Sortu sera absent des urnes le 22 mai prochain pour les élection forales et municipales. Les 16 magistrats, par 9 voix contre 7, en ont décidé ainsi le 23 mars. La haute cour considère dans ses attendus qui pour l’instant n’ont pas été rendus publics intégralement, que Sortu se situe dans la continuité de Batasuna et que ses statuts condamnant longuement et en détail la violence d’ETA, manquent de crédibilité. On se souvient de ces articles des statuts publiés dans Enbata, tant ils étaient significatifs de l’ampleur du revirement et des concessions que la gauche abertzale était obligée de réaliser pour exister sur le plan politique. Sortu était même allé jusqu’à laisser de côté Iparralde, en définissant son champ d’action sur les quatre provinces du Sud (article 2). Cela n’a pas suffi.
Cosmétique et rhétorique
La cour suprême constate dans son jugement que Sortu «respecte matériellement la légalité et la Constitution», mais il ne s’agit que «d’un habillage formel, d’une apparence de légalité». Cet «éloignement tactique de la violence» développé par Sortu rejettant le terrorisme ne serait qu’un «cosmétique, un instrument rhétorique». En d’autres ter-mes, Sortu peut écrire toutes les déclarations qu’il veut dans ses statuts, la cour suprême espagnole ne le croit pas. Elle a suivi les affirmations des policiers chargés d’instruire à charge et pour lesquels le rejet de la violence par Sortu est seulement une «apparence» et en réalité, il n’existe pas «de rupture avec ETA». Pour le procureur, «l’habit ne fait pas le moine», même s’il «respecte apparemment» les canons de la légalité, il n’accepte pas matériellement ses conditions et ETA demeure dans son «ombre»; Sortu n’a pas rompu les «amarres» avec lui.
Que faut-il faire pour que la Cour suprême croit ce qui est écrit dans les statuts de Sortu? Mystère. Quand considèrera-t-elle que ces déclarations seront crédibles? Nul ne le sait. L’avocat de Sortu Inigo Iruin, a beau clamer devant la cour qu’il n’y «aura pas de retour en arrière» de la part du nouveau parti et demander que les magistrats s’en tiennent à l’ordre juridique et non à des appréciations politiques ou subjectives, il n’a pas été entendu.
Tant qu’ETA existe
C’est la huitième fois que cette cour refuse une demande de légalisation émanant de la gauche abertzale. Les pesanteurs historiques ont évidemment joué de tout leur poids dans la décision du 23 mars. Durant dix heures d’intense débat, les magistrats de la cour suprême ont montré l’ampleur de leurs dissensions, alors que précédemment leurs décisions étaient prises à l’unanimité. Un recours est possible en appel auprès du Tribunal constitutionnel qui en 2009, avait accepté de légaliser Iniciativa internacionalista pour les élections europé-ennes, en échange d’un rejet de la violence d’ETA dans un recours de dernière minute.
Apparemment, les juges espagnols suivent les instructions du premier ministre José Luis Rodriguez Zapatero. Celui-ci déclarait le 9 mars à la une d’El Pais: tant qu’ETA sera vivant, le gouvernement fera tout pour que Sortu soit absent des institutions. De son côté, le professeur sévillan de droit constitutionnel, Javier Perez Royo, grand artisan des statuts de Sortu, «a l’impression qu’existe un préjugé et que ce préjugé empêche tout jugement sur une base juridique».
La question qui se pose aujourd’hui pour Sortu est comment il va pouvoir se faire entendre aux prochaines élections. Les cent cinquante mille voix qu’il peut drainer, se-ront-elles condamnées au vote blanc ou nul? S’exprimeront-elles au travers des candidats d’EA? Le maintien au pouvoir des partis basques dans nombre de villes et de députations en dépend.
Autre question: un tel revers infligé à la gauche abertzale, malgré des concessions énormes et difficiles à digérer, ne va-t-il pas fragiliser le camp le plus pragmatique qui œuvre en son sein?
Les fourches caudines furent en 321 avant J.C. la plus grande humiliation subie par les soldats romains qui durent passer un par un, courbés, les mains attachées derrière le dos et après avoir abandonné leurs armes, sous les lances des Samnites. Plus de deux mille trois cents ans après, les Espagnols appliquent scrupuleusement la méthode.
Point de vue juridique
Dans une société politique moderne, un des trois pouvoirs veille à ce que la société demeure démocratique. 7 des 16 juges du tribunal suprême espagnol ont estimé que le cadre légal d’inscription au registre des partis politiques espagnols était rempli par les statuts de Sortu. Le refus des 9 autres est donc une décision politique.
Dire non à Sortu, est-ce un artifice pour maintenir le pays en conflit avec l’Etat? Mais maintenir l’exigence d’un Etat basque, est-ce empêcher la conscience que l’absence de violence réciproque est une valeur démocratique primant l’absence d’identité politique basque? La non-légalisation de Sortu est-elle alors le fruit de l’irrespect du pluralisme politique par les deux camps?
Quelle que soit la qualité intrinsèque de la société politique et du débat démocratique dans la communauté autonome basque (CAB), cette entité reste assujettie à la société politique et au débat démocratique au sein du royaume d’Espagne. Aux yeux du camp minoritaire, ce sont les nationalistes espagnols qui excluent la règle du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et refusent la tenue d’une consultation populaire sur la question d’un auto-gouvernement.
Pour le camp du refus de la légalisation d’un parti nationaliste basque indépendantiste et socialiste, le dogme de l’unité espagnole ne peut être mis à mal comme dans une vulgaire Tchécoslovaquie ou Yougoslavie, voire comme en Belgique. L’Espagne est une nation indivisible et non une nation de nations. Que les nationalistes reconnaissent leur défaite, abandonnent toute idée d’imposer un Etat basque par la violence et qu’ils se soumettent à la tutelle madrilène sur le fait de décider si une consultation populaire peut être ou non organisée dans un territoire infra-étatique!
La tension politique extrême d’une société démocratique se loge donc dans la justification ou l’absence de justification de la possibilité ou non d’organiser des consultations populaires à échelle infra-étatique et le plus grand risque que courre le camp majoritaire, c’est bien l’avènement d’une société profondément démocratique à l’échelle de la CAB, celle du vieil irurac bat des Bascongadas.
Vu d’ici, cette absence d’identité politique et juridique basque, qu’elle soit à l’échelle du zazpiak bat, du laurac bat basco-navarrais ou d’un hirurak bat d’Iparralde, force aussi à penser l’absence de violence réciproque comme valeur démocratique constitutive d’un état universel du droit.
Xavier Abeberry