Cataclysme ou catharsis politique ? C’est au travers de cette question que j’analysais dans une tribune de décembre 2015 le scrutin des législatives espagnoles de l’automne dernier et les résultats en demie teinte obtenus alors par EH Bildu. Quasiment un an après, on peut dire qu’on y voit un peu plus clair.
Après 300 jours sans qu’aucun gouvernement n’ait pu se constituer, il est aujourd’hui patent que l’État espagnol traverse la crise politique la plus grave depuis la transition post-franquiste.
Deux lignes de fractures caractérisent cette crise.
D’un côté, des politiques libérales imposées par l’Union Européenne que le PSOE, puis le PP, ont loyalement mises en oeuvre avec les conséquences sociales que l’on connaît. Elles expliquent la montée de Podemos, et aujourd’hui la scission interne du PSOE qui, selon un article d’El Pais du 30 septembre, serait le parti social-démocrate en Europe ayant subi la chute la plus impressionnante après le Pasok en Grèce. Au passage, manque encore au palmarès la dégringolade programmée du PS français aux prochaines législatives.
De l’autre côté, la poussée du mouvement indépendantiste en Catalogne, que nous voudrions également pouvoir observer en Euskal Herria.
Ces deux lignes de fractures ne sont pas indépendantes l’une de l’autre, mais s’alimentent mutuellement.
Car d’une part, pour faire face aux contraintes financières auxquelles ils sont soumis, les États ont tendance à recentraliser. Et d’autre part, nos sociétés réagissent au diktat néo-libéral des instances européennes en revendiquant la réappropriation d’un pouvoir de décision sur les questions économiques et sociales, ce qui conforte la dynamique en faveur de l’autodétermination de nos peuples sans État.
La catharsis de la crise de l’État espagnol
passera selon moi
par une seconde “transition”
qui ne peut prendre que deux directions,
celle d’une recentralisation,
ou celle d’une nouvelle décentralisation.
Tension exacerbée
Après 300 jours sans gouvernement en Espagne, la tension entre ces deux tendances ne s’est pas apaisée, mais s’est au contraire exacerbée du fait de l’actualité des derniers mois.
A ce titre, il faut d’abord évoquer les conséquences du Brexit qui positionnent l’éventualité d’un éclatement de l’Union européenne comme un scénario à analyser très sérieusement. Au lendemain du Brexit, il n’est pas question que l’Espagne (quatrième économie de la zone euro) reste trop longtemps sans gouvernement, et qu’elle fasse défaut sur ses engagements financiers…
S’ajoute à cela la situation en Catalogne, où le président Puigdemont a réaffirmé sa détermination à organiser à l’automne 2017 un référendum d’autodétermination qui, à défaut d’un accord avec Madrid, sera convoqué de façon unilatérale.
Ainsi, dans le contexte européen actuel, et alors que l’unité de l’État espagnol est en jeu, il n’était plus acceptable de laisser l’Espagne sans gouvernement, et les vieux caciques du PSOE comme Felipe Gonzalez ont fait pression en coulisse pour neutraliser Pedro Sánchez, et imposer au sein du PSOE un vote d’abstention permettant l’investiture de Mariano Rajoy.
Entre temps, les élections autonomiques ont eu lieu dans la communauté autonome basque. Elles ont permis à EH Bildu d’endiguer la montée de Podemos en resituant le projet abertzale de gauche en seconde position. Elles ont ensuite conforté le leadership du PNV en Euskadi, tout en lui bloquant l’option sur laquelle il misait : celle d’un accord de gouvernement majoritaire avec le PSE.
Décentralisation ou recentralisation?
La catharsis de la crise de l’État espagnol passera selon moi par une seconde “transition” qui ne peut prendre que deux directions, celle d’une recentralisation, ou celle d’une nouvelle décentralisation.
Dans ce contexte, le PNV lui-même ne manquera pas d’être soumis, dans les quatre ans qui viennent, à la pression du renforcement des lignes de fractures évoquées précédemment : une injonction des instances européennes à intensifier les politiques néo-libérales, et un regain de tension avec un pouvoir madrilène plus que jamais déterminé à combattre toute velléité souverainiste.
Pour ce qui est de l’abertzalisme de gauche, il devra s’atteler à donner forme aux trois types d’accords majoritaires défendus par Arnaldo Otegi durant la campagne des autonomiques : un accord pour la résolution globale du conflit, un accord pour stopper les politiques d’austérité, un accord pour le droit à l’autodétermination.
Mais conformément à ce que nous démontre le cas catalan, et aux enseignements que l’on peut tirer des récents déboires de la gauche abertzale, l’exercice ne consiste pas à formaliser des accords de nature institutionnelle, mais plutôt à poser les bases démocratiques d’une activation de la société civile qui seule, peut nous garantir que le Pays Basque sortira vainqueur de la violente confrontation politique qui s’annonce