Voici quelques jours, alors qu’un tiède après-midi de janvier s’écoulait paisiblement devant les fenêtres de mon bureau bayonnais, je fus réveillé d’une de ces honteuses siestes gaston lagaffesques que je parviens invariablement à cacher à mon trop confiant patron –qui heureusement lit davantage Livrehebdo qu’Enbata– par un e-mail de mon bon camarade Mikel Duvert. Il m’envoyait copie d’un article de revue consacré à l’autochtonie.
Une déclaration aux Nations-Unies
Quelle ne fut pas ma surprise, à la lecture de l’article en question, d’apprendre les choses suivantes. Tout d’abord, le fait qu’aux yeux du Conseil mondial des peuples autochtones, qui est tout de même parvenu à faire adopter en 2007 aux Nations-Unies une Déclaration des Droits de ces peuples, les Basques sont officiellement considérés comme l’un des peuples autochtones de l’Europe. Comment les identifie-t-on, me demanderez-vous avec raison ? La définition, fondée en 1972 pour le compte des Nations-Unies par le juriste Jose Martinez Cobo, est encore plus surprenante. D’abord, elle se fonde sur le fait d’avoir été envahi par des peuples “venus d’autres parties du monde”, ce qui n’est pas le cas du Pays Basque, envahi par ses voisins. Ensuite, les spécificités culturelles, notamment linguistiques, ce qui est plus connu pour le cas basque. Enfin –et c’est assez curieux–, la volonté de se reconnaître comme tel, un peu au regard de l’antériorité sur un territoire mais surtout devant une oppression actuellement subie.
Bien sûr, au-delà du débat conceptuel de base, la volonté de se faire reconnaître le statut de peuple autochtone sert principalement à revendiquer des droits collectifs, et c’est bien cela qui rend pour le moins paradoxal le fait que la France ait voté la Déclaration des Droits, alors que les Etats-Unis ou le Canada ne l’ont pas fait. Ce seul élément suffit à donner une idée de l’utilité concrète du bidule, et à relativiser sa portée en tout cas en Europe, surtout lorsque l’on précise que ladite déclaration n’a aucune valeur contraignante.
Gizabidea
Pour une fois, je laisserai de côté toute interprétation politique de ce qui précède, car il est de toute manière assez aisé pour chacun de se faire sa propre opinion. Ce qui m’intéresse ici est plutôt la question même de savoir si le peuple basque est un peuple autochtone au sens de sa spécificité culturelle. En ce sens, le fait de devoir l’idée de cette chronique à Mikel Duvert me fait immédiatement faire aussi le lien entre ce thème et les enseignements du grand homme dont il est le biographe en Iparralde, Joxemiel Barandiaran. Récemment, le site de la fondation Barandiaran a mis en ligne le texte de la conférence que Mikel a consacrée en novembre dernier au 125ème anniversaire de sa naissance.
Je vous engage vivement à lire ce texte qui, outre la vie du personnage et notamment les péripéties de ses nombreuses activités dans le contexte de la guerre civile et du franquisme, donne les clés permettant de comprendre en quoi il a révolutionné la connaissance du peuple basque. Duvert rappelle notamment une donnée au prisme de laquelle toute perception de la culture basque serait erronée : “ce n’est pas le milieu physique qui est la souche de la culture, mais c’est l’homme. Il ῝fait la cultureˮ et se cultive ; c’est là le fruit de la rencontre entre les possibilités offertes par le milieu et les tendances émergeant dans son monde intérieur, via son savoir, ses traditions. C’est ainsi que s’explique la pluralité des groupes humains différenciés à travers le monde”. Comment le peuple basque était-il dans un passé lointain, comment sera-t-il demain, tout en restant lui-même ? Il peut souvent être vain de chercher à répondre à cette question, mais Barandiaran formule l’hypothèse de “gizabidea”, un “chemin de valeurs” dont les Basques se sont doté, qu’ils ont conservé dans leur histoire en une sorte de continuum, et dont les sciences humaines identifient les traces, qui sont autant de “faits de culture”.
C’est par sa capacité à recréer par lui-même,
constamment et surtout à sa manière,
les outils de son existence
que le peuple basque est arrivé jusqu’ici
et continuera son chemin,
qu’on le nomme “gizabide” ou autrement.
Do it yourself ou ezina ekinez egina
Sur ces fondements, et surtout avec une méthode et des outils permettant de poursuivre ces recherches encore aujourd’hui, Barandiaran a autrement servi la définition, la préservation et probablement aussi une partie du développement du peuple “autochtone” basque que toutes les déclarations d’intention internationales réunies. Et là réside bien la clé de l’avenir de ce territoire dans la plupart des domaines : reconnu ou pas comme “autochtone”, peu importe ; c’est par sa capacité à recréer par lui-même, constamment et surtout à sa manière, les outils de son existence que le peuple basque est arrivé jusqu’ici et continuera son chemin, qu’on le nomme “gizabide” ou autrement.
A ce titre, il ne doit et ne demande rien à personne, et à vrai dire l’histoire lui a plutôt prouvé qu’il a toujours eu intérêt à ne pas le faire. Tant qu’il restera ouvert au monde, à ses constants changements et à ses échanges multiples, c’est assurément ce qu’il aura fait par lui-même qui lui garantira son existence, de même qu’est là l’apport le plus précieux qu’il aura en retour à offrir au monde. Bien plus qu’un titre officiel “d’autochtonie”
en papier mâché.