La consultation référendaire prévue pour le 9 novembre suscite des tensions. La tendance la moins souverainiste du nationalisme catalan se marginalise.
Artur Mas, président du gouvernement autonome catalan, n’en démord pas. Le référendum posant la question qui tue, celle du droit des Catalans à disposer d’euxmêmes, aura bien lieu le 9 novembre. Face au rejet des deux principaux partis espagnols le PP et le PSOE, le leader catalan se bat sur trois fronts. Il veut tout d’abord donner un “cadre légal, démocratique et négocié” au referendum. Il a commencé à faire approuver le 16 juillet une loi sur la mise en oeuvre des consultations de ce type. Elle a été approuvée par tous les partis politiques, hormis le PP et la petite formation ultra-jacobine Ciutadans(C’s), et donc par la succursale catalane du PSOE. Cette loi détaille les modalités d’organisation d’un référendum : les instances qui
peuvent en prendre l’initiative (président, majorité relative du parlement avec deux cinquièmes des députés ou trois partis politiques, collectivités locales, pétition de 50.000 signatures), définition du corps électoral, délais de mise en oeuvre, modalités du vote par correspondance et du vote électronique, commissions de contrôle des opérations de votes, etc. L’approbation de cette loi devrait être définitivement bouclée par le parlement catalan le 19 septembre, au lendemain du référendum écossais.
La surprise est venue du vote favorable des socialistes catalans. Ils ont approuvé cette loi, tout en déclarant qu’elle ne servirait pas pour consulter la population catalane sur une compétence qu’elle ne détient pas, celle du droit de décider de son destin. Une contorsion qui en dit long sur la crise que traverse le PSC (PSOE catalan). Divisé et affaibli depuis qu’il a perdu le pouvoir au gouvernement catalan et dans son fief historique de Barcelone, certains de ses dirigeants l’ont quitté pour créer une nouvelle formation : Avancem Nova Esquerra prépare les élections municipales de 2015 et reconnaît à la Catalogne le “droit de décider”. La ligne de fracture porte toujours sur l’acceptation ou le refus du droit à l’autodétermination.
Fédéralisme asymétrique
Les socialistes fidèles à Madrid tentent de convaincre la maison mère sur une grande mutation : faire de l’Espagne un Etat fédéral dans une Europe fédérale, un peu sur le modèle de länders allemands. Il y a un an, avec la “Déclaration de Grenade”, le PSOE a donné son accord de principe pour une telle réforme, sans en préciser le contenu. Le projet des socialistes catalans prévoit aujourd’hui de modifier douze articles de la Constitution, d’établir un nouveau système de finances publiques qui donne aux nationalités un réel pouvoir fiscal et définit les conditions de la “solidarité” entre les régions. Il s’agirait d’une forme de “fédéralisme asymétrique” susceptible d’éviter un éclatement de l’Etat espagnol miné par les velléités catalane et basque. Chaque peuple d’Espagne aurait la possibilité de choisir sa dénomination et donc de se définir en tant que nation. Seuls les termes de nationalité et régions sont aujourd’hui admis par la Constitution. Le PSC propose enfin que les lois organiques votées par Madrid ne permettent plus de re-centraliser le fonctionnement de l’Etat, comme c’est le cas actuellement. Pour l’instant, le PSOE ne s’est pas montré très empressé sur ce projet. Son nouveau leader est d’abord préoccupé d’asseoir son autorité et de reconstruire l’unité d’un parti qui peine à trouver ses marques dans l’opposition.
Le deuxième front sur lequel se bat Artur Mas est celui d’une négociation avec le gouvernement espagnol dirigé par le PP Mariano Rajoy. Ce dernier affiche toujours la même intransigeance : le référendum est illégal et ne se fera pas. Une décision du Tribunal constitutionnel annulera immédiatement toute consultation catalane. Depuis qu’ils exercent leurs fonctions respectives, les deux hommes se sont rencontrés à Madrid le 30 juillet, pour la cinquième fois. Artur Mas souhaite amadouer son interlocuteur et régler l’affaire à l’anglaise. Mais Rajoy n’est pas Cameron et le Catalan se heurte à un mur.
La nouveauté de leur dernière entrevue est qu’Artur Mas a présenté au premier ministre espagnol un ensemble de vingt-trois demandes à négocier avant la fin de l’année. L’histoire ne s’arrête pas le 9 novembre… Quelle que soit l’issue du projet référendaire, Artur Mas prévoit donc la suite et tend la perche. Les demandes catalanes portent sur le budget, le taux de déficit public, les compétences fiscales, la santé, les infrastructures ferroviaires et aéroportuaires, les transports publics, les compétences judiciaires, les moyens audiovisuels et la TVA, les bourses universitaires, la suspension de la loi Wert qui remet en cause le système immersif d’enseignement en catalan (1), etc. Artur Mas se défend de présenter un plan B si le référendum n’a pas lieu, mais cela en a tout l’air. Il refuse d’annoncer ce qu’il fera si l’Espagne déclare illégale la consultation. Enfin Artur Mas a fort à faire sur un troisième front, celui de la cohésion de son propre camp. Le 21 juillet, le numéro 2 de CiU (Convergencia i Unio), Josep Antoni Duran a démissionné du poste de secrétaire général du parti, il conserve toutefois son poste de député et de porte-parole aux Cortes. Depuis longtemps, celui qui dirigeait l’UDC, Unio Democratica de Catalunya, frange la plus centriste et la moins souverainiste de la coalition CiU, trainait des pieds, il émettait des réserves sur la consultation référendaire. Après ce retrait, J. A. Duran souhaite créer un nouveau parti. Son ancienne formation l’UDC n’a toujours pas précisé si elle appellerait à voter oui ou bien donnerait à son électorat la liberté de vote et cela sur la première ou la deuxième question.
