2001-2011, dix ans bientôt écoulés depuis la scission de la gauche abertzale d’Iparralde. Un bien triste anniversaire qui ne survient heureusement pas ici dans le même contexte qu’en Hegoalde, où l’on peut encore craindre que militants de Batasuna et d’Aralar ne soient pas à la veille de s’inviter à partager des côtelettes grillées par un beau soir d’été.
Dix ans de perdus?
Ici, au Pays Basque Nord, la situation est bien différente. Ce n’était pourtant pas gagné, il y a encore deux ans, lorsque AB (et EA) d’un côté et Batasuna de l’autre affrontaient les élections européennes avec des logiques différentes, la tension étant parfois pour le moins palpable. Mais cet épisode mis à part, les développements du contexte politique de ces dernières années ont favorisé une certaine «digestion» de la scission de 2001. Parmi ces développements, deux facteurs majeurs sont à distinguer, à mon avis. Le premier, l’expérience Euskal Herria Bai. Bien sûr, d’aucuns dans chaque camp porteront un regard parfois moins complaisant que le mien sur les trois campagnes que la coalition porte à son actif avant les cantonales de cette année. Mais sans entrer dans l’analyse des résultats, il me semble clair que le chemin mené en commun a permis et permettra toujours davantage d’aplanir les divergences pourtant réelles qui nous opposaient. Le retour à un climat de confiance et la pratique du travail en commun portent en eux les conditions favorables à la future disparition de ces divergences, du moins peut-on l’espérer.
Le second facteur est le processus interne à la gauche abertzale dite «officielle» ces derniers mois, ayant abouti à la création de la nouvelle formation Sortu. C’est une étape supplémentaire et —espérons-le— décisive dans le chemin de l’affranchissement par le politique de sa tutelle militaire au sein du mouvement basque. De l’abandon des principes de KAS à l’Alternative dite «démocratique», puis aux nouveaux pas franchis lors des accords de Lizarra-Garazi, des principes de «Orain Herria, Orain Ba-kea», des diverses déclarations s’étant succédé entre l’échec des négociations de Loiola et aujourd’hui, à la motion «Zutik EH» enfin, l’équilibrage constant a fini par laisser le champ libre à la seule action civile et politique. Ce processus est assurément la marque d’un mouvement qui se met en phase avec les réalités du Pays Basque d’aujourd’hui. Dommage que cela ait pris autant de temps, mais c’est une évolution à saluer, à accompagner, ne serait-ce que pour favoriser son irréversibilité.
El camino se hace al andar
Machado disait que le chemin se crée en marchant. Ce n’est pas parce qu’ETA semble sortir du jeu que le conflit basque est réglé, ni même que tout ce qui posait problème au sein du monde aberzale a disparu. Mais les dynamiques peuvent être souvent plus fécondes par elles-mêmes et en s’auto-alimentant, que les grandes décisions les plus solennelles. Il ne s’agit plus de porter un message politique conditionné par des intérêts d’une autre nature, surtout militaire; il s’agit désormais de porter un message politique pour les intérêts propres de ce dernier, cela nécessitant d’être en phase avec ce que la population est capable d’entendre et cela au risque de disparaître du terrain politique, maintenant le seul à disposition puisque le terrain militaire a disparu. Et sur ce terrain qui est celui du bon sens, libéré de tout dogmatisme parasite mais sans pour autant sacrifier la radicalité sur l’autel du pragmatisme, tous les abertzale finiront peu à peu par se retrouver sur les mêmes bases. C’est en tout cas le pari que je me plais à faire. Cela prendra encore du temps, plus qu’il n’en faut à des graines de litchee pour fleurir en une belle plante (NDLR: environ quatre mois en arrosant bien), mais moins qu’à un ministre français pour reconnaître un autocrate.
Le chemin sera long, mais il le sera d’autant moins que le monde abertzale aura su prendre le temps nécessaire à un aggiornamento commun. Pas besoin de dossiers soporifiques, encore moins de procès sur qui a fait quoi ou est responsable de telle situation, pas besoin non plus de déterrer le valeureux notaire labourdin Xurio pour en rédiger des actes en bonne et due forme, pour solde de tout compte. Mais poser sereinement sur la table les grandes questions encore en suspens et voir ce qui peut nous rassembler sur un chemin commun me paraît opportun.
Vers des assises du mouvement abertzale?
Ces questions ne manquent pas: projet institutionnel pour Iparralde, stratégies électorales et notamment politique d’alliances, logiques de construction nationale, conception de la territorialité, de l’autodétermination et du conflit basque en général, projet politique et notamment équilibre entre thématiques abertzale et questions sociétales dans le message à délivrer au quotidien… Au-delà du message, la pratique et les cultures politiques sont aussi à clarifier: absence de velléité de leadership, lien avec Hegoalde et les partis locaux (notamment avec Sortu et Aralar), question des moyens matériels et humains, et bien sûr avenir organisationnel de la gauche abertzale d’Iparralde…
La stratégie politico-militaire était loin d’être le seul point de discorde, les autres mettront du temps à se résoudre. Mais moins on mettra de temps à lancer ce grand débat, plus vite le fossé entre tendances abertzale achèvera de se combler. Intuitivement, et si rien ne vient bouleverser le contexte surgi ces derniers mois en Pays Basque, je suis sûr que les esprits seront mûrs dans moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Car comme le dit le fameux dicton bantou: «ingnabe m’bumalawe gawani etiam tutiaz sagu» (intraduisible mais tout y est dit).