C’est l’un de ces dossiers aberrants forgés par la justice française. Plombé de lourdeurs, lenteurs et indifférences coupables de l’institution judiciaire et dans le cas présent, du parquet antiterroriste qui, trop souvent, joue impunément avec la vie des personnes tombées dans ses griffes, quels que soient leurs torts. Voici ce dossier tombé depuis longtemps dans les oubliettes médiatiques.
Peio Serbielle est tombé à la suite de la vaste opération de police anti ETA, déclenchée contre une cohorte de militants basques au petit matin du dimanche 3 octobre 2004. Ce jour-là, le cours de sa vie d’artiste installé entre partitions, cassettes et CD, dans une vieille ferme de Domezain-Berraute, entre Soule et Basse-Navarre changea brutalement.
Accusé d’avoir hébergé des membres de l’exécutif d’ETA (ce qu’il a toujours nié), il fut mis en examen pour “complicité avec association de malfaiteurs”. Maison fouillée de fond en comble. Menotté au saut du lit, son occupant se retrouva prisonnier du parquet antiterroriste.
Adieu aux projets artistiques immédiats !
L’opération très médiatisée se solda entre autres par l’arrestation de Mikel Albizu (Antza) et sa compagne Soledad Iparaguirre (Anboto) soupçonnés depuis des années d’être deux des principaux dirigeants d’ETA. Recherchés de toutes parts, ceux-ci coulaient des jours d’apparence tranquille, dans un quartier excentré de Salies-de-Béarn où ils élevaient leur fils, scolarisé à deux pas. Grand choc en Béarn et en Pays Basque. Peio Serbielle reconnut avoir occasionnellement ouvert sa porte à des militants basques. Cela avec le sentiment d’être resté fidèle à son père, ce résistant qui lui avait “appris le sens de l’hospitalité”. “Je n’ai fait que donner le gîte comme des milliers de personnes l’ont fait en Pays Basque” répète-t-il.
Aujourd’hui la soixantaine presqu’arrivée, il lance “Basta ! Je ne lâcherai rien”. Etabli en Soule, sa province mère, il a élu domicile dans un appartement juché au-dessus d’une mairie de petite commune. Onze ans ont passé.
Etapes cruciales
L’homme en sursis de procès en correctionnelle, a vécu des étapes cruciales. Prison du 3 décembre 2004 au 6 février 2006. Levée de l’interdiction de territoire le 23 décembre 2011, peu après la fin de la lutte armée, prononcée par la juge Laurence Levert, en lieu et place de Marie-Antoinette Houyvet, partie en retraite fin avril 2008 sans clore le dossier dont elle avait la charge. 6 janvier 2012 fin du contrôle judiciaire. 7 août 2012, nouveau passeport en main (le sien avait disparu lors de son arrestation!), liberté de mouvements recouvrée. 9 avril 2014, son avocat palois Me Blanco, reçoit les rapports d’expertise attendus, certains datés de 2004. L’instruction est considérée comme close.
Le procès, quoiqu’il en soit, ne saurait avoir lieu avant 2016. Le 14 avril, Me Blanco a présenté une requête en annulation de la procédure auprès de la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris pour “violation du délai raisonnable” prévu par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (1).
Quelle sera sa décision ?
Le tempo de l’artiste a été ébranlé sans étancher sa soif pour les “musiques du monde”, sa marque de fabrique depuis les années 90, lorsqu’il signa plusieurs CD chez Polydor et Sony, cultivant la diversité de son très large carnet d’adresses.
A la fin de ces années-là naquit l’idée d’une trilogie, consacrée à la culture basque et celte. Elle a donné naissance à deux albums, Naiz (Je suis) en 2007 et Zara (Tu es) fin 2014. Ce dernier enregistré d’un site à l’autre en compagnie des Bretons Gilles Servat et Konogan An Habask, de l’Ecossaise Karen Matheson, du musicien Pierre Bebey, des élèves du collège Diwan de Vannes et de l’ikastola Zurriola de Saint-Sébastien. A compléter un jour par le troisième volet Gara (Nous sommes).
Peio Serbielle a appris à composer
avec les contretemps, les refus,
les humiliations, les portes qui se ferment,
les coups de blues.
Mais il a résisté, fort de soutiens multiples,
de solides amitiés et de coups de coeur
dans son monde de métissages.
Hymne à la singularité
Peio Serbielle a appris à composer avec les contretemps, les refus, les humiliations, les portes qui se ferment, les coups de blues, l’adversité. Mais il a résisté, fort de soutiens multiples, de solides amitiés et de coups de coeur dans son monde fait de métissages. En 2012, son premier voyage à l’étranger fut pour le Maroc, le second en Belgique pour le festival bien nommé de Louvain-la-Neuve Les voies de la liberté, qui avait, entre autres, pris fait et cause pour l’ex-otage franco-colombienne Ingrid Bettencourt et l’opposante birmane Aung San Suu Kyi. Il y chanta en euskera, avec un groupe d’écoliers, cet hymne à la singularité d’Itxaro Borda, Erran bezate (Qu’ils disent). Serbielle homme singulier ? Oui. “Une société ne peut pas être une succession de clones ajoute-t-il. Il importe que l’individu conserve sa part d’humanité. Pourtant, le chemin que nous empruntons ne va pas dans ce sens-là mais à l’opposé, vers la fin de la diversité…” Il résiste.
• Le militant politique Jean-François Lefort défendu par l’avocate bayonnaise Me Cachenaut, poursuivi dans le cadre de la même affaire, se retrouve dans une situation juridique semblable à celle de Peio Serbielle. Les militants accusés d’appartenance à ETA ont quant à eux été jugés en 2010 par la Cour d’assises spéciale de Paris.