«Nous savons que dans la IXe circonscription, il y a des clandestins appartenant aux FARC et à ETA qui rentrent en contact avec certains dirigeants mapuches pour instaurer l’anarchie totale dans le Neuquén. Ils ont des armes et se financent par le narcotrafic»… Visiblement bien informé, Carlos Sapag, l’un des plus gros propriétaires terriens de la province argentine de Neuquén, n’a toutefois pas la perspicacité des nombreux «experts» qui, à l’instar de Jose Machillanda, ont compris ce qui se tramait derrière: «A travers les FARC et ETA, Chavez a envoyé des éléments pour participer au processus d’endoctrinement idéologique en Araucanie».
Ces déclarations sont absurdes et racistes en ce qu’elles dénient aux peuples indigènes la faculté de s’organiser et de se révolter eux-mêmes contre les injustices qu’ils subissent. Elles n’en sont malheureusement pas moins reprises au plus haut niveau de l’Etat chilien puisque l’actuel Président Sebastian Piñera déclarait peu avant son élection qu’il «y a des mains étrangères, des institutions ou des terroristes qui collaborent ou participent de plusieurs manières» au conflit mapuche, sans toutefois se risquer à donner plus de précisions: «Je ne peux pas dire catégoriquement qui, où, et quand»…
Les lois antiterrroristes de Pinochet
Il n’y a pourtant pas grand-chose en commun entre les revendications et les moyens de lutte des Ma-puches et ceux d’ETA ou des FARC, comme le souligne un dirigeant mapuche: «L’expérience basque n’est pas très utile pour les Mapuches. Penser à l’importer ici me semble hors de propos». Rassemblant entre 600.000 et 1.400.000 personnes (le recensement est une arme politique!), les Mapuches du Chili se sont opposés dans les années 1990 aux entreprises minières et forestières qui grignotaient et détruisaient leurs territoires. Depuis une dizaine d’années, les Mapuches ont un peu durci leurs actions pour se faire entendre, multipliant en particulier les occupations de terres. En termes de violence, l’Etat chilien ne peut cependant leur reprocher que l’incendie de quelques camions ou plantations appartenant aux entreprises incriminées. Cela ne l’empêche pas d’utiliser contre eux des lois antiterroristes hyper répressives héritées de Pinochet.
De fait, les Mapuches arrivent peut-être en tête du palmarès des victimes du galvaudage de la notion de terrorisme. La loi 18.134, dite antiterroriste, autorise en effet jusqu’à 2 ans de prison préventive et des procès militaires où les Mapuches, «en tant qu’accusés ou victimes, sont confrontés à un véritable déni de justice», selon Human Right Watch. Elle autorise de plus des condamnations sur dénonciations de témoins masqués et même rémunérés! Outre le fait qu’elle bafoue les droits de la défense, cette mesure entraîne de terribles dérives: afin de recruter de tels «témoins sans visage», les forces armées n’hésitent pas à recourir aux moyens de pression les plus abjects… Enfin, cette loi permet de faire de simples délits des actes «terroristes»: incendier une plantation vaut dès lors 10 ans de prison alors qu’un policier coupable d’avoir abattu un jeune militant dans le dos n’écope que de 3 mois de sursis…
Une grève de la faim illimitée
Enjoint par un rapporteur spécial de l’ONU de cesser de qualifier de terroristes des «actions liées à la lutte sociale pour la terre et à des revendications indigènes légitimes», le gouvernement chilien fait la sourde oreille. Pire que cela, il teinte de racisme la loi 18.134 en ne l’appliquant qu’à l’encontre des Ma-puches. Comme l’observe un dirigeant indigène, «il faut qu’il y ait un critère. Ou alors, c’est qu’ils nous appliquent cette loi uniquement parce que nous sommes Mapuches? Quand des délits bien plus graves que ceux qui se produisent ici sont commis, par les mineurs par exemple, on n’invoque pas cette loi». C’est pour protester contre cette politique coloniale d’un autre âge que 32 PPM entamaient, le 12 juillet, une grève de la faim illimitée.
Le blocus médiatique dont a souffert cette grève est assez extraordinaire, surtout si on le compare à la couverture apportée au drame des 33 mineurs bloqués sous terre. Ce n’est que vers le 50e jour de grève que le Président Piñera l’a évoquée pour la première fois. Il faudra attendre encore 20 jours pour qu’il propose un aménagement de la loi qui mettra 10 jours de plus à être voté. Las! Cet «aménagement» n’a pas retiré l’incendie de la liste des actes terroristes. La grève de la faim n’est donc pas levée… Pris de panique, le gouvernement s’engage alors à retirer ses plaintes basées sur la loi antiterroriste. Et
au 82e jour, la majorité des grévistes décident de reprendre leur alimentation.
Pourtant, 14 d’entre eux poursuivent leur mouvement. Pourquoi? Parce qu’ils n’ont pas confiance dans la parole du gouvernement. Parce que le pouvoir judiciaire, indépendant du pouvoir exécutif, a manifesté son intention de continuer à utiliser la loi 18.134 tant qu’elle ne sera pas abrogée. Parce que, selon eux, «l’Etat a l’obligation de légiférer, de modifier la loi de telle manière que l’on ne puisse plus jamais l’appliquer» dans des cas similaires. L’Etat chilien refusera peut-être d’en finir avec cet héritage de Pinochet au prix de la vie des 14 grévistes. Il poussera peut-être le cynisme jusqu’à renier les promesses faites à leurs camarades qui ont interrompu leur mouvement. Mais comme le souligne leur porte-parole, «cette grève est seulement une action de plus dans la reconstruction de notre peuple». On comprend qu’il soit plus rassurant pour certains d’y voir l’œuvre des FARC, d’ETA et de Chavez…