Au lendemain de la conférence internationale sur le climat, qui vient de se tenir à Lima, l’aggravation et l’accélération du dérèglement climatique demeurent inquiétantes. Face à cela, l’absence de résultats concrets du processus international de négociations sur le climat interpelle. Le rendez-vous décisif de Paris 2015 est-il mal parti ?
La tenue fin 2015 à Paris d’un sommet international des négociations de l’ONU sur le climat, que certains voudraient décisif, fera sans nul doute de 2015 l’année du climat. De ce que nous disent les scientifques, nous sommes en effet dans une période historique déterminante pour l’avenir du climat sur terre. Ce que nous ferons ou ne ferons pas dans ce domaine et dans la décennie qui vient conditionnera complètement les conditions de vie de nos enfants, à commencer par ceux qui grandissent déjà à nos côtés.
Qu’est-ce qui est en jeu ?
Le langage scientifique ne parvient pas à faire toucher du doigt l’extrême gravité de la situation qu’il décrit. Quand les gens entendent parler du seuil des 2 degrés à ne pas dépasser, ils pensent juste qu’il fera un peu plus chaud, et que ce n’est pas la mort, qu’ils s’en accomoderont bien. Alors que la multiplication par trois en 30 ans du nombre de catastrophes climatiques, la fonte des neiges, la montée actuelle des océans etc. sont liées à la seule augmentation de +0,85 degrés qui s’est produite ces 150 dernières années. Il vaudrait donc mieux comparer ces ordres de grandeur avec ceux de la température du corps humain. A +1 degré on a la fièvre, et au delà de +4,5 degrés on risque la mort. Notre monde a aujourd’hui une fièvre sérieuse, et comme aucun traitement n’est entrepris elle va s’aggraver de plus en plus vite, en risquant de monter à 2 degrés dès les années 2030 et à plus de 4 ou 6 degrés, voire pire, à l’horizon 2100. Entretemps, elle sera passée par des seuils, situés autour de 3 ou 3,5°, qualifiés d’emballement climatique, qui la rendront incontrôlable et irréversible, quoiqu’on décide de faire par la suite.
La 21ème conférence des parties, COP21, programmée à Paris à partir du 30 novembre 2015, devrait être le moment de l’intervention médicale, sous forme d’un protocole pouvant entrer en vigueur à partir de 2020 (alors que les climatologues insistent depuis 2007 sur la nécessité d’un traitement radical dès 2015).
On voit donc que la mèdecine mondiale se déplace lentement. Si au moins, elle arrivait avec les médicaments nécessaires et en quantité suffisante, on pourrait se rassurer. Or, c’est tout sauf certain.
L’échec programmé de Lima
Car la COP20 qui vient de se tenir à Lima et qui devait préciser la feuille de route de Paris se termine sur rien qui puisse esquisser une telle perspective. Une COP est un spectacle paradoxal. C’est une machinerie immense, ultra-sophistiquée, où —pour le cas de Lima- —14.000 personnes ont participé pendant 12 jours et 12 nuits d’affilée à un processus de négociations à la fois techniques, économiques, politiques et diplomatiques d’une très grande complexité. Les participant-e-s, qu’ils soient scientifiques, fonctionnaires ou représentants de gouvernements, salariés de lobbies les plus divers, experts ou militant-e-s d’ONG, syndicats, mouvements sociaux ou environnementaux sont à la fois compétents et très actifs. On est alors tenté de se dire qu’une telle débauche de moyens montre que le défi climatique est pris au sérieux par nos dirigeants.
Pourtant tout cela ne débouche sur rien, et cela fait 20 ans que ça dure. Depuis 1990, les émissions de gaz à effet de serre qui causent le réchauffement climatique ont augmenté de 60% ! Comment l’expliquer ? Simplement parce qu’en l’absence de rapport de force à l’extérieur (des populations mobilisées qui feraient vraiment pression sur leurs dirigeants, qu’ils soient politiques ou économiques), les vrais enjeux ne sont pas sur la table dans ces COP. Pour en donner un seul exemple, l’AIE (Agence Internationale de l’Energie) calcule qu’il faudrait laisser sous le sol 2/3 des énergies fossiles actuellement connues si l’on veut éviter de dépasser les 2°C. Et malgré cela, le processus des COP n’inclut aucun début de négociation sur les mesures qu’il faut prendre pour interdire toute extraction au delà d’un tiers de ces réserves connues. Pire, les pays du G20 donnent en moyenne 70 milliards d’euros par an pour l’exploration des énergies fossiles (c’est-à-dire pour en trouver de nouvelles!) montrant à quel point ils prennent au sérieux l’accord mondial signé à Copenhague en 2009 visant à ne pas dépasser une augmentation moyenne de 2 °C en 2100 (par rapport à 1850).
Les participant-e-s, qu’ils soient scientifiques, fonctionnaires ou représentants de gouvernements,
salariés de lobbies les plus divers, experts ou militant-e-s d’ONG,
syndicats, mouvements sociaux ou environnementaux
sont à la fois compétents et très actifs.
On est alors tenté de se dire qu’une telle débauche de moyens
montre que le défi climatique est pris au sérieux par nos dirigeants.
La situation est d’une extrême gravité
En fait, en coulisses, tout le monde chuchote ce que le grand public continue d’ignorer. A savoir que ce seuil d’impacts majeurs des +2°C —qu’en 2009 le monde se donnait comme objectif commun de ne pas dépasser à l’horizon 2100— va l’être dès les années 2030. Et que notre trajectoire actuelle nous mène tout droit vers les pires des scénarios climatiques, qui se traduiront par un monde de guerres, de migrations massives, de pénuries les plus drastiques, bref de drames et de barbarie. En à peine 5 ans, la situation s’est aggravée et accélérée d’une manière inquiétante. Nous ne pouvons plus compter sur les décisions que nos dirigeants ne parviennent pas à prendre depuis 20 ans. Une insurrection des consciences et des peuples est indispensable, et pésera beaucoup plus fort et rapidement que toutes les COP réunies, y compris celle à venir sur Paris.
Le travail de pression et les actions de désobéissance civile menées par Bizi! sur la Société Générale en 2014 ont d’ailleurs débouché sur une des seules bonnes nouvelles connues durant cette COP20 : le retrait de cette banque du projet climaticide Alpha Coal en Australie, applaudi à Lima par des gens venant du monde entier. Ce succès, ainsi que celui du processus Alternatiba (https://alternatiba.eu), l’engagement de certaines villes et régions sur des politiques de transition, les résistances de plus en plus marquées aux grandes infrastructures inutiles et aux projets extractivistes, montrent la voie à suivre pour ceux qui ne veulent pas se résigner à un avenir dramatique, mais —pour quelques années encore— évitable.