Référendum écossais d’abord, consultation catalane ensuite. Les velléités d’autodétermination de peuples au sein de la vielle Europe secouent les certitudes des Etats-nations qui se pensent millénaires. Mais quelle serait la voie que les abertzale prendraient si l’opportunité d’une consultation s’ouvrait pour le peuple Basque?
Parmi tous les thèmes qui ont façonné la dernière rentrée politique, il en est un qui a secoué l’Europe entière, c’est celui des processus d’autodétermination en Ecosse et en Catalogne.
Le mouvement abertzale a largement glosé sur cette question, de sorte qu’il n’est nul besoin de revenir ici sur les leçons à en tirer, d’autant plus qu’il s’agit d’une histoire qui connaîtra de nouveaux développements dans les mois à venir, au moins en Catalogne.
Agacement
Si je reviens sur ce sujet aujourd’hui, c’est dans un double objectif. Le premier est en quelque sorte “cathartique” et j’espère que la rédaction d’Enbata ne m’en voudra pas de me servir de cet espace d’expression libre pour me défouler ainsi.
Mais je mettrais ma tête à couper que ce défoulement sera partagé par beaucoup d’abertzale… L’objet de mon courroux tient dans les réactions que l’on a pu observer ou entendre à longueur de médias durant l’épisode écossais puis – dans une moindre mesure – dans son équivalent catalan, relevant la plupart du temps du “les Ecossais n’ont pas à demander leur indépendance ; la reconnaissance de leurs spécificités doit se faire dans le cadre de l’Etat dont ils sont partie, au risque de balkaniser l’Europe”. Je souligne que ce n’est pas la logique du propos qui me choque: penser ainsi est tout aussi légitime que réclamer l’indépendance, et je comprends parfaitement que quiconque n’étant pas concerné par le sentiment d’appartenance à une
identité “régionale” puisse en avoir peur, ou y être hostile. Les opinions, les mieux comme les moins bien informées, sont toutes libres.
Ce qui, par contre, m’énerve au plus haut point, c’est la forme et le ton de ces sentences, selon la personne qui les profère. La plupart de ces politiques, analystes ou chroniqueurs ne disent pas “il me semble que le mieux pour l’Europe serait qu’elle reste fondée sur les Etats actuels”, mais bel et bien “il ne faut pas que” ou “il est anormal que”, avec la suffisance ex-cathedra de ceux qui savent ce qui est bon pour tout le monde. Je n’en ai entendu aucun se demander s’ils avaient la légitimité pour tenir un tel discours concernant l’Ecosse ou la Catalogne, eux qui vivent peut-être dans un arrondissement parisien il est vrai séparé d’Edimbourg par – à peine – un petit millier de kilomètres ; ou si cette légitimité n’appartenait pas plutôt à la population concernée et à elle seule, sans qu’elle ait besoin qu’on lui dise que penser. Venant en outre de Français, cela ressemble fort à une condamnation du petit pickpocket par le gros cambrioleur : dénoncer l’accès d’une nation à l’indépendance au nom du danger de la division, quand on est soi-même un Etat-nation souverain accroché à son pré carré hexagonal (formule que je dédie bassement à mes anciens professeurs de mathématiques et que je soumets en guise de candidature à la médaille Fields), c’est assez gonflé…
Le droit de perdre
Bon, maintenant revenu à un niveau raisonnable de tension nerveuse, j’en viens au second objectif de cette chronique. Au Pays Basque, nous autres abertzale nous sommes réjouis du succès citoyen du référendum écossais, regrettant la défaite des indépendantistes par sympathie voire affinités, mais saluant surtout la possibilité donnée à toute la population écossaise d’avoir pu choisir librement son avenir. “Ha ha, le oui à l’indépendance a perdu”, se gaussent depuis certains, en pensant que cela nous chagrine mais sans se rendre compte que rien au contraire ne nous ferait plus plaisir que d’avoir, nous aussi, le droit de perdre au cours d’un référendum similaire. Mais de droit de perdre, ni la France, ni l’Espagne ne reconnaissent, quelle que soit la question posée et le territoire concerné. Mais ce n’est même pas cet aspect-là qui m’intéresse ici, car il a déjà été maintes fois développé. Ce qui me préoccupe davantage, c’est le fait que nous ne parlions jamais véritablement de la voie que le mouvement abertzale souhaiterait “réellement” prendre si l’opportunité lui était donnée d’un tel référendum. Le schéma classique est déjà connu : un référendum dans la communauté autonome d’Euskadi autour de la question de l’accès à l’indépendance, et un processus différencié pour la Navarre et Iparralde, selon des modalités que personne à cette heure ne maîtrise. En tout cas, une sorte de schéma à l’irlandaise où se créerait un Etat indépendant, espérant que le devenir de ses deux “Ulsters” soit moins conflictuel. Mais quand je dis “réellement”, je cherche à aller plus loin que ce schéma classique.
Que pense vraiment le monde abertzale,
lorsqu’il se représente la place d’un Pays Basque
“libre au sein de l’Europe” ?
Quelle Europe ?
Le discours abertzale, en effet, ne se limite généralement pas à la revendication indépendantiste. Il se dit également, en tout cas en Iparralde, “fédéraliste européen”. Bien sûr, nous n’avons pas la possibilité de peser sur le modèle de construction que devrait suivre l’Europe. Mais tout de même, admettons que nous puissions choisir, que privilégierions-nous ? J’ai tendance, lorsque l’on me tend un micro sur cette question, à répondre que je serais prêt à renoncer à un Pays Basque indépendant si les autres Etats disparaissaient également, dans un effort commun vers la construction d’une véritable Europe politique. C’est bien commode, cela n’engage à rien, c’est utopique à souhait. Mais à cette heure, ce qui m’inquiète est le fait que personne ne soit jamais venu me dire que j’avais raison ou tort, si je pouvais continuer à affirmer cela, surtout au nom du mouvement abertzale. Qu’est-ce que cela peut bien signifier, au-delà de la volatilité généralisée de la parole politique ? Que pense vraiment le monde abertzale, lorsqu’il se représente la place d’un Pays Basque “libre au sein de l’Europe”? Ce n’est pas la veille d’un référendum enfin obtenu qu’il faudra commencer à se poser la question.