Carton plein abertzale

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Iruña célèbre la victoire abertzale. Photo Kepa Etchandy

Après les élections du 24 mai, les abertzale sont désormais à la tête des institutions du Pays Basque Sud, capitales de provinces, députations et la plupart des villes. Les partis espagnolistes PSOE et PP sont marginalisés et le visage politique de Hegoalde est largement modifié, en particulier en Araba et surtout en Navarre où EH Bildu conquiert Iruñea et Geroa Bai le gouvernement foral. L’effet politique de l’arrêt de la lutte armée est sensible dans cette province, il permet des alliances impensables il y a peu. Une nouvelle génération arrive au pouvoir. A charge pour elle de durer et d’écrire une nouvelle page de l’histoire de notre peuple.

Ils sont jeunes. Ils sont peu connus. Ils sont euskaldun. Tels sont les femmes et les hommes qui vont diriger les quatre provinces. En Gipuzkoa et en Bizkaia, leur arrivée aux commandes était attendue. En Navarre et en Araba, ils ont davantage créé la surprise.

Cette arrivée en force à la tête des différents exécutifs à la mi-juin, a été précédée de trois semaines de négociations serrées entre les différents partenaires. C’est ce qui a permis de “transformer l’essai” marqué lors du scrutin du 24 mai. Le PNV, arrivé en tête dans la Communauté autonome basque, ne disposait pas de majorité absolue. Il a donc conclu un accord avec le PSOE. Le Parti nationaliste basque dirigera les trois  députations, en coalition avec les socialistes qui détiendront des postes et s’engagent à faciliter les choses pour l’approbation du budget et à ne pas déposer de motions de censure. Dans les villes, le parti arrivé en tête au soir du 24 mai, dirigera la cité avec seulement le soutien du second, une formule souple donnant une plus forte marge de manoeuvre. Le PSOE pourra ainsi davantage faire entendre le point de vue de l’opposition et peser dans le débat. Un tel accord dont les prémisses fonctionnaient déjà pour le fonctionnement du gouvernement autonome, garantit ainsi la stabilité des institutions.

Ana Otadui, nouvelle présidente PNV des juntes de Bizkaia.
Ana Otadui, nouvelle présidente PNV des juntes de Bizkaia.

Jamais depuis la scission EA-PNV en 1986 qui déboucha sur l’arrivée au pouvoir du Lehendakari José Antonio Ardanza, un accord aussi complet n’avait été conclu entre les socialistes et les nationalistes (1).

L’accord PNV-PSOE a été partout appliqué, hormis à Andoain où un gros couac, le vote blanc d’un conseiller indépendant élu sur la liste PNV, a abouti à l’élection d’un maire EH Bildu, en lieu et place d’un socialiste. Le PNV parvient ainsi à diriger 121 mairies sur les 251 de la Communauté autonome. En Gipuzkoa, le PNV Eneko Goia parvient à la tête de la capitale Donostia, avec le seul soutien de son groupe et grâce au vote blanc des socialistes.

Son élection intervient 32 ans après le dernier maire PNV, Ramon Labaien. Le vieux parti gouvernera 9 des 11 cités guipuzkoanes de plus de 15.000 habitants.

Dans son fief biscayen, il dirige bien entendu la capitale et 65 mairies, en particulier Sestao où il détient la majorité absolue et Barakaldo, place-forte socialiste, conquise sur le fil, grâce à une poignée de voix. Gernika tombe entre les mains d’un maire qui vient de quitter EH Bildu pour fonder son propre groupe local Euzko Abertzaleak, il a obtenu le soutien du PNV.

Gorka Urtaran, maire PNV de Gasteiz.
Gorka Urtaran, maire PNV de Gasteiz.

Araba : le front national espagnoliste vole en éclats

C’est en Araba que la bagarre a été la plus chaude. Le PNV dirigera la capitale Gasteiz, grâce au vote favorable d’EH Bildu et de deux petites formations, Hemen gaude et Irabazi. Le PSOE est resté en retrait, refusant de soutenir le maire sortant PP arrivé en tête et au départ donné gagnant. Dans une tension extrême, le front national espagnol PP-PSOE qui fonctionna hier en Navarre et dans la Communauté autonome, a volé en éclats.

Un maire abertzale est à nouveau à la tête de Gasteiz, depuis le départ de José Angel Cuerda en 1999. Pour évincer le maire sortant PP, EH Bildu a voté en faveur du candidat PNV, sans contrepartie. Belle leçon  d’abertzalisme qui transcende les fractures historiques. Il en sera de même à la députation d’Araba, pour l’élection du futur député général qui sera un PNV.

Le PSOE dirige neuf mairies sur l’ensemble de la Communauté autonome basque : Portugalete, Ermua, Irun, Eibar, Lasarte-Oria, Zumarraga, Pasai, Iruña-Oka et Moreda.

En Navarre, de 24 mairies, il chute à 18 et perd deux de ses fiefs, Antsoain et Viana. La pilule est particulièrement amère pour le PP qui ne dirige plus que trois municipalités dans la Communauté autonome et perd surtout Gasteiz.

