« Vous êtes un pays d’immigrés, mais la France à son tour se nourrit d’immigration. »
Au début de l’été, une polémique d’origine sportive vous a opposés à l’opinion publique française. Votre équipe nationale de football a brocardé en chanson celle des « Bleus » (qu’elle avait battue au Mondial 2022) au motif que celle-ci serait constituée de joueurs africains récemment immigrés. Aussitôt les Français ont crié au racisme, reproche injuste à mes yeux car lesdits Africains ne sont pas dévalués par le pamphlet musical : c’est la France qui est critiquée pour son incapacité supposée à produire des champions autochtones. Donc pas de racisme, mais de la xénophobie soutenue par une importante personnalité qui évoque le passé colonial de la France, péché originel dont l’Argentine serait vierge à ses yeux. L’équipe de France ayant pris sa revanche aux récents JO dans une ambiance survoltée, l’animosité persiste comme le montrent les incidents regrettables qui ont suivi le match. Est-il permis de mettre un peu de clarté dans ce débat passionné ? Je crois que oui, et j’aimerais y contribuer en raison d’origines communes.
Au XIXème siècle, ma maison natale Zabalainea d’Arrast-Larrebieu en Basse-Soule fut achetée avec ses terres par mon arrière-grand-père paternel à une famille Sabalain qui prit le chemin de l’Argentine. Ensuite cette famille prospéra dans son nouveau pays : nous sommes en relation avec certains de ses membres, nous les recevons comme des cousins quand ils viennent rendre visite au nid des ancêtres. Bien que n’étant pas du même sang, nous sommes issus de la même maison, et l’on sait qu’au Pays Basque celle-ci est bien plus qu’un immeuble d’habitation : l’etxe est un sanctuaire qui confère la citoyenneté, le nom de la famille, un emplacement dédié dans l’église paroissiale puis au cimetière, et de ce fait les Davant défunts partagent leur dernière demeure avec leurs prédécesseurs Sabalain devant l’église Saint Sauveur (Salbatore) de Larrebieu.
Dans ce XIXème siècle, nombre de Basques du nord et de Béarnais migrèrent vers le Rio de la Plata (Argentine et Uruguay). Leurs descendants donnèrent à ces deux États plusieurs présidents de la République et continuent à leur procurer des champions de football comme Otamendi dont les noms chantent dans la liste de l’équipe nationale, en compagnie notamment de noms italiens tels que Messi, l’Italie ayant fourni à l’Argentine encore plus de citoyens que notre petit Pays Basque. Par exemple, le chef actuel de l’Eglise catholique est, on le sait, argentin, né à Buenos Aires de parents italiens.
Cette seconde immigration européenne rejoignit celle qui au XVIème siècle avait colonisé la future Argentine : à cette conquista castillane, les Basques du sud prirent une part importante. Mais cette terre « nouvelle » était-elle vide d’habitants ? Où sont passés les Amérindiens de Patagonie ? De son côté, « la France s’est faite à coups d’épée » selon les mots du Président de Gaulle. Elle a beaucoup colonisé au-dedans et au-dehors. Aujourd’hui, sa démographie défaillante se nourrit d’une abondante immigration africaine. Il n’y a pas d’immaculée conception nationale, les nations sont en partie les fruits du viol, du pillage, de la coercition et d’autres péchés originels, voire actuels. Mais nous leur devons beaucoup et nous y tenons très fort, autant que possible, sans aveuglement. Souvent, l’adversaire est un cousin oublié. n