Carole Ternois, membre du groupe Habitat de Bizi!, est urbaniste programmiste. Chargée de la définition puis de la mise en œuvre de projets immobiliers, elle a notamment piloté la dernière phase de travaux du projet de réhabilitation de la Maison de la Radio à Paris. Elle répond aux questions de Gogoeta sur la « Charte du bâtiment frugal » que son groupe de travail vient de publier pour impulser une démarche sur le territoire en faveur de la métamorphose écologique et sociale du bâtiment.
Comment t’es-tu investie dans le mouvement climat ?
J’ai découvert Bizi! grâce à ma soeur. J’ai tout de suite eu envie de m’investir car je suis convaincue que l’échelle locale est la meilleure pour agir et que les alternatives mobilisatrices et heureuses sont nécessaires pour recréer du lien et changer de trajectoire. Aujourd’hui, je suis membre du groupe Habitat de Bizi!, qui travaille sur trois axes. Axe 1 : permettre aux habitant.e.s du territoire de vivre à proximité de leurs lieux d’activités ; axe 2 : sauvegarder une terre vivante ; axe 3 : réduire les impacts écologiques des bâtiments, tout au long de leur vie.
Je participe également à la plate-forme Herrian Bizi – Se loger au Pays car le droit au logement doit passer avant celui de faire du profit. Or, on constate que ce n’est pas le cas et qu’il faut se battre pour.
Vous avez organisé la conférence débat « Mieux se loger et construire moins, c’est possible ! », quelques semaines après la grande manifestation pour le logement du 1er avril 2023 à Bayonne. Une occasion de découvrir les enjeux du logement en Pays Basque au regard du dérèglement climatique et de découvrir le « Mouvement pour une frugalité heureuse et créative »…
Et la salle était comble ! Cette conférence a permis de faire émerger des premiers débats autour des thématiques traitées dans la Charte du bâtiment frugal sud-aquitain, récemment publiée par le groupe habitat de Bizi! et le Mouvement pour une frugalité heureuse et créative. Ce mouvement s’est construit autour du manifeste lancé en janvier 2018 par Dominique Gauzin- Müller, Alain Bornarel et Philippe Madec. Ce manifeste appelle à développer des établissements humains frugaux en énergie, en matière et en technicité, créatifs et heureux pour la terre et l’ensemble de ses habitant·e·s, humain·e·s et non humain·e·s.
Comment est né puis s’est développé ce projet de Charte du bâtiment frugal Sud-Aquitain ?
Ce projet est né de l’urgence et de la nécessité de s’engager vers des modèles plus frugaux dans le secteur du bâtiment. En effet, les choix en matière d’implantation de bâtiments, de forme, de matériaux ou encore d’énergie et d’équipements ont un fort impact sur l’environnement mais également sur la santé et le bien-être des occupants. Or, depuis plusieurs décennies, l’être humain n’a pas uniquement puisé dans son savoir-faire, ni dans l’intelligence collective pour fabriquer les bâtiments mais surtout dans les énergies fossiles, les ressources naturelles et les terrains agricoles pas chers, sans se soucier des limites planétaires, ni des impacts écologiques. Aujourd’hui, le constat est sans appel. Le secteur du bâtiment produit un quart des émissions de gaz à effet de serre et consomme plus de la moitié des besoins en énergie du territoire ; le secteur du bâtiment est également celui qui produit le plus de déchets en France, avec les infrastructures et les voiries ; il participe à la surexploitation des ressources, comme l’eau et le sable, et à l’artificialisation et au mitage des terres agricoles et naturelles.
Face à ces enjeux, nous sommes convaincu·e·s que le bâtiment frugal est une réponse pertinente et reposant beaucoup sur du bon sens. Inspiré.e.s par le label « Bâtiment frugal bordelais », nous avons contacté Philippe Madec pour lui faire part de notre grand intérêt pour cette démarche et lancer un groupe de travail conjoint, spécifique au territoire sud-aquitain. Il a répondu immédiatement et le groupe s’est monté très rapidement !
Quelles sont les caractéristiques de cette charte ?
