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Épuisement, surmenage, burn-out en milieux engagés. Un militant actif ouvre le débat dans nos colonnes : un appel à la vigilance et à la lucidité collectives.
Elles sont rares les chroniques que j’ai pu rédiger où je parle à la première personne. Et loin de moi l’idée de venir donner ici des leçons. Septembre 2023 : après deux alertes physiques, mon médecin décide de me mettre en arrêt maladie. Début octobre, les mots sont posés : burn-out, épuisement professionnel, surmenage. Il m’a moi-même fallu quelques jours pour les intégrer, mais par la suite, je n’ai jamais eu de difficulté à les exprimer. Beaucoup plus souvent que je ne l’aurais pensé, j’ai perçu de la part de mes interlocuteurs un étonnement au fait que je verbalise si simplement la chose, certaines personnes me confiant même avoir elles-mêmes vécu pareille situation, sans jamais avoir osé le dire dans les structures dans lesquelles elles militent.
Des bénévoles et salarié·es sous pression
Au cœur de cette problématique se trouve un paradoxe : les acteurs du milieu associatif, bénévoles ou salarié·es, sont souvent les premiers à se laisser dévorer, de manière consciente ou inconsciente, par l’épuisement professionnel ou bénévole. Les membres de conseils d’administration qui portent bénévolement sur leurs épaules les responsabilités de gestion ou d’employeur, se retrouvent fréquemment confrontés à un stress parfois comparable à celui de dirigeants d’entreprises. Mais à la différence de ces derniers, les ressources financières et humaines pour faire face à ces défis sont souvent limitées. Même si le phénomène peut être décuplé concernant les salarié·es, il touche également les bénévoles. La frontière entre vie professionnelle et vie personnelle s’estompe, les heures supplémentaires non rémunérées ni même comptabilisées s’accumulent et les journées à rallonge deviennent monnaie courante. Il est ironique de constater que nos structures dont la vocation première est de promouvoir le bien-être collectif et qui rêvent souvent d’un monde meilleur, puissent engendrer ainsi de la souffrance au sein de leurs équipes. Cette contradiction fondamentale ne peut être ignorée, car elle interroge les fondements mêmes de notre engagement. Jacques Ion, notamment dans « La fin des militants ?« , soulevait déjà en 1997 des questions cruciales sur l’évolution de l’engagement militant. De même, les travaux de Pascale Dominique Russo dans « Souffrance en milieu engagé » et de Simon Cottin-Marx dans « C’est pour la bonne cause ! » mettent en lumière les défis auxquels sont confronté·es les militant.es (salarié·es ou pas) de structures qui œuvrent dans le milieu social, médico-social ou associatif.
Prendre soin de l’individu au service du collectif
Il est nécessaire de prendre conscience que le « bien-être militant » est aussi essentiel que la réussite de nos luttes et que ce concept ne devrait pas être un oxymore, mais une réalité tangible que chaque organisation devrait s’efforcer de traiter. Cela implique de reconnaître que prendre soin de soi et des autres est un acte de résistance en soi. En tout cas, il est important que les personnes qui militent dans nos structures aient les espaces et les outils pour alerter et témoigner. Des militant.es épuisé.es et désillusionné·es ne peuvent guère mener à bien les luttes auxquelles elles et ils consacrent énergie et passion. La durabilité de l’engagement passe par la définition des besoins collectifs afin de proposer aux bénévoles des tâches en adéquation avec leurs domaines de compétences et leur organisation personnelle. En reconnaissant nos limites et nos vulnérabilités, nous renforçons notre capacité à mener des luttes efficaces et épanouissantes tout en intégrant le plus grand nombre de bénévoles.
« En reconnaissant nos limites et nos vulnérabilités, nous renforçons notre capacité à mener des luttes efficaces et épanouissantes tout en intégrant le plus grand nombre de bénévoles. »
Les solutions ne sont pas évidentes, ces sujets faisant également l’objet de beaucoup de non-dits. Il convient de renforcer la bienveillance collective afin de prendre la mesure de la situation. Enfin, ce constat ne doit pas signifier la fin de l’engagement militant, mais simplement lui redonner la place qu’il doit avoir et s’accorder quelques reculs stratégiques ponctuels. Car il n’y a aucun doute, le militantisme et le bénévolat sont des leviers de réalisation personnelle et collective incroyable, une aventure humaine avant tout qui, dans la majorité des cas, est source de convivialité et de réelle joie partagées.
Une réflexion sur « Des militant·es heureux·ses pour gagner les batailles de demain »