En cette rentrée politique ultra chargée, les thèmes ne manquent pas sur lesquels le mouvement abertzale est appelé à se positionner, voire à investir ses forces militantes. Dans des domaines tels que l’institution, la résolution du conflit basque, la langue ou encore les grands projets d’infrastructures, nous n’avons pas à forcer nos habitudes ni notre motivation pour intervenir dans le débat, et cela n’étonne personne. Il en est d’autres, beaucoup d’autres, autour desquels nous avons tendance à rester discrets, non parce que nous n’aurions pas d’opinion mais parce que nous ne la mettons pas en avant.
Un sujet tabou au Pays Basque?
C’est en particulier le cas de sujets sociétaux tels que celui de l’homosexualité, qui, pourtant, réclame en ce moment les interventions les plus nombreuses possibles, à l’heure où l’occasion d’avancées historiques pourrait survenir. Ce sujet, les abertzale n’en parlent guère, en tout cas ils ne sont pas très audibles. Il est vrai que le contexte socio-culturel du Pays Basque Nord n’y aide pas beaucoup, tellement il reste celui d’un conservatisme, voire d’un archaïsme, pesant. Engoncé dans des principes moraux largement issus de la fidélité aveugle à une orthodoxie catholique ne changeant de cap qu’à la vitesse du Titanic devant son iceberg sur tous ces sujets, il rend tout positionnement public gênant aux entournures, dérangeant, peut-être même électoralement périlleux. Comme si l’on n’avait pas trop envie de considérer que le thème parcourt la société basque aussi profondément que tout autre société, et que l’on attendait que les évolutions décisives se produisent au niveau de l’État pour qu’on n’ait plus qu’à les respecter ensuite sous couvert de la légalité. Comme si, fondamentalement, le mariage n’était pas d’abord et avant tout un acte laïc dans le cadre républicain, et que la société civile avait besoin d’attendre une bulle pontificale pour qu’il soit rendu possible en mairie, des mains d’un officier du ministère public.
Aujourd’hui, c’est notre tour
Et pourtant, qu’il ne concerne que quelques personnes isolées ou une partie importante de la population, que la «tradition» ou les «mentalités locales» rendent une évolution plus ou moins difficile à revendiquer, tout cela n’y change rien: un mouvement qui se veut progressiste ne peut laisser cette question dans l’ombre confortable de ses autres priorités politiques, surtout lorsque ces dernières ont pour fondement la reconnaissance de droits individuels et collectifs. Ce combat-là est de même nature que ceux que l’on a connus durant la seconde moitié du XXe siècle dans le monde. Il n’est ni plus ni moins important, ni plus ni moins facile à mener, que celui des noirs aux États-Unis ou en Afrique du Sud, celui des femmes à voter ou à disposer de leur corps, celui de l’abolition de la peine de mort, ou encore celui des peuples à s’autodéterminer. Tout le monde salue ces évolutions produites pour certaines voici déjà plusieurs décennies, la plupart sont aujourd’hui reconnues normales et moralement justifiées, et pourtant il avait bien fallu que quelques-uns aient le courage de les impulser en ramant souvent contre le courant. Aujourd’hui, c’est notre tour. Il est tellement aisé de se satisfaire a posteriori des acquis arrachés par d’autres durant l’histoire; à nous de savoir quels sont ceux qu’il nous incombe aujourd’hui, à nous, d’ar-racher.
Vers l’égalité des droits
L’actualité de cette rentrée nous donne l’opportunité de nous positionner de manière volontariste dans le débat lancé en France sur les questions du mariage homosexuel et de l’homoparentalité. Beaucoup d’entre nous ne regardent cela que de loin car, «ma foi, cela ne concerne que les homosexuels eux-mêmes». Mais rien n’est plus faux, plus réducteur, car au-delà du seul cas des hommes et femmes homosexuels, rien moins n’est en jeu que la marche chaotique mais historique vers l’égalité de tou(te)s en droit. D’ailleurs, le piège dans ce débat serait de se perdre dans le maquis des nuances entre ce qui est acceptable pour un couple hétérosexuel mais pas pour un couple homosexuel, soit parce que certains principes seraient intangibles (encore faut-il savoir pourquoi), soit parce qu’il faudrait laisser les mentalités évoluer encore. En réalité, la question est beaucoup plus simple que cela: si la Déclaration universelle des droits de l’Homme établit le fait que les «êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits» (art. 1), sans qu’il ne soit écrit nulle part que leur orientation sexuelle représente une exception à ce principe, comment donc justifier quelque exception pour le mariage ou l’adoption?
Le combat pour la justice et l’égalité est insécable. Si l’on accepte ce principe, on doit reconnaître que c’est un tout et qu’on ne peut pas choisir les égalités qui nous plaisent et celles qui ne nous plaisent pas. En tant qu’abertzale de gauche, si l’on ne peut être à la proue de tous les combats, on ne peut en être totalement absent. Un Pays Basque indépendant mais incapable de se mobiliser pour ce combat ne vaudra jamais mieux qu’une France qui s’apprête peut-être, elle, à progresser en ce sens.