Dans la province navarraise, l’UPN passe de 44 maires et 322 conseillers municipaux en 2011, à 21 maires et 281 conseillers aujourd’hui.

Sur les 20 cités les plus importantes de la province (66% de la population), il ne dirigera que Cintruénigo.

La gauche abertzale ne préside plus aucune députation ni aucune des trois capitales de province. Mais elle arrive en seconde position dans 76 municipalités de la Communauté autonome. Elle conserve son bastion  d’Ondarroa et parvient à récupérer quelques cités, grâce à des accords avec des listes indépendantes, en particulier Plentzia et Elorrio.

En Gipuzkoa, EH Bildu est le parti qui dirige le plus  de villes (36), mais seulement deux de plus de 15.000 habitants.

En Navarre, la gauche abertzale arrive en force. Elle dirigeait 21 cités en 2011, aujourd’hui, elle dirigera la capitale Pampelune et plus de 35 municipalités —dont 25 avec la majorité absolue— en particulier Baranain, Lizarra, Tafalla ou Berriozar. EH Bildu passe de 113 conseillers municipaux en 2011, à 297 en 2015.

Ainhoa Aznarez Igarza, présidente Podemos du parlement de Navarre.
Ainhoa Aznarez Igarza, présidente Podemos du parlement de Navarre.

Euskaldun, féministe et républicaine

La leader de Geroa Bai Uxue Barkos est assurée d‘accéder à la présidence de la Communauté forale de Navarre avec le soutien d’EH Bildu, de Podemos et d’Izkierda-Ezkerra qui ont signé un accord. Pour son premier scrutin municipal, Geroa Bai conquiert plusieurs municipalités: Zizur, Lesaka, Alsasua, Burgete, etc.

Izkierda-Ezkerra enlève les maries de Tutera, Castejon et Mués.

Quant à Podemos, il dirigera en coalition Burlata et Noain. Ainhoa Aznarez Igarza, chef de file de Podemos, a été élue le 17 juin présidente du parlement de Navarre. Geroa bai obtient le poste de la vice-présidence et EH Bildu le secrétariat. Là encore, il s’agit d’un vrai séisme politique. Les deux formations, UPN et PSOE, qui se partageaient le pouvoir depuis plus de trente ans, sont écartées. Ainhoa Aznarez Igarza fut conseillère municipale socialiste à Irunea de 2003 à 2007. Elle fait partie de ces nombreux militants socialistes qui quittèrent le PSOE navarrais du fait de son soutien à la droite régionaliste UPN dans le but de faire barrage aux abertzale. Elle dirigea même la contestation interne. Aujourd’hui, Ainhoa Aznarez se définit lors de son discours d’investiture, comme “euskaldun, féministe et républicaine”. En ce royaume de Navarre, les vieux  carlistes convertis sur le tard au franquisme, se sont retournés dans leurs tombes.

A Gasteiz comme en Navarre, l’effet épouvantail agité par le PP ou le PSOE pour adjurer les autres formations de ne pas s’allier avec EH Bildu, ne marche plus (2). On mesure ici le résultat politique de l’arrêt de la lutte armée, il ouvre des possibilités d’alliances de la gauche abertzale avec des partenaires. C’est sur des démarches de ce type que les aberzale en position de force mais encore loin de la majorité absolue, peuvent en alliance avec d’autres, accéder au pouvoir ou construire d’autres démarches, pourquoi pas demain autour du “pouvoir de décision” et d’une consultation référendaire. Une telle puissance institutionnelle des abertzale en  Hegoalde est une première depuis 35 ans.Elle marque une nouvelle étape.

Podemos casse le bi-partisme espagnol

En Espagne, Podemos et de nouvelles formations alternatives qui lui sont proches, accède au pouvoir dans les cinq villes les plus importantes, dont Madrid, Barcelone, Valence et Saragosse, soit plus de six millions d’habitants.

Le PP conserve seulement Malaga et Murcia. Le changement se fait également sentir à la tête de plusieurs provinces autonomes.

Les alternatifs mettent largement à mal le bipartisme PP-PSOE et son système d’alternance qui verrouille les possibilités d’évolutions institutionnelles dans les pays où la question nationale se pose avec le plus d’acuité.

Cela aussi marque un grand changement.  Les abertzale ne peuvent que souhaiter qu’en Espagne, Podemos et ses satellites, nés de la crise économique, de l’austérité et de la corruption généralisée, ne soient pas un feu
de paille, demeurent fidèles à leurs engagements et contribuent à activer les changements législatifs et constitutionnels que nous appelons de nos voeux (3). Dans la Communauté autonome basque, le retour en force du PNV(4) confirme sa lente remontée. Il digère, 29 ans après, sa scission avec EA. Le travail entamé par Xabier Arzallus et Joseba Egibar porte ses fruits. Nous avons déjà presque oublié l’épisode qui vit l’arrivée au pouvoir des socialistes dans la Communauté autonome basque, avec le Lehendakari Francisco Lopez: dans la nuit qui suivit, un commando de l’armée espagnole hissa la bandera rojigualda au sommet de Gorbeia.

