Sud-Soudan : l’indépendance, et après ? par David Lannes

Depuis le 9 juillet, l’Erythrée n’est plus l’Etat le plus jeune d’Afrique et le Timor Est a perdu sa place de benjamin à l’échelle mondiale. Le dernier-né qui les a détrônés s’appelle République du Soudan du Sud et son parrain, l’Oncle Sam, est très heureux du succès de la cérémonie de baptême qui s’est tenue à l’ONU le 14 juillet. Les nombreuses incertitudes qui pèsent sur l’avenir du nouveau-né viennent toutefois tempérer l’enthousiasme soulevé par cette naissance quasi-miraculeuse.
Dès l’indépendance du Soudan en 1956, le Sud à majorité chrétienne et animiste s’est violemment opposé au Nord musulman. Un demi-siècle plus tard, après deux guerres et 2 millions de morts (pour une population totale estimée entre 8 et 14 millions de personnes), l’accession à l’indépendance du Sud-Soudan est vécue par ses habitants avec un soulagement bien compréhensible. Lorsque les accords de Naivasha mirent fin à la deuxième guerre (1983-2005) en accordant une autonomie au sud du pays, très peu étaient prêts à miser sur leur succès. Plus récemment, il était difficile de prévoir que le dictateur soudanais Omar el-Béchir laisserait se tenir sans encombre le référendum d’autodétermination de janvier 2011. Et il semblait encore plus improbable qu’il en respecte l’impressionnant verdict (près de 99% en faveur de la séparation). Et pourtant…

Près de 200 groupes éthniques
Pour mesurer à quel point les choses sont allées vite, il suffit de considérer l’avancement du dossier palestinien qui est dans les cartons depuis bien plus longtemps… Le soutien de la droite chrétienne au Sud- Soudan est très ancien et s’explique en grande partie par la confession des belligérants (musulman au nord, chrétiens et animistes au sud). Il n’est donc pas surprenant que George Bush ait largement contribué à la signature des accords de Naivasha en 2005. L’investissement américain dans ce dossier s’explique aussi par les liens très étroits d’Israël avec la rébellion du Sud-Soudan. Comme au Liban avec les For-ces Libanaises, l’Etat hébreu a toujours vu d’un bon oeil le développement d’une force tampon chrétienne dans son environnement. Les célébrations d’indépendance ont de fait donné lieu à des scènes assez rares de manifestants remerciant George Bush et brandissant des drapeaux israéliens.
Quelles qu’aient pu être les motivations des grandes puissances internationales permettant une si rapide accession à l’indépendance du Sud-Soudan, la légitimité de cette revendication ne fait guère de doute qui s’appuie sur des décennies de souffrances (et même davantage puisque le Sud-Soudan était historiquement une réserve d’esclaves pour le monde arabe). Cela n’est malheureusement pas suffisant pour garantir un avenir prospère. Le pays compte en effet parmi les plus pauvres de la planète. Le taux de mortalité en couches y est le plus élevé au monde et un enfant sur 6 n’atteint pas l’âge de 1 an; de plus l’illettrisme y est de 85%, ce qui rend la construction d’un nouvel Etat assez hasardeuse… surtout quand cet Etat regroupe près de 200 groupes ethniques et plus de 60 langues! Déjà, la principale ethnie (les Dinka) est accusée de se construire un Etat sur mesure. Le vice-président Riek Machar, membre de la deuxième ethnie du pays (les Nuer), a par exemple déjà été marginalisé. Espérons qu’il ne réagira pas comme en 1991 lorsque, pour des griefs similaires, il avait ordonné le massacre de Bor (2000 civils
de l’ethnie Dinka tués, 100.000 déplacés, et 25.000 morts de faim comme conséquence des pillages et incendies). Enfin, le SPLM (branche politique de l’Armée pour la Libération du Soudan) qui se retrouve au pouvoir est connu pour son intransigeance par rapport à toute forme d’opposition, interne ou externe. Sans parler de sa corruption inquiétante dans un pays qui tire 97% de ses revenus de ses ressources pétrolières…

Cas d’école
D’autres facteurs viennent encore compliquer la donne. Tout d’abord, des litiges avec la partie Nord demeurent. Le statut de plusieurs régions frontalières n’est toujours pas déterminé, et la répartition des revenus pétroliers (les puits sont au sud, les raffineries au nord) est loin de faire consensus. Pour donner une idée des tensions, plus de 2000 personnes ont été tuées depuis le début de l’année, et 300.000 déplacées. Autre facteur d’inquiétude: la rapacité des puissances étrangères. Selon un rapport de l’ONG Norwegian People’s Aid paru en mars, «9% du pays a été la cible d’investisseurs […] En l’absence de procédures adéquates, il y a un danger que cela mette en péril les moyens de subsistance» des populations. Un think tank américain, Oakland Institute, a dévoilé la bonne affaire d’une entreprise texane qui a obtenu un bail de 49 ans pour l’exploitation de toutes les ressources naturelles sur 600.000 hectares (grosso modo le quart de la surface du Rwanda) pour… 25.000 dollars!
Nouvel Etat en déliquescence ou future clé de voûte d’un nouvel axe centre africain, le Sud-Soudan est appelé à devenir un cas d’école. Pour l’International Crisis Group, «que cela soit juste ou pas, [le Sud-Soudan] sera pendant un certain temps jugé dans le contexte de sa décision de faire sécession. Un parti unique, une politique tribale, des fautes graves de gouvernance ou de maintien de l’ordre généreraient les critiques des sceptiques qui affirmaient que la région ne pourrait pas se gouverner elle-même. L’opportunité se présente de leur donner tort; c’est aux habitants du Sud-Soudan de la saisir».

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