SIGNEE par 21 personnalités (1) dont quatre prix Nobel et présentée
le 29 mars au parlement européen, la «Déclaration de Bruxelles»
demande aux deux parties en présence dans le dernier conflit armé
d’Europe occidentale, de faire des efforts l’un vers l’autre pour
résoudre leurs divergences et parvenir à une paix durable: qu’ETA
déclare un cessez-le-feu permanent et supervisé par une instance
internationale chargée de vérifier sa mise en œuvre et le garantir;
et que le gouvernement espagnol développe une démarche de dialogue.
Le texte salue en préambule l’engagement public de la gauche
abertzale dans le recours à des moyens exclusivement politiques et
démocratiques et demande à ETA des actes précis. Il demeure en
revanche très flou quant aux actes que le gouvernement espagnol
devrait mettre en œuvre. Rien de concret n’est indiqué.
Interrogé par les journalistes sur ce que doit faire l’Espagne,
l’avocat sud-africain Brian Currin a répondu à titre personnel, donc
sans engager les autres signataires: Madrid devrait garantir à la
gauche indépendantiste le droit de se présenter aux élections et
rapprocher les prisonniers politiques bas-ques. L’avocat a condamné
le récent meur-tre du policier français Jean-Serge Nérin par ETA dans
la région parisienne, quelques jours auparavant. Que devrait faire la
gau-che abertzale en cas d’attentat d’ETA? Pour Brian Currin, elle
devrait le condamner, avec le risque de scission que cela suppose
entre les tenants de la négociation et ceux de la poursuite de la
lutte armée.
Le PSOE n’est pas aux ordres
Vingt quatre heures plus tard, le 30 mars, la secrétaire à la
politique internationale au sein du PSOE, Elena Valenciano, a répondu
que cette déclaration de Bruxelles n’était qu’une opinion de plus,
émise certes par des personnes respectables, mais qui ne représentent
qu’elles-mêmes. Elle n’aura aucune incidence sur le travail du
gouvernement espagnol qui «ne va pas agir en suivant ce qu’on lui
dit». Pour faire bon poids, Diego Lopez Garrido, secrétaire d’Etat
espagnol pour l’Union européenne, indique qu’aujourd’hui en Europe,
personne ne croit à une possible négociation avec ETA, la fin de
l’organisation terroriste passe par l’unité et la lutte «avec les
armes de l’Etat de droit» (2). En clair, une belle fin de non recevoir.
La gauche abertzale, quotidien Gara en tête, a en revanche monté en
épingle la déclaration de Bruxelles: opportunité historique à saisir,
inscription sur l’agenda international, nous serions à la veille de…
etc. Il se murmurait déjà dans la mouvance qu’ETA allait faire une
déclaration de la plus haute importance lors de l’Aberri eguna.
Déclaration historique
ou pet de lapin
Finalement, le 4 avril, nous avons eu droit à une interminable
logorrhée en sept points sur le combat historique d’Euskadi Ta
Askatasuna en faveur de la liberté, la cruauté de la répression
qualifiée de chemin stérile, les horribles mensonges du ministère de
l’Intérieur espagnol, le droit des Basques à décider de leur destin
sans ingérence aucune, la pression politico-médiatique, l’ignoble
volonté d’assimilation d’Euskal Herria par la France et l’Espagne,
les interrogatoires clandestins, la nécessaire reconnaissance des
droits d’Euskal Herria, le souci d’ETA de parler au peuple de manière
honnête et transparente, la nécessité de construire un processus
démocratique sur des bases so-lides… pour affirmer que la fusillade
qui a coûté la vie le 16 mars à un policier français a eu lieu
«contre la volonté d’ETA» et enfin prononcer LA phrase historique:
«ETA est prêt à accomplir les pas nécessaires sur la voie du
changement politique et dans le domaine qui le concerne». Bref, une
vraie déclaration du type pet de lapin qui en a déçu plus d’un au
sein de Batasuna et du nouveau groupe Independentistak, organisateur
d’un Aberri eguna. Cette mise en scène ressemblait fort à ces acteurs
d’opéra qui chantent bruyamment: Marchons! Marchons! mais ne font que
lever la jambe en faisant du sur place.
