La sentence est tombée le 16 septembre. Le tribunal espagnol en charge des
affaires politiques basques, a décidé d’incarcérer Arnaldo Otegi, mais aussi l’ex-dirigeant du syndicat LAB, Rafa Diez, ainsi que Miren Zabaleta Telleria, Arkaitz Rodriguez Torres et Teresa Palacios.
En 144 feuillets, le jugement explique les raisons de cette condamnation. Le lecteur y cherchera en vain un seul élément de preuve. Le texte se contente d’affirmer que ces hommes et ces femmes se sont constitués en groupe, ce qui donne le nom au dossier, Bateragune. Ils ont été les destinataires d’ordres venus d’ETA dont ils font partie. Où sont les ordres ou les messages d’ETA leur donnant des instructions? Dans ses attendus, le tribunal n’en indique aucun et encore moins la preuve de leur appartenance à l’organisation armée bas-que. L’Audiencia nacional appuie sa sentence sur une «multitude d’interférences logiques d’où émanent de fortes suppositions». Lesquelles? On ne sait pas. Elle évoque les ré-unions des condamnés au siège du syndicat LAB à Donostia et en Iparralde. Avec qui? Personne n’en sait rien. L’autre élément qui convainc l’Audiencia nacional est «la nomenclature et la terminologie identiques utilisées par ETA et la gauche abertzale dans les documents que les dirigeants de cette gauche ont rendu publics». Le tribunal considère que ces cinq dirigeants «n’ont pas suffisamment pris leurs distances avec les thèses de la lutte armée». Or tout le monde sait que les prises de position d’Arnaldo Otegi sur ce sujet ont précisément eu un retentissement immense il y a des mois. Elles allaient au-delà de ce que l’on pouvait attendre d’un dirigeant de la gauche abertzale. Mais pour les Espagnols, ce n’est pas suffisant, le verre n’est jamais assez plein, même lorsqu’il déborde.
Cette parodie de justice pourrait prêter à sourire si l’affaire n’était aussi grave. Hormis Rafa Diez, tous les autres condamnés sont déjà incarcérés. Ils ont évidemment fait appel et le dossier Bateragune sera présenté devant la Cour suprême.
Le groupe des militants inquiets
Tout le processus de paix que nous vivons actuellement fut lancé par Arnaldo Otegi et ses quatre compagnons dès sa sortie de prison le 30 août 2008. Dés octobre, un premier noyau «intergénérationnel» est rapidement constitué. En novembre dans une interview, puis au Kursaal le 17 janvier 2009, Otegi présente ses thèses auxquelles adhérent peu à peu nombre de cadres et de membres de la gauche abertzale. Le groupe «informel et ouvert» se constitue en «courant d’opinion» et en «lobby», il se présente souvent comme «un groupe de militants inquiets». Le 13 octobre 2009, Bateragune tient sa dernière réunion au siège donostiar de LAB, pour mettre la dernière main à ses textes fondateurs. Quatre heures plus tard, la police espagnole investit les locaux du syndicat basque. Mais des centaines de courriers électroniques sont déjà partis. La grande mutation de la gauche abertzale est lancée, l’Espagne qui a tant intérêt à ce qu’elle avorte vient d’échouer dans son opération de blocage. 709 jours plus tard, le processus est toujours en marche.
La réaction d’Arnaldo Otegi face à la condamnation qui le frappe a été lapidaire: «Que personne ne dévie de cette route, parce que nous allons gagner». Elle s’adresse évidemment à tous ses amis abertzale. La plupart des réactions publiques sont négatives. Curieusement, même le Lehendakari Francisco Lopez ne fait guère preuve d’enthousiasme. Comme il se doit, seuls le PP et les Associations de victimes d’ETA applaudissent vraiment l’Audiencia na-cional.
La sentence de la cour espagnole est un échec pour le fameux groupe de contact international dirigé par le «facilitateur» Brian Currin dont on peut se demander à quoi il peut servir, face à l’intransigeance de Madrid. Ga-geons que cette attitude bête et massive apportera davantage d’eau au moulin de Bildu pour les élections législatives du 20 novembre. Elle creuse un peu plus encore le fossé d’incompréhension entre Euskal Herri et Espagne.
Elle aura aussi pour effet de sculpter magnifiquement la statue d’un leader qui avec ses amis, traverse cette épreuve. Soyons certains qu’à sa sortie de prison, Arnaldo Otegi aura la carrure d’un Nelson Mandela.