La folle semaine politique qui s’est déroulée à la suite de l’opération de Louhossoa a fait couler beaucoup d’encre. Difficile de prétendre apporter quoi que ce soit de nouveau à ce qui aura déjà été dit par les diverses parties prenantes de l’affaire. Voici ce qui m’a interpellé dans l’emballement qui a accompagné les faits.
Au lendemain des arrestations de Louhossoa, les déclarations des uns et des autres se sont succédé dans la fièvre médiatique habituelle en pareil cas. C’est la loi du genre, parfois certains touchent instantanément au fondement réel des choses, parfois d’autres disent de grosses âneries puis corrigent le tir à la lumière des informations progressivement mises au jour, et puis parfois encore certaines lectures restent inchangées même après mûre réflexion, en particulier celles qui sont dogmatiquement opposées aux logiques ayant présidé à l’événement.
C’est en particulier le cas de cet ensemble de gens –qui vont d’une grande partie de la classe politique espagnole jusqu’au gouvernement français lui-même– qui choisit de n’avoir au sujet de cette affaire qu’une lecture purement juridique : “quel que soit leur objectif politique réel ou supposé, ces gens n’ont pas à faire ce qu’ils ont fait car c’est illégal”.
Légalité versus légitimité
N’étant pas juriste, je ne mesure pas le niveau d’étanchéité qui, au moment d’être jugé par un tribunal, sépare la nature juridique d’une action de sa fonction philosophique ou politique ; et loin de moi l’idée d’interférer dans les développements judiciaires de l’affaire, encore moins si cela risque de fragiliser quelque ligne de défense. Mais enfin, il me semble qu’a priori l’esprit de l’initiative prise à Louhossoa est aussi évident que le nez au milieu de la figure, qu’il en devient carrément incontestable à partir du moment où trois d’entre eux l’ont eux-mêmes expliqué par écrit et ce avant même l’événement, et que ces derniers ont à la fois l’âge et l’expérience requis pour être conscients du fait que ce qu’ils faisaient était illégal. Reste donc la question, la seule véritable : le seul critère de légalité doit-il être invoqué pour percevoir cette action, ou ne faut-il pas reconnaître l’évidence que cette dernière a délibérément été positionnée au-delà de la barrière de la légalité pour se hisser au niveau de sa légitimité ?
Dans un régime où les pouvoirs sont séparés, quel jugement doit prévaloir ? Celui de l’institution judiciaire –par laquelle une société fait respecter un cadre par ailleurs absolument indispensable– ou celui de la souveraineté populaire notamment représentée par ses élus qui, en l’occurrence, se sont rassemblés dans une remarquable unanimité en soutien aux interpellés ?
Nous sommes d’ores et déjà à la quadrature du cercle : le juge brandira le code pénal au nom de la société, mais cette même société lui dit d’ores et déjà qu’elle s’y oppose.
Comment une démocratie gère-t-elle ce hiatus ?
Comparaison n’est pas raison, et pourtant…
On verra bien comment tout cela sera tranché dans le cas présent. Mais à cette lecture, deux autres choses me viennent à l’esprit.
La première se limite à un coup de sang, quand concomitamment aux arrestations de Louhossoa tombe le verdict du procès de Christine Lagarde, présidente du FMI, reconnue coupable par la Cour de justice de la république de négligence sur un arbitrage ayant permis un énorme détournement de fonds publics, mais dispensée de peine. Comme toujours et pour tout, les affaires ne sont pas comparables. Mais lorsque l’on se “limite” à la problématique de la légalité et de la légitimité, on s’agace relativement vite du rapport entre l’absence de peine pour l’une avec 400 millions d’euros publics en jeu, et ce que risquent les autres pour avoir voulu faire avancer un processus de paix. On s’agace d’autant plus lorsque le gouvernement français renouvelle sa confiance à la première tandis qu’il considère les seconds comme des terroristes.
La seconde chose qui me vient à l’esprit est le réflexe de mettre cette initiative des “artisans de la paix” en perspective avec la grande tradition de la non-violence active telle qu’elle a parcouru l’histoire. Certes, une Rosa Parks ne manipulait pas d’armes pour les détruire ; mais lorsqu’elle refusa de céder son siège à un Blanc dans un autobus de Montgomery en 1955, violant délibérément la loi, elle plaça elle aussi d’emblée son action dans le champ de la légitimité. Elle aussi entendit les cris d’orfraie lui reprochant de défendre ses idées hors du cadre légal. Elle fut d’ailleurs condamnée. Mais grâce à son geste et à tous ceux qui suivirent, les Noirs américains conquirent leurs droits civiques et le monde entier encense aujourd’hui ces belles âmes qui n’ont pas eu peur de la prison au nom d’une cause juste.
Rosa Parks ne manipulait pas d’armes pour les détruire ;
mais lorsqu’elle refusa de céder son siège à un Blanc
dans un autobus de Montgomery en 1955,
violant délibérément la loi,
elle plaça elle aussi d’emblée son action
dans le champ de la légitimité.
Non-violence active
Grande histoire universelle ou petite histoire locale, lutte pour les droits civiques afro-américains ou artisans de la paix du Pays Basque… d’aucuns diront que mettre les uns et les autres sur le même plan n’a pas de sens. Le Pays Basque n’est pas les Etats-Unis et ils n’auront évidemment pas la même place dans la mémoire historique, mais la logique d’action dans laquelle ils s’inscrivent n’en est pas moins la même, et les gens de toute tendance qui la soutiennent ne s’y trompent pas. Là réside la grande force de la non-violence active, celle-là même que portaient d’ailleurs déjà les Demo il y a quelques années : parce qu’elle place la légitimité au-dessus de tout, le courage au mépris du procès, parce qu’elle est assumée à visage découvert, parce qu’elle ne fait risquer de violence qu’à ses auteurs et subit une répression perçue comme d’autant plus injuste, parce que tout cela lui confère instinctivement une noblesse, elle gagne les coeurs et les âmes.
C’est toute la force d’un “artisan de la paix”.
Bravo pour l’article. Bonne analyse. Je n’aurais pas pu mieux dire.