A l’initiative de Bake Bidea, Carlos Alberto, avocat colombien, intervenant dans les négociations de paix entre les FARC et le gouvernement colombien a donné trois conférences, dont l’une à Espelette le 5 mai dernier après projection du film Impunité. Il est important de comprendre les causes de ce conflit pour aborder les conditions des accords de paix de La Havane.
L’exemple de la Colombie
montre les difficultés et frustrations
découlant de négociations de paix.
Le travail de mémoire
(avec inventaire de toutes les exactions quel que soit leur camp),
la justice transitionnelle
et le renforcement des droits humains
sont indispensables.
Une violence inouïe faisant 600.000 morts de 1948 à 2012 dont 81.5% de civils et 6.8 millions de déplacés caractérise l’histoire de la Colombie qui n’a connu que 45 ans de paix et de démocratie (de 1909 à 1954) depuis son indépendance en 1819.
Comme souvent, des inégalités criantes, une politique violente menée par la classe dirigeante qui a exacerbé les tensions socio-politiques et accaparé, sans partage, terres et pouvoir, laissant pour compte des millions de paysans, expliquent la naissance des groupes armés et leur fonctionnement sur le modèle cubain, tels que les FARC (Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia), ELN (Ejercito Nacional de Liberacion) M19 y EPL.
En 1948, l’assassinat du charismatique Jorge Gaitan, sénateur maire de Bogota et candidat du peuple à la présidentielle (portant des revendications sociales) a déclenché un soulèvement populaire; révolution avortée et violemment réprimée.
La gauche est exclue du jeu politique pendant la guerre froide (années 60 et 70) au cours de laquelle les Etats-Unis fournissaient armes, experts, finances et renseignements à l’Etat colombien.
Accords de paix
Le “danger communiste” s’est éloigné depuis plus de deux décennies, mais cela n’a pas empêché le président Uribe et ses sbires de commettre des atrocités au nom de la lutte contre la guérilla.
Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui pour que le président Santos (ancien ministre de la justice d’Alvaro Uribe) s’investisse dans un processus de paix ?
Selon l’avocat Carlos Alberto, l’actuel président Santos souhaite offrir aux investisseurs étrangers un environnement pacifié pour développer l’économie de son pays.
Par contre, dès le début des négociations avec les FARC à Cuba en novembre 2012, il a affirmé que les arrestations par les forces de l’ordre se poursuivraient, comme avant les négociations.
Malgré ce préalable, ces accords de paix entre FARC et gouvernement Colombien, qui devaient initialement être signés avant fin mars 2016 le seront prochainement, avant la fin de l’année 2016.
Dans le film “impunité”, un commandant des forces paramilitaires d’extrême droite avouait que les commanditaires des assassinats de militants ou de villageois n’avaient pas pour but de lutter contre la violence des FARC, mais de semer la terreur pour s’approprier leurs terres, dont le sous-sol regorge de richesses.
De même, il indiquait qu’elles étaient financées par de grandes entreprises. En avouant ses torts, ce commandant bénéficierait de remises de peines, selon les accords de paix.
De même, les familles des personnes assassinées (villageois, militants syndicalistes…) recevraient des compensations financières.
Plus récemment, l’accord prévoit la sortie progressive des rangs de la guerilla des adolescents de moins de 15 ans et leur intégration dans la société.
Certains groupes paramilitaires ont été dissous (l’AUC), mais pas tous et rien ne ressort sur leurs commanditaires : entreprises transnationales, parmi lesquelles les entreprises minières Drummond ou Probeco Glencore, ou agroalimentaires Pepsi Cola ou Chiquita.
Prendre en compte l’origine du conflit
Si on peut se réjouir de voir aboutir un accord de paix qui sera inscrit dans la constitution (pour en assurer la pérennité) et conservé en Suisse dans le cadre de la Convention de Genève, on reste perplexe devant le peu d’engagement du gouvernement colombien, quant aux causes du conflit.
N’oublions pas la collusion entre les grandes entreprises transnationales, surtout américaines et les narcotrafiquants (narcotrafiquants que les Etats-Unis sont censés combattre) .
La réduction des injustices ou la réforme agraire avec restitution des terres aux paysans spoliés ne font pas partie de l’accord, pas plus que la remise en cause de milices d’extrême droite, liées au narcotrafic.
Rien sur leurs donneurs d’ordre, ni des liens établis entre l’ancien président Uribe et le narco trafic.
Nul doute que beaucoup de militants refuseront les termes de cet accord.
Actuellement, reste au gouvernement à négocier avec l’ELN (Ejercito Nacional de Liberacion), groupe armé marxiste. Exigence préalable du gouvernement : la cessation des kidnappings contre rançon (on en dénombrait 40.000 de 1970 à 2010 dont un quart par l’ELN et un tiers par les FARC). L’ELN s’y refuse, car les rançons sont leur source de financement et les négociations s’annoncent plus rudes qu’avec les FARC.
L’exemple de la Colombie montre les difficultés et frustrations découlant de négociations de paix. Le travail de mémoire (avec inventaire de toutes les exactions considérées de la même manière par la justice quel que soit leur camp), la justice transitionnelle et le renforcement des droits humains sont indispensables à des avancées, mais au delà des conséquences des conflits, la réussite d’un accord de paix dépend beaucoup de la prise en compte de l’origine de ce conflit.
Dans les processus de paix, le travail de mémoire tient une place primordiale.
Et en Euskadi, il ne fait que commencer…
L’article a le mérite de résumer une situation complexe depuis plus de 50 ans.
Pour le reste il est aveuglé par le militantisme, si bien qu’on se retrouve loin de la réalité. Les FARC ont eux aussi largement bénéficiés des joyeusetés de la cocaïne. Après la fin du cartel de Cali à la fin des années 90 (le dernier gros narco-cartel colombien), le marché s’est retrouvé orphelin de parrains pour la poudre blanche. Les FARC et leurs collègues parras ne se sont pas fait prier pour reprendre la boutique selon la formule « militant le jour, mafieux la nuit ». Ils se partageaient même les localités clientes comme au bon vieux temps du tandem Medellin/Cali
De plus, ces groupe révolutionnaires ne sont pas apparus par la seule volonté de quelques utopistes marxistes, le pays grouillait d’agents soviétiques qui les formaient pour se rapprocher du très américain et très stratégique canal de Panama.
Enfin, concernant les kidnappings, la pratique douteuse n’était pas seulement liée aux riches colombiens mais largement généralisée à toute la classe moyenne pour peu qu’on s’assurait que la famille allait payer. Pour l’argent des rançons, des témoignages d’anciens FARC étaient éloquents et prouvaient que certains surplus finançaient plus des berlines que la lutte armée.
Sujet passionnant qui mériterait plus de nuance en accord avec la complexité de l’Amérique du sud.