L’année 2012 sera certainement cruciale pour le Timor oriental. C’est tout d’abord l’année du dixième anniversaire de l’indépendance de ce petit pays de 1,1 million d’habitants, une indépendance arrachée à l’Indonésie après plus de deux décennies d’occupation brutale. C’est également l’année des élections présidentielles et législatives; l’enjeu de ces élections n’est pas uniquement de déterminer les orientations futures du pays, c’est aussi de faire oublier les mutineries de 2006 qui avaient causé des dizaines de morts et le déplacement de 150.000 personnes. 2012 devrait enfin être l’année du départ des forces de l’ONU (1.300 hommes) et des 400 militaires australiens envoyés en 2006 pour éviter une guerre civile. Le Timor oriental sera alors complètement livré à lui-même et devra gérer très adroitement ses revenus pétroliers pour pouvoir espérer sortir de la misère extrême dans laquelle il se trouve.
Tensions apaisées
En 2007, les élections présidentielles s’étaient tenues dans un climat très tendu car beaucoup craignaient que les graves troubles de 2006 ne se ravivent. José Ramos-Horta, prix Nobel de la paix en 1996, avait remporté ces élections avec l’appui du parti de l’actuel premier ministre et héro de l’indépendance Xanama Gusmao. Les tensions se sont depuis fortement apaisées et, selon la représentante de l’ONU au Timor oriental, «nous avons vu une campagne électorale propre et virtuellement exempte de toute violence. Chaque candidat s’est impliqué pour la paix». Cette bonne nouvelle explique peut-être en partie l’échec de M. Ramos-Horta, arrivé en 3ème position au premier tour et donc écarté du second tour qui se tiendra le 21 avril. «Mon but, expliquait-il durant la campagne, est de faire perdurer le succès que j’ai obtenu —qui est la paix». En l’absence de menace sérieuse, les Timorais ont vraisemblablement estimé que les priorités étaient plutôt d’ordre social. Le Timor oriental est en effet le pays le plus pauvre d’Asie, et 147ème sur 187 pays selon l’Indice de développement humain du PNUD.
Le premier défi du nouveau président, et du nouveau gouvernement qui émergera des législatives de juin, sera de tirer intelligemment parti de l’atout principal du pays, ses ressources en hydrocarbures. Il faudra tout d’abord négocier au mieux avec l’entreprise australienne Woodside Petroleum chargée de l’exploitation de ces ressources, estimées à 18 milliards de dollars. Pour un pays pauvre comme le Timor, disposer d’importantes richesses naturelles est malheureusement plus souvent un facteur de chaos que de développement. C’est parce qu’il en est bien conscient que le Timor oriental a créé en 2005 le «Petroleum Fund», un fonds souverain chargé de gérer la manne pétrolière et inspiré du fonds souverain norvégien. L’idée est de n’utiliser chaque année qu’une petite partie des revenus pétroliers (le revenu soutenable estimé, RSE) et de verser le reste au Fonds; les intérêts générés par cette cagnotte devraient alors assurer un financement pérenne après le tarissement des puits. D’après une étude de l’IRIN pour l’ONU, le RSE est de 3% mais le gouvernement dépense plus: 3,8% en 2009, 4,8% en 2010, 4,3% en 2011, et 7,2% prévus en 2012. Cette augmentation n’est évidemment pas soutenable, et elle est à l’origine de nombreuses divergences politiques; c’est parce que M. Ramos-Horta l’a critiquée que le premier ministre lui a refusé son soutien au premier tour des élections présidentielles, contribuant ainsi à son échec.
Utiliser l’argent à bon escient
Le gouvernement est lui aussi conscient du problème, mais la solution qu’il propose fait grincer bien des dents. Il vient en effet de faire voter une loi autorisant le Fonds à diversifier ses investissements; actuellement, 90% du Fonds est constitué de bonds du trésor en dollars, un placement sûr mais à faible rendement. Le gouvernement espère que le Fonds pourra désormais faire des placements plus rentables et financer ainsi l’accroissement de son budget. Mais c’est la population qui souffrirait directement d’une éventuelle erreur de placement qui ruinerait le Fonds…
A ceux qui prônent davantage de rigueur budgétaire, certains rétorquent qu’il faut dépenser davantage pour éviter d’entraver le développement naissant du pays. Encore faut-il pour cela que l’argent soit utilisé à bon escient, ce qui est loin d’être évident dans un pays neuf comme le Timor. C’est d’autant plus vrai que l’augmentation du budget du gouvernement est peut-être la plus élevée au monde: de 70 millions de dollars en 2004, on est passé à 1,3 milliards en 2011 et une prévision de 1,76 milliards pour 2012. Comme 95% de ces sommes proviennent de l’exploitation des hydrocarbures qui a déjà atteint son pic, le pays court à la catastrophe si les investissements actuels ne parviennent pas à mettre en place un système de production non basé sur le pétrole. Si le gouvernement fait un effort de transparence évident sur ses dépenses, certains questionnent la pertinence des choix budgétaires: seuls 9% du budget 2012 sont alloués à l’éducation et à la santé, 1,5% à l’agriculture. D’autres craignent que l’augmentation exponentielle du budget n’induise une augmentation tout aussi spectaculaire de la corruption…
Les Timorais veulent croire qu’ils parviendront à surmonter ces nombreux écueils, et que les troupes de l’ONU pourront quitter le pays à la fin de l’année. Comme le souligne l’étude de l’IRIN, l’enjeu est que le Timor oriental ne soit plus classé «post-conflict» par l’ONU et «fragile state» par les donateurs. Pour l’instant, contentons-nous d’espérer qu’il ne tombe pas dans le champ d’attraction des «failed states».