Cette charte s’adresse à tous les bâtisseurs et toutes les bâtisseuses qui ont un rôle crucial à jouer dans la métamorphose écologique et sociale, et principalement aux élus locaux. Elle s’applique aux territoires du Pays Basque, du Béarn et des Landes qui présentent des similitudes en termes de paysages, de climat, d’urbanisation ou encore d’économie. Cette charte pose un niveau d’ambition, ce vers quoi on doit tendre. Elle est conçue comme un outil visant à donner des repères pour suivre ou mener des projets de réhabilitation ou de construction : quels sont les points de vigilance à avoir en tête avant de se lancer dans une opération ? Dans quel ordre doit-on s’y prendre ? Qu’est-ce qui est pertinent et qu’est-ce qui est du greenwashing ?
C’est aussi un cadre d’échanges, un support de débats, avec les acteurs du bâtiment car les obstacles sont surtout culturels. Par exemple, la réflexion frugale nécessite de sortir de la logique actuelle « extraire-consommer-jeter » qui conçoit les bâtiments comme des produits de consommation standardisés rapidement obsolètes. Cette réflexion nécessite également une véritable co-construction et un travail itératif entre l’ensemble des acteurs du projet, donc les futurs occupants, mais aussi d’expérimenter, de se tromper et de réessayer.
Elle est organisée en différentes fiches thématiques, qui listent les principales caractéristiques d’un bâtiment frugal. C’est tout d’abord un projet qui questionne le « pourquoi » avant le « comment » et s’interroge sur la meilleure réponse aux besoins. C’est aussi un bâtiment qui présente une haute qualité d’usage définie avec les futur·e·s occupant·e·s, préserve leur santé et est agréable à vivre. Le bâtiment frugal est adapté à son territoire, à son climat actuel et futur, à son paysage, à sa culture. Il tire parti du site, du soleil, du vent par une conception bioclimatique qui lui permet de limiter fortement ses consommations d’énergie tout en créant une ambiance intérieure saine et confortable en toute saison. Il utilise des techniques simples et appropriables, des équipements faciles à réparer et à maintenir et des énergies majoritairement renouvelables. Il privilégie la réhabilitation à la construction neuve, minimise la quantité de matériaux nécessaires et privilégie ceux réemployés, biosourcés et géosourcés. Il respecte le territoire (il préserve la biodiversité, l’eau, les ressources et minimise les nuisances) et ses habitant·e·s. Il permet de s’adapter au monde de demain, de maintenir et créer du lien.
Cette charte ne remplace pas l’expertise des professionnels qui accompagnent ces projets. Elle peut aussi être complétée par une démarche plus détaillée, comme par exemple, la démarche Bâtiment Durable Nouvelle Aquitaine portée par ODEYS.
Comment vous-y êtes-vous pris pour rédiger cette charte ?
Début 2022, nous avons rassemblé au sein du groupe de travail, des professionnel. le.s du bâtiment présents sur le territoire sud-aquitain, signataires du Manifeste pour une Frugalité heureuse et créative et/ou membres de l’association Bizi!. Dans un premier temps, nous nous sommes retrouvé.e.s pour réfléchir sur la finalité de la charte, les problématiques auxquelles répondre, les principales cibles, les passerelles avec des outils existants…, afin d’adapter le fond et la forme de la charte. Puis, nous nous sommes réparti la rédaction des fiches thématiques.
La phase la plus longue a été celle de la relecture car nous avions beaucoup de choses à dire ! Mais nous nous sommes efforcé.e.s d’aboutir à un document pédagogique tout en étant synthétique. Le principal objectif est d’impulser une démarche sur le territoire et non pas de devenir une référence technique.
Comment comptez-vous la faire connaître aux différents acteurs/publics concernés ?
La prochaine étape est bien évidemment de la diffuser et la présenter au plus grand nombre : élu.e.s, bailleurs sociaux, professionnel.le.s mais aussi aux habitant.e.s du territoire, lors d’évènements comme le Camp climat de Bizi! ou la « Faîtes » de l’éco-habitat à Biarrotte, mais aussi par des articles dans la presse et des posts sur les réseaux sociaux. Et en parallèle, nous souhaitons organiser des rencontres avec les acteurs concernés pour engager concrètement la métamorphose écologique et sociale du bâtiment. Un beau programme !