“Achacun son mur” ! Ce slogan fleurissait à Berlin peu après la chute du mur de sinistre mémoire le 9 novembre 1989 qui précipita la réunification allemande, l’explosion de l’Union soviétique, l’adhésion de pays ex-communistes comme la Pologne à l’Europe… et la fin (supposée) de la guerre froide. Celle-ci vient de resurgir aux limites orientales de l’Europe, en Ukraine, déchirée entre ses voisins européens et russes, alors que les Français et nombre de leurs élus n’ont jamais autant douté du bien-fondé du projet européen. Et que d’autres murs provoquent de nouveaux drames, tels ceux constitués de grillages (armés de lames) aux frontières sud de l’Espagne. Ces barrières ont été installées (voir programme européen Frontex) par l’Etat espagnol entre le territoire de Ceuta/Melilla et le Maroc voisin où des milliers de sans-papiers d’origine subsaharienne ne rêvent que d’Europe.
Beaucoup parviendront à en fouler le sol, mais certains mourront sur le chemin alors que d’autres trouveront une échappatoire précaire. Tels ceux que l’on peut croiser rive gauche de la Bidassoa, à Behobia, le long de ce “mur” naturel poreux, qui n’a jamais réussi à séparer complètement Irun et ses voisines françaises, même aux pires moments de l’Histoire: guerre civile, guerre de 39-45, dictature franquiste, émigration économique…
Faite pour séparer toute frontière politico/administrative est aussi faite, du moins dans la tête des frontaliers, pour être franchie. Behobia est ainsi devenu un résumé du concept de frontière (du latin “frontis”) dans ce qu’il a, à la fois, de plus fascinant et de déprimant, un minuscule brin d’Europe in situ où le meilleur et le pire cohabitent dans la plus totale promiscuité.
La grande et petite Histoire
A l’ouest du bourg, direction Irun, la grande histoire, avec au-delà du pub “Camino rojo” (premier voisin d’un espace de jeux pour enfants!), l’île des Faisans où la signature du Traité des Pyrénées en 1659, scellé par le mariage de Louis XIV avec l’infante Marie-Thérèse d’Espagne, pacifiait les relations entre les deux pays. On n’en est plus là !
Il aura fallu attendre plus de trois siècles pour que les traités européens instaurent la libre circulation des personnes et des marchandises, entrée en vigueur en 1995. Révolution des temps modernes. Disparition des contrôles fixes aux frontières (douanes, police), ce qui n’empêche toujours pas les contrôles mobiles de la police espagnole sur le pont de Behobia. Les jeunes restent ses proies favorites dans le va-et-vient perpétuel des chalands qui préfèrent détourner le regard. Ils n’ont d’yeux que pour les alcools, les cigarettes, l’essence et le brin d’exotisme qu’ils sont venus chercher, généralement indifférents aux immigrants (sans-papiers ou sans travail) errant entre bars, magasins, douane décrépite et parking payant sur lequel les dealers ne se cachent pas pour monnayer leur drogue.
Mondialisation oblige, les asperges chinoises (conditionnées en Navarre) sont devenues monnaie courante dans les ventas et les robes de sévillanes exposées avec de vrais-faux Vuitton sont Made in China. Mais les artichauts primeurs proviennent de Tudela et le savoureux Roncal est navarrais. Fruit d’une époque ambitieuse la tour Zaisa (du nom de la plateforme logistique gestionnaire des zones dévolues aux entreprises de transports routiers) inaugurée en 2009, se dresse sur ses étages, au centre d’une zone d’affaires touchée par la crise, traversée par le chemin de Compostelle que croise année après année, la très populaire Behobia-San Sebastian. 28.000 coureurs en 2013 !
Entre Biriatou et Hendaye, perméable, cosmopolite, multiculturelle
Behobia ressemble désormais à cette Europe fragilisée
par une globalisation porteuse de nouveaux “murs”,
en proie au doute entre ses frontières intérieures et extérieures
Les parias du flux tendu
Direction Pampelune, voir l’extension de Zaisa dotée de son hôtel 3 étoiles moderne, dont le vis-à-vis n’est autre que “La Frontera”, pub bordel ouvert au pied du pont autoroutier. L’ouvrage franchit allègrement la Bidassoa (comme le gazoduc construit en 2005) et supporte ses milliers de camions/jour, pressés par le principe du flux tendu dont les chauffeurs sont autant de parias. C’est Hendaye qui abrite le centre de rétention d’une trentaine de places pour étrangers en situation irrégulière (enfants compris) souvent interceptés en gare internationale.
Entre Biriatou et Hendaye, perméable, cosmopolite, multiculturelle Behobia ressemble désormais à cette Europe fragilisée par une globalisation porteuse de nouveaux “murs”, en proie au doute entre ses frontières intérieures et extérieures. “Je suis horrifée à l’idée que les gens fuyant la pauvreté se retrouvent face à un mur qu’il soit ou non bardé de lames” s’écriait le 7 avril dernier la commissaire européenne à l’Aide humanitaire, Kristalina Georgieva, en évoquant les grillages de Ceuta/Melilla, territoire situé hors espace Shengen, à la frontière entre pauvreté et richesse.
Une découverte vraiment?
C’est un excellent article avec de la chose vue et de l’analyse. Je reconnais bien là la consoeur Anne-Marie : rationnelle et sensible. Documentée et engagée. Claire et simple. Une réelle brassée de talent pour un brin d’Europe à Biriatou !