Le médecin généticien Axel Kahn s’est récemment arrêté à Hendaye. Je suis allée l’écouter. En 2013, le marcheur de grand chemin s’était mis en route en quête de beauté. Il y a trouvé aussi une France “périphérique” désillusionnée qui nous renvoie aux grands enjeux de notre société.
Diagonale nord-est/sud-ouest. Départ de Givet dans les Ardennes le 8 mai 2013, arrivée à Ascain le 1er août 2013. Quelque 2.000 kilomètres parcourus avec la foi du charbonnier. Axel Khan voulait rencontrer la beauté. Il l’a trouvée un peu partout sur le chemin, mais a eu deux grands coups de coeur. Le premier sur les crêtes du Forez, le second presque au bout du chemin, dans le massif d’Iparla. Le bout du chemin devait d’ailleurs lui réserver un vrai plaisir, l’image d’un Pays Basque “incroyablement pauvre du début du XXe devenu un pays d’un dynamisme extraordinaire”. Le médecin généticien, ex-président d’université parisienne, voulait toucher l’humain, il a croisé des centaines et des centaines de personnes, leur a parlé, les a écoutées. Il voulait vivre cette France qu’il pressentait. Il l’a finalement palpée sur une diagonale qui, expliquait-il dernièrement à Hendaye (1), traverse le “vide” sur des centaines de kilomètres. Il ajoutait aussi que “pour le chemineau le but ce n’est pas l’arrivée mais le chemin lui-même”, objet d’une sorte de carnet de route impressionniste.
La France périphérique
Celui-ci lui a permis de faire un constat sans appel, ayant d’ailleurs quelques similitudes avec celui présenté par le géographe Christophe Guilluy dans son dernier ouvrage (paru en septembre 2014) “La France périphérique” (2). L’auteur y décrit ces territoires tellement éloignés au sens propre et figuré des métropoles vitrines (Ile-de-France et capitales régionales), ces petites et moyennes villes et ces villages ignorés des bassins d’emplois les plus dynamiques, souvent abandonnés à leur sort. Un tissu disparate où le géographe voit poindre de “nouvelles radicalités” (mouvement des Bonnets Rouges bretons par exemple), des initiatives (comme les Nouvelles Ruralités lancées par les présidents de conseils généraux de l’Allier, de la Creuse, du Cher, de la Nièvre) et des modèles alternatifs allant à l’encontre du modèle global mondialiste dont Axel Kahn a lui aussi mesuré les effets désastreux sur son chemin.
Faire sécession
Revenons sur les pas du médecin marcheur au fil des pays plongés dans la désillusion. Chômage, restructurations, friches industrielles. On en retrouve les stigmates en Lorraine, Champagne, Ardennes, Aube, Meuse, Marne, Allier et l’on en passe. “Les populations assure-t-il, vivent dans la crainte de l’avenir. Victimes d’appauvrissement, beaucoup d’entre elles ont perdu la notion d’un avenir désirable, certaines font en quelque sorte sécession. J’appelle ainsi, la rupture d’une partie de la population avec la vie politique ordinaire, l’apparente rationalité de son discours et ceux qui le tiennent”. Pour finir le chemineau restera scotché sur les images de désolation du bassin de Decazeville. Elles l’habiteront pendant des jours. Après quoi comme un miracle, à partir de Figeac, tout changera pour plus vivant et riant, moins désespéré. Cette sensation ne le quittera pratiquement plus dans le Grand Sud Ouest, jusqu’à Saint-Jean-de-Luz.
Les populations, assure Axel Khan,
vivent dans la crainte de l’avenir.
Victimes d’appauvrissement,
beaucoup d’entre elles ont perdu
la notion d’un avenir désirable,
certaines font en quelque sorte sécession.
Fierté d’être soi
Au Pays Basque l’attachement irrédentiste des Basques à leur pays lui saute aux yeux. Attitude qu’il devait retrouver un an plus tard en 2014 chez les Bretons en particulier, lors de sa deuxième diagonale nord-ouest/sud-est parcourue de la Pointe du Raz à Menton. Ce qui peut faire la différence ? C’est à ses yeux un argument avant tout d’ordre culturel, tenant “à la fierté des populations d’être ce qu’elles sont, d’être insérées dans le territoire auxquelles elles appartiennent”. Une fierté qui au dire d’Axel Kahn est forcément “source d’engagement collectif au nom d’une cause partagée”. Voilà qui nous ramène bien sûr à des questions d’actualité politiques plus larges aussi conflictuelles que le redécoupage des régions (en fonction de quels véritables critères ?) et plus localement la mise en place d’une collectivité spécifique pour le Pays Basque à ce jour vainement revendiquée depuis des années. Un contexte dans lequel la région Bretagne historique et culturelle n’est pas près de voir le jour.
(1) Axel Kahn : conférence débat à la médiathèque d’Hendaye le 10 décembre dernier. “Pensées en chemin. Ma France des Ardennes au Pays Basque”. Editions Stock
(2) Christophe Guilluy : “La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes populaires”. Editions Flammarion.
Attention Mme Bordes, vous citez Guilluy mais ce monsieur est loin d’être clair dans son analyse du mal qui ronge les périphéries.
voir notamment ce qu’en dit Raphaël Liogier sur bastamag http://www.bastamag.net/Raphael-Liogier-Ce-populisme-qui
« Des gens qui sont supposés être des scientifiques disent des choses effroyables, le plus naturellement du monde. Christophe Guilluy (géographe et consultant auprès de collectivités locales, ndlr) affirme ainsi que, dans les périphéries, les petits Blancs des classes moyennes sont chassées par les « minorités ethnoculturelles ». Mais ce n’est pas parce qu’ils en sont chassés, c’est parce qu’ils préfèrent aller habiter dans des villes moyennes lorsque leur niveau de vie s’améliore ! Comme si c’était désirable de vivre dans cette périphérie… Mais on assène l’hypothèse de l’attaque. Ces analyses sont reprises par Eric Zemmour. Et on ne peut plus rien faire, cela infiltre l’ensemble du champ politique. »
je vous recommande cette analyse qui démontre en quoi les thèses de Guilluy relèvent moins de la science que de l’idéologie, et qui porte aussi un éclairage intéressant sur les observation d’Axel Kahn pendant son périple http://www.laviedesidees.fr/Une-France-contre-l-autre.html
agurrak