Mikel Epalza, prêtre
Il y a 50 ans, j’en avais 15. Deux ans après, la revendication basque était proclamée entre une poignée d’«enbata zikin» dont je faisais partie. Mais, au sein de ce beau terroir d’Iparralde, une secousse tellurique va faire germer une vie extraordinaire. On ne cache plus sa «basquitude», on ne se résigne plus à mourir au pays, après avoir vécu ailleurs pour survivre. Durant 50 ans, les femmes et les hommes de ce pays se sont battues pour vivre, travailler, décider au pays et sauver l’euskara. Voilà que va éclore un printemps inattendu dans tous les domaines, du fronton à l’école, de l’église au bureau de vote, de la montagne à la mer, de l’atelier au commerce. Mon professeur de français de l’époque, l’abbé Pierre Lafitte, parlait de «l’irrédentisme basque», de ce qui fait qu’«un basque n’est ni français ni espagnol; il est basque» comme l’a écrit Victor Hugo. Alors, certes en 2011, les analyses approfondies révèlent des indicateurs inquiétants: manque flagrant d’Institution propre, manque de logements sociaux, insuffisance d’une politique de l’emploi notamment en direction des jeunes, état calamiteux du foncier qui nous rend «étrangers» chez nous, une répression qui ne baisse pas la garde, etc.
Mais, il y a un indicateur que personne n’a en main et qui est, à mes yeux, le plus important: celui qui prend la mesure de l’âme basque, de l’extraordinaire énergie à vivre que dégage notre pays. Tous les bergers qui s’accrochent à leur montagne et à la qualité de leur fromage; partout les jeunes désertent la montagne sauf ici! Il y a bien une raison! Les milliers de jeunes qui passent 4 heures, sans broncher, au Jai Alai de St Jean de Luz pour le Bertsu txapelketa. Les enfants, les jeunes, les adultes qui apprennent l’euskara, sans parler de la bonne santé du chant, de la danse, du théâtre, de la littérature, de l’art, de la pelote, des me-dias basques. Les paysans qui font du compost et optent pour une agriculture qui tienne compte de l’avenir. Les jeunes qui reçoivent une formation professionnelles qualifiante comme la réussite d’ ESTIA, de la Technopole Izarbel et des industries nouvelles. Les milliers d’emplois suscités par Hemen-Herrikoa. Les artisans qui de père en fils se transmettent leur savoir et s’unissent. Les circuits commerciaux nouveaux de terre et de mer où on échange des produits de qualité avec une gastronomie bien typée. Les milliers de jeunes qui grandissent à la fois comme euskaldun et citoyens du monde, grâce à Erasmus, à tous les jumelages et surtout à l’ordinateur. Les communes qui restent debout parce qu’elles ont su se fédérer pour relever ensemble les défis de la chose publique. Les passionnés du patrimoine, de l’histoire et de la préhistoire. Sans oublier ceux qui choisissent la force non violente constructive malgré les vagues de la répression, les chaines de soutien aux prisonniers basques, les actions en faveur des droits de l’Homme. Autant de paramètres qui expriment la santé et la vitalité de cette âme basque et bien d’au-tres encore que les amis lecteurs peuvent discerner.
Oui, je suis émerveillé de la capacité de créativité, de résistance pacifique du Pays Basque Nord depuis 50 ans! On a tout fait pour nous étouffer, nous réduire «au gentil basque qui chante et danse aux pieds des Pyrénées». Un peuple est en marche, les jeunes générations ont en eux une sève vivifiante, transfrontalière, joyeuse, besogneuse et surtout irréversible. Certes, il faut réviser les plans de logement, d’occupation foncière et d’emploi. Il faudrait aussi revoir la façon de faire de la politique pour que cette sève se greffe chez tous y compris chez les chômeurs et les blessés de la vie. Il y a dans ce peuple une belle énergie appelée à grandir qui réservera de belles surprises à ceux qui nous veulent couchés et non debout. C’est l’envie de se retrousser les manches, la confiance en nos forces et la solidarité qui aujourd’hui font germer l’espérance pour les 50 prochaines années.