Report possible ?
Il y a plus grave encore. Des voix s’élèvent au sein même du gouvernement catalan (CiU) pour envisager l’hypothèse d’un report du référendum, si le Tribunal constitutionnel espagnol met son veto. Le 12 août, Joana Ortega, vice-présidente du gouvernement, s’est clairement exprimée en ce sens. Les indépendantistes républicains d’ERC qui soutiennent le gouvernement sans y participer, ont aussitôt menacé de retirer leur confiance et de priver la Generalitat de majorité parlementaire. Un accord a bien été signé le 12 décembre 2013 entre CiU et ERC pour fixer la date de la consultation et l’intitulé de la question posée (2). Mais ERC redoute toujours de la part de CiU qui rêve d’associer les socialistes à la démarche référendaire, un revirement de dernière minute. En réponse à ces tiraillements, Artur Mas a rappelé le 14 août, 300ème anniversaire de la dernière bataille que les Catalans gagnèrent contre l’Espagne, que son unique but était bien le vote du 9 novembre. En attendant, une vingtaine de fonctionnaires s’activent durant tout l’été pour la préparation technique de la consultation. Une des difficultés majeures à laquelle ils sont confrontés est que plus de 30% de la population catalane vit dans des municipalités dirigées par le PP ou les socialistes. Impossible donc de compter sur les services municipaux de ces villes pour organiser le scrutin, s’il est illégal. Le gouvernement catalan devrait convoquer par décret la consultation avant le 9 octobre et on pense qu’il le fera à la fin du mois de septembre. Le débat demeure ainsi ouvert entre ceux qui sont prêts à mettre en oeuvre un référendum même s’il n’est pas reconnu ou autorisé par l’Espagne et ceux qui préféreraient surseoir et par exemple dissoudre le parlement catalan en organisant des élections qualifiées de “plébiscitaires” (3). Mais juridiquement ce ne seront que des élections régionales.
Le débat demeure ouvert
entre ceux qui sont prêts à mettre en oeuvre
un référendum, même s’il n’est pas reconnu ou autorisé,
et ceux qui préféreraient surseoir
et par exemple dissoudre le parlement catalan
en organisant des élections “plébiscitaires”
Jordi Pujol confesse ses péchés
Une autre “tuile” affecte le camp catalaniste et défraie la chronique. Il s’agit des aveux de Jordi Pujol, président de la Generalitat durant 23 ans depuis la disparition de Franco, ombre tutélaire et père de la nation catalane en cette fin du XXe siècle. Sous la pression judicaire qui affecte son fils sur le plan fiscal, Jordi Pujol a publiquement avoué le 25 juillet qu’il avait caché dans des paradis fiscaux, la majeure partie de la grosse fortune dont il avait hérité de son père en 1980. L’ex-président catalan affirme avoir régularisé la situation, demande pardon et se met à la disposition de la justice. Le scandale touche le clan familial, le fils de l’ex-président est accusé d’avoir déposé pendant des années en Andorre, des sacs de billets de 500 euros. Tout cela fait l’effet d’une bombe dont se réjouissent les partis opposés au référendum. L’argument à l’origine de la consultation était “l’Espagne nous vole”, c’est-à-dire encaisse au nom de la solidarité entre tous les Espagnols, l’argent engrangé par l’économie catalane. Les détracteurs du catalanisme ricanent, les voleurs n’étaient pas ceux que l’on croyait. La Diada ou Aberri Eguna catalan a eu lieu le 11 septembre et a bien entendu pris une dimension particulière, d’autant qu’elle précède de quelques jours le référendum écossais. Les abertzale catalans comptent sur ces deux évènements pour conforter leur démarche.
Le retrait de Josep Antoni Duran comme le scandale qui affecte Jordi Pujol signifient aussi une mutation d’un certain nationalisme catalan à l’ancienne, d’abord autonomiste et gestionnaire. L’opinion publique s’est radicalisée depuis l’échec partiel du nouveau statut d’autonomie et sous l’effet de la crise économique. Artur Mas qui fait partie de la nouvelle génération aux commandes, surfe sur cette nouvelle donne avec une opinion publique et un mouvement social plus organisés que jamais. Contrairement à l’Ecosse, les sondages donnent plutôt le oui gagnant. Cette évolution politique qui passe par de nouveaux équilibres électoraux sera-t-elle un feu de paille ou portera-t-elle des fruits?
(1) Il demande également l’annulation d’un décret royal qui oblige la Generalitat à financer le coût de la scolarisation des enfants exclusivement hispanophones dans des écoles privées, à hauteur de 6.057 euros par élève…
(2) La question posée au peuple catalan le 9 novembre sera double: « Voulez-vous que la Catalogne devienne un Etat? Si oui, voulez-vous que cet Etat soit indépendant? »
(3) Dans l’histoire politique du pays le terme “d’élection plébiscitaire” fait référence aux élections municipales du 12 avril 1931 qui forcèrent le roi Alphonse XIII à abdiquer, aboutirent à la proclamation de la seconde république deux jours plus tard et à l’adoption du statut d’autonomie catalan le 9 septembre 1932.