La déception est d’autant plus forte qu’a-près le meurtre du policier
français, l’ex-Batasuna avait demandé instamment à ETA qu’il
«s’engage favorablement dans le développement d’un processus
démocratique». Pour l’instant, il n’en sera rien et la fusillade de
Dammarie-les-Lys le 16 mars, a cueilli à froid tout le monde, y
compris Brian Currin et ses amis (3), avec les effets politiques
dévastateurs que l’on devine. Se promener à huit ou dix dans la
région parisienne avec à la ceinture des 357 Magnum et leurs
munitions, voler quelques grosses cylindrées en séquestrant l’employé
d’un depôt-vente, puis s’affronter avec la police française et tuer
un de ses membres, ne manifeste pas vraiment une grande volonté de
laisser les armes au vestiaire pour favoriser l’action politique.
Cela contredit et réduit à néant ce que l’on peut solennellement
raconter par ailleurs. Souffler alternativement le chaud et le froid
détruit toute crédibilité.
Cesser d’être à la remorque
Le double langage et le marché de dupes sont donc toujours de mise
sur fond de désaccords internes qui menacent. ETA use et abuse du
mythe qu’il représente encore au sein de
sa mouvance. Ne seront convaincus par les déclarations alambiquées et
la langue de bois de la gauche abertzale que ceux qui le veulent bien
ou qui, dans leur tête, n’ont pas encore coupé le cordon ombilical.
Une raison de plus pour que les abertzale d’Iparralde se détournent
d’un groupuscule militaire, dont on peut se demander s’il n’est pas
atteint jusqu’au cœur par la «bleuite», arme majeure aussi efficace
qu’invisible de tous les services et autres polices de la planète.
Ne nous faisons pas d’illusion. Au Sud, la trêve de fait, mi-chèvre
mi-choux, ses hauts et ses bas sur fond de mise au placard, en prison
ou dans l’opposition, des partis abertzale faits comme des rats par
les Espagnols, tout cela peut durer des décennies. L’Espagne qui a
mis en œuvre la formule fera tout pout cela, tant le bénéfice
politique qu’elle en retire est énorme. ETA et Batasuna sont dans la
situation qui est la leur depuis près de huit ans. Durant ces années,
ils n’ont pas évalué correctement le rapport de force et la
détermination de leur adversaire, tant sont lourdes leurs œillères
idéologiques et leur aveuglement. Souvenons-nous à ce sujet du
commentaire du leader indépendantiste catalan Josep-Lluis Carod-
Rovira après sa rencontre à Perpignan des deux dirigeants d’alors,
Antza et Urrutikoetxea: croyant toujours à la vieille théorie de la
socialisation de la souffrance… les outils étaient en place pour que
le piège espagnol se referme sur la gauche abertzale et le Pays
Basque tout entier. La capacité d’adaptation d’ETA/Batasuna est
faible, ils ont à chaque étape un temps de retard sur leurs
adversaires qui mènent le jeu avec le succès que l’on connaît.
(1) L’ex président sud-africain Frédérick De Klerk, l’archevêque
Desmond Tutu, les ex-premier mini-stres irlandais John Hume, Albert
Reynolds et Mary Robinson, la fondation Nelson Mandela, Jonathan
Powel (ex-chef de cabinet de Tony Blair), Raymond Kendal (ex-
secrétaire général d’Interpol), la prix Nobel irlandaise Betty
Williams, etc.
(2) Ou en réalité en violant l’Etat de droit, mais cela, personne ne
l’a relevé.
(3) Evidemment, tout cela ne doit rien à l’improvisation, ETA et
Batasuna savaient depuis des semaines que cet appel de Bruxelles
était dans les tuyaux.
“Qu’ETA déclare un cessez-le-feu permanent et supervisé par une
instance internationale chargée de vérifier sa mise en œuvre et le
garantir; et que le gouvernement espagnol développe une démarche de
dialogue.”
“ETA est prêt à accomplir les pas nécessaires sur la voie du
changement politique et dans le domaine qui le concerne.”
(3) Evidemment, tout cela ne doit rien à l’improvisation, ETA et
Batasuna savaient depuis des semaines que cet appel de Bruxelles
était dans les tuyaux.