Mardi après midi, il y avait du monde au FIPA de Biarritz pour la projection unique «El precio de la libertad», d’Ana Muguraren, série en deux épisodes produite par la télévision basque EITB et la télévision espagnole TVE.
Face à certains produits télévisés présentés comme particulièrement «sensibles» (la naissance de l’organisation basque ETA, jusqu’à la proclamation de son auto-dissolution de 1981), il convient d’adopter quel-ques réflexes de méfiance, en particulier celui de se demander «à qui profite le crime», en l’occurrence comprendre ce que le film a à nous vendre, dans un contexte politique où l’ETA a annoncé voici un an la fin de ses actions militaires.
La réalisation de ces deux volets d’1h20 chacun n’appelle pas de commentaires particuliers, Ana Muguraren illustrant sans talents particuliers une production comme il en existe beaucoup aujourd’hui sur les écrans de la péninsule, mais avec un rare savoir-faire dans le contresens de l’illustration musicale (entre rythmes mariachis pour le basculement dans la clandestinité du personnage principal, et hymne national français quand les protagonistes rentrent pour la 1ère fois en Pays Basque français).
Dépendance et propagande
Le film se concentre sur la vie de Mario Onaindia, notamment cette période comprise entre le fameux procès de Burgos (1970), où il fut condamné à mort (peine commuée en prison à vie, puis en extradition), et l’auto-dissolution de l’ETA politico-militaire en 1981 à laquelle il contribua activement, avant de se retrouver lui-même sous la menace de l’organisation basque par la suite.
Face à la complexité de la «question bas-que», le choix de cet axe de narration ne doit strictement rien au hasard.
Deux heures quarante durant, le parcours de cet étudiant idéaliste natif de Lekeitio (Biscaye) poursuit plusieurs objectifs, qu’il atteint sans courage ni économie de fi-celles.
Les conclusions recherchées peuvent alors clore le film.
1) ETA n’avait plus sa place au Pays Basque à partir de 1981 (et la trêve proclamée à Biarritz), et les 30 années qui ont suivi ne portent plus d’autre idéologie que l’assassinat d’innocents et le massacre du rêve d’un peuple.
2) La gauche indépendantiste abertzale doit être rangée avec les nostalgiques du franquisme dans un même déni de démocratie.
3) Tout se passe bien quand les socialistes basques (Mario Onaindia) dialoguent avec la droite (à cette période, Adolfo Suarez, ancien PDG de la télévision espagnole sous Franco, puis président du gouvernement de transition, à la mort de celui-ci).
Y voir la plus jolie illustration de l’accord de gouvernance actuelle en Euskadi entre les socialistes du lehendakari Patxi Lopez et la droite du Partido Popular, union contre nature pour écarter le parti nationaliste basque PNV après des élections sans parti abertzale autorisé, a désormais un support.
Et un prix. Non pas celui de la liberté, accolé à cette série, mais bien celle de la dépendance et de la propagande active, c’est à dire à un niveau supérieur de celui de la caricature, que l’on peut parfois excuser.
Une pratique que l’on espérait datée ou plus subtile, que les télés TVE et EITB ont pourtant su mettre en musique pour la plus grande satisfaction de leurs donneurs d’ordres.
Dans la salle de Biarritz, seuls les spectateurs non locaux seront repartis en se disant «ah, quand même…».
Eléments de mise en scène
L’ETA, une organisation sourde à toute logique autre que criminelle à partir de 1980Le premier volet se concentre sur l’aspiration (dépeinte comme légitime) à une autre forme de résistance à la dictature franquiste que «l’attitude molle du PNV», principal parti politique basque, une double conjonction à même de réunir une poignée d’étudiants dans un mouvement de contestation syndicale, culturelle, politico-militaire (ETA-pm), et militaire (ETA-m).
Le procès de Burgos de 16 d’entre eux renforce la justification de cette décision (notamment par le rappel de la solidarité internationale qui l’accompagna) mais également, en parallèle, le début du processus de délitement de l’organisation ETA.
Marxiste basque face aux juges militaires franquistes, Mario Onaindia commence à douter en prison d’un soutien réel de l’ETA, jusqu’à, à la fin de la série, réduire son projet au fait de «tuer pour des idées» tous ses contradicteurs.
Par la suite, au début de 1980, les membres d’ETA sont essentiellement dépeints comme des êtres obtus ne poursuivant que des buts aussi irréalistes que criminels.
Dans la même problématique de scission d’un mouvement politico-militaire, Ken Loach avait fait preuve de bien plus de subtilité (et de talent) dans le cas du conflit nord-irlandais, avec «Le vent se lève», Palme d’Or à Cannes en 2006.
Ramuntxo Garbisu
Article publié sur le blog de Ramuntxo Garbisu
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