des jalons institutionnels importants dans les batailles que nous menons, comme en matière de résidences secondaires, de l’euskara, de l’évolution institutionnelle…

D’abord indirectement, par un travail de réseau et de lobbying auprès des autres députés. Ensuite sur le terrain, en venant en appui des organisations et luttes du mouvement. La plateforme Herrian Bizi dont Peio a été porte-parole, pourra par exemple désormais compter sur le soutien entier d’un député, si ce n’est trois. Du jamais vu. Enfin, par les travaux parlementaires qui, espérons-le, aboutiront malgré (ou grâce?) à une configuration politique incertaine.

Rappelons-le, ce sont bien trois députés de gauche a minima ouverts au projet abertzale que compte désormais Iparralde. La coordination en bonne intelligence entre Peio, Iñaki Echaniz et Colette Capdevielle, construite pendant la campagne, se confirme aujourd’hui à l’Assemblée, en témoigne le choix des commissions. Avec Iñaki aux Affaires économiques (qui traite du logement, de l’agriculture, de l’urbanisme et de l’innovation), Colette à la Commission des lois (libertés fondamentales, collectivités territoriales) et Peio à la Commission développement durable et aménagement du territoire. C’est une collaboration sur les dossiers du territoire qui est prévue pour que cette législature, même courte, soit la plus efficace possible. Ce travail collectif doit également être mené avec les élus indépendantistes tels que la polynésienne Mereana Reid Arbelot (Tavini) ou le kanak Emmanuel Tjibaou (FLNKS).

Parmi les premiers chantiers législatifs de Peio, il est assez naturel d’envisager la reprise de la proposition de loi Sempastous/ Bru sur la protection des terres agricoles ayant fait suite à l’occupation d’Arbona. Ou encore, dans le cadre des travaux de commission, un texte qui mettrait un coup d’arrêt définitif au projet hors sol de Ligne à Grande Vitesse.

Une grande responsabilité

Ce mandat est susceptible d’être bref, Macron ayant la possibilité de dissoudre à nouveau l’Assemblée dans moins d’un an. Aussi devons-nous garder à l’esprit la responsabilité que ce mandat représente en cette période de sursis politique. Le barrage face au Rassemblement national, déjà bien fragilisé, pourrait ne pas résister aux prochaines législatives. Il est donc crucial d’initier des améliorations réelles et significatives dans la vie quotidienne pour endiguer cette dynamique politique funeste. En parallèle, il est urgent de remettre les problématiques de biodiversité et de climat sur la table. La Terre se réchauffe plus que jamais, les canicules historiques ont fait encore des milliers de victimes dernièrement, et pourtant l’écologie a disparu du débat politique. Avancer sur ce terrain sera un vrai défi, surtout lorsque de nombreuses mesures en faveur d’un modèle de société soutenable sont aujourd’hui impopulaires et que le RN exploite largement ce rejet. En rejoignant la cour des grands les défis sont décuplés, et étrangement, c’est au moment où la responsabilité politique semble la plus lourde que nous y faisons notre entrée. Bien que l’ampleur du défi puisse donner le vertige, le relever est au moins aussi motivant quand on connaît la capacité du mouvement abertzale à faire face à l’adversité.

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