Le rapport Bové voté au Parlement européen

En votant presque à l’unanimité le rapport présenté par José Bové, vice-président de la commission agriculture du Parlement, les députés européens de tous pays et de toutes obédiences politiques ont cadré le débat sur la future politique agricole commune de façon capitale.
En effet, nous sommes à un moment crucial car la PAC est promise à une importante réforme à compter du 1er janvier 2014, réforme qui sera donc débattue en 2011, 2012 et conclue en 2013. Or la PAC, c’est 40 % du budget de l’Europe, répartis entre deux piliers, le plus important, le premier pilier, apportant des aides directes en soutenant les prix agricoles, le second pilier apportant des crédits au développement rural dans son ensemble.
Le vote du Parlement européen, intervenu en amont des premiers textes qui seront mis en débat par la Commission Barroso, a donc «cadré» les choses, et de ce cadrage, la Commission devra tenir compte car elle sait que, au bout du parcours, en 2013, le vote positif du Parlement est désormais obligatoire pour que ses options soient adoptées. Le rapport Bové développe une analyse de la situation du monde agricole dans la «chaîne alimentaire» européenne depuis 1996. Leurs revenus n’ont augmenté que de 2,1% sur la période, quand les prix augmentaient de 3,3%, et les charges d’exploitation de 3,6%. De fait, la répartition des revenus entre les trois grandes catégories de professionnels qui participent à la chaîne alimentaire européenne, agriculteurs, transformateurs et distributeurs, évolue donc au détriment de ceux qui fournissent la matière première, céréales, lait, fruits, légumes, etc.
Sont particulièrement visées les grandes chaînes de supermarchés et les très gros industriels du secteur en raison «des processus de concentration [qui], surtout au niveau de la distribution de détail, ont débouché sur des situations de déséquilibre entre les divers acteurs». Le rapport dénonce ainsi «des rapports de forces inégaux [qui] ont un impact négatif sur la compétitivité de la chaîne d’approvisionnement alimentaire, dans la mesure où des acteurs performants mais de plus petite taille peuvent être contraints de travailler avec des marges bénéficiaires réduites, ce qui limite leur capacité d’investir».
Et le rapport de faire ensuite 64 propositions pour rétablir cet «équilibre», en enjoignant à la Commission et aux États de «s’atteler d’urgence à la résolution du problème que représente la répartition inégale des bénéfices dans la chaîne alimentaire en vue tout particulièrement d’assurer aux agriculteurs des revenus adéquats». Ces propositions jouent sur les différents éléments clefs qui conditionnent le secteur: la transparence des prix qu’il faut garantir, les mécanismes de concurrence, faussés par le poids des trusts et qu’il faut rétablir, la lutte contre les abus de pouvoir, la spéculation qu’il faut combattre pour en finir avec l’extrême
volatilité des cours des matières agricoles, l’autorégulation à promouvoir en créant des concertations effectives entre les différents secteurs et en y renforçant la place des organisations de producteurs, la mise en place de «systèmes alimentaires durables», en insistant sur la «qualité des denrées», et enfin en impliquant les consommateurs par l’auto-approvisionnement par exemple en modifiant les conditions d’accès à la restauration collective.
Face à ce rapport rédigé à l’initiative de la commission agriculture du Parlement les «lobbys» ont été pris de court, eux qui concentrent leur poids au niveau du «gouvernement» de l’Europe, la Commission Barroso, et au niveau des États. Leur réaction a été, à la demande de présidents de groupes qui leur sont favorables, de faire voter les propositions les plus offensives par des votes séparés afin qu’elles soient démantelées une à une en cas de vote négatif. Ainsi 26 propositions étaient visées.
Seules deux d’entre elles ont été rejetées: celle qui demandait que les justificatifs d’achat de produits agricoles par les distributeurs et les transformateurs garantissent contre la vente à perte, et celle qui préconisait un traitement préférentiel pour les petits producteurs lors de l’adjudication de marchés publics. L’essentiel du texte a donc été voté qui prévoit, entre autres: amélioration de l’instrument européen de surveillance des prix alimentaires, mise en place d’un «observatoire européen des prix et des marges agricoles», demande d’apporter une «réponse énergique à la position dominante des négociants de l’agro-alimentaire, des fournisseurs d’intrants, des transformateurs et des distributeurs», «possibilité d’introduire des mesures correctives là où la part de marché d’un détaillant présente des effets anti-concurrentiels», interdiction de la vente à perte, renforcement des organisations agricoles dans le cadre de l’organisation des marchés, différenciation des normes applicables aux produits à fort ancrage territorial, qui se distinguent par la spécificité et la typicité locales, mise en place de médiateurs, lutte contre les «pratiques déloyales», lutte contre la spéculation mondiale sur les ma-tières premières, mesures favorisant les circuits courts de distribution, encourager l’autoconsommation et les marchés de producteurs dans le réexamen des normes européennes, etc.
Bref, une approche totalement nouvelle a été adoptée par le Parlement européen, en mettant l’accent sur une priorité: garantir des revenus équitables pour les agriculteurs. La Commission Barroso devra en tenir compte dans les propositions qu’elle fera pour la future Politique agricole commune. Car, au bout du processus, le vote conforme du Parlement européen sera requis pour l’adoption de cette directive capitale pour l’avenir de l’Europe, en raison du Traité de Lisbonne qui place l’agriculture parmi les compétences soumises au processus de codécision. Le Parlement a donné un cadre. Il est radicalement différent de ceux qui avaient cours jusqu’à présent.

François Alfonsi

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