Les symboles aussi ont du sens.

EH Bildu se situe désormais en retrait, mais conserve un poids politique important. Il a fait preuve d’un vrai courage politique en soutenant le PNV pour évincer la droite espagnole. Mais nous sommes encore loin des
possibilités d’alliances plus élaborées, comme elles peuvent être mises en oeuvre en Catalogne, tant les fractures liées à la lutte armée laissent des cicatrices au sein de l’abertzalisme.

On ne peut effacer d’un coup de baguette magique les bombes sur EiTB, les menaces d’attentats contre les ministres ou un Lehendakari PNV et les batzoki du parti. Rien d’étonnant dès lors que le PNV poursuive prudemment le vieux schéma, une alliance contre nature avec son plus vieil adversaire, le PSOE, qu’il connait par coeur depuis des lunes. Pour tourner la page, sécréter du neuf, le temps doit faire son oeuvre.

Joseba Asiron lors de son investiture à la mairie d’Iruña. Photo Kepa Etchandy
Joseba Asiron lors de son investiture à la mairie d’Iruña. Photo Kepa Etchandy

Leçon navarraise

Autre scénario en Navarre où les rapports de force, le poids de l’histoire, les enjeux et la carte politique sont autres. Les abertzale de cette province nous adressent une leçon politique. Avec les alternatifs, ils parviennent à un accord rendu possible par l’arrêt de la lutte armée et la perspective d’arriver au pouvoir. Le fait que le PNV soutienne Geroa Bai sans que son sigle apparaisse, permet aussi d’arrondir les angles entre les  partenaires. Réputée terre de mission comme Iparralde, cette province emblématique de notre pays, apparaît ainsi avec une longueur d’avance. Il aura fallu beaucoup d’errements, de crises, de recompositions, mais aussi de militantisme et de courage, pour en arriver là. Aujourd’hui, non seulement les abertzale doivent se confronter à la gestion et ne pas décevoir, mais leur arrivée aux commandes concerne l’ensemble d’Euskal Herria. Parce qu’enfin ils peuvent travailler à résorber les fractures institutionnelles imposées depuis des siècles par les Etats dominants.

La Navarre n’est pas devenue majoritairement abertzale le soir du 24 mai 2015. Mais Geroa Bai avec EH Bildu peuvent travailler à conforter notre réunification politique, institutionnelle, culturelle, linguistique.

Joseba Asiron lors de son investiture à la mairie d’Iruña. Photo Kepa Etchandy
Joseba Asiron lors de son investiture à la mairie d’Iruña. Photo Kepa Etchandy

Poursuivre dans les institutions le chantier ouvert hier contre vents et marées par la société civile. L’époque sinistre où le président de la Communauté forale refusait de rencontrer le Lehendakari, rejetait les réémetteurs d’EITB, ne voulait pas accorder des fréquences aux radios euskaldun, faisait un procès contre la signalétique qui ne lui convenait pas, remettait en cause la loi linguistique ou une offre touristique commune aux quatre provinces, disait non à l’euro-région Aquitaine Euskadi, etc., etc. ne sera plus qu’un lointain souvenir, dont on fera un jour un livre noir.

Pour nos compatriotes navarrais et cette génération nouvelle qui s’est forgée dans les épreuves, la tâche est aussi écrasante qu’exaltante, “gaurko izerdia, biharko ogia”…

Réunification et souveraineté, ETA a cru les obtenir en 50 ans de lutte acharnée.

La construction nationale, rude marche de notre pays, se poursuit pas à pas, avec d’autres moyens, dans la même direction. Le 24 mai, le vent de l’histoire a tourné : de cette Navarre mythique si chère à notre coeur, chantée par Labeguerie et Xabier Lete, souhaitons que ce vent nouveau souffle longtemps et avec vigueur.

(1) Cet accord rendu nécessaire par un très net affaiblissement d’un PNV alors au coude à coude avec le PSOE dura plus de dix ans. Il connut des fortunes diverses et des soubresauts, il finit brutalement en 1998 avec le départ des trois ministres socialistes, peu avant l’accord de Lizarra-Garazi.

(2) Pour maintenir le maire PP au pouvoir à Gazteiz, le ministre espagnol de la Santé, Alfonso Alonso, est allé jusqu’à déclarer que le candidat PNV était en fait un EH Bildu masqué. Le 15 juin, depuis Séville, Pedro Sanchez, secrétaire général du PSOE, adjure Podemos de ne pas pactiser avec la gauche abertzale en Alava et en Navarre.

(3) La dernière déclaration de Pablo Iglesias, le 22 juin dans un journal anglais, a encore déclenché un tollé en Espagne. Le leader de Podemos indiquait que la dispersion de 400 à 400 preso etarra à des centaines de kilomètres de chez eux constituait “un problème politique tragique”.

(4) Dans la Communauté autonome, le PNV a rarement eu autant les cartes en main depuis 35 ans. A cette différence près qu’il a pu gouverner d’autant plus aisément que Herri Batasuna refusait de siéger dans des institutions qu’il considérait comme dépourvues de légitimité.

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