Chaque conflit a ses spécificités. Le Forum de Biarritz a su mettre en évidence l’implication de la société civile après le déclic de Luhoso et préparer le rendez-vous décisif du 8 avril dans lequel elle s’engage.
C’est en cheminant que s’ouvre le chemin. Il n’existe pas de voie toute tracée pour parvenir à la paix. La paix est un patrimoine collectif. Elle est l’affaire de tous et ne doit pas être récupérée politiquement. Tels sont quelques propos tenus au colloque sur “le désarmement au service de la paix”, le 18 mars dernier à Biarritz.
Si la résolution des autres conflits dans le monde présente des aspects intéressants, chaque contexte étant différent, c’est l’intelligence collective qui doit être à l’oeuvre pour innover et chercher des solutions adaptées.
En situation de paralysie, comme c’est le cas du conflit basque, depuis plus de cinq ans, plus il y aura de participants, plus on gagne en légitimité, selon Kristian Herbolzheimer de “Conciliation Ressources”.
Pourtant, malgré la singularité de chaque contexte local et temporel, certains principes et objectifs d’un processus de paix doivent être partagés: contribuer à la paix et à la stabilité, restaurer la confiance entre adversaires, prévenir de futurs conflits, contribuer à une réconciliation, travailler à la reconstruction et au développement.
Pour des combattants, rendre les armes revient à se déshabiller et la réussite de cette étape dépend du travail amont. Cette étape cruciale se fait de façon très différente selon le contexte, soit sur la place publique, soit dans la plus grande discrétion, comme en Irlande, mais dans tous les cas, elle s’accompagne de la dissolution de l’organisation armée et de l’accompagnement des combattants (Colombie…) dans leur reconversion dans la vie civile.
La paix est l’affaire de tous: personnes de bonne volonté, juristes, ONG, syndicats, partis politiques, associations et élus.
Désarmer les esprits
On l’aura compris, il faut aussi désarmer les esprits. C’est la tâche la plus difficile, car, dans chaque camp, on a du mal à changer de logiciel. Si, des personnalités éminentes du monde entier ont tenté d’impulser un désarmement ordonné et coordonné dès 2011, suite aux accords d’Aiete, elles se sont heurtées à l’indifférence et au mépris des gouvernements français et espagnol.
Aucune réponse des gouvernements français et espagnol jusqu’aux événements de Luhuso, le 16 décembre dernier. Les arrestations de Luhuso ont suscité un élan nouveau dans la société d’Iparralde. Les cinq restent sous contrôle judiciaire, en attente d’un procès, mais le chef d’inculpation de “terrorisme” n’a pas été retenu contre eux.
Enfin, les media hexagonaux ont évoqué le sujet et donné la parole aux élus locaux, aux “artisans de la paix”, aux personnalités extérieures engagées dans ce processus…
Un film documentaire “La paix maintenant, une exigence populaire” a été réalisé, les gouvernements d’Euskadi et de Navarre s’engagent dans la nouvelle phase, aux côtés du forum social permanent rassemblant des associations et syndicats divers d’Hegoalde et d’Iparralde.
Un pas en avant important est franchi au Pays Basque, sans pour autant qu’il y ait l’ombre d’un changement dans l’attitude des gouvernements français et espagnol.
Silence de trois mois après Luhuso. Vendredi 17 mars dernier, jour de l’ouverture du colloque sur le désarmement, une déclaration de Txetx annonce une date butoir : le 8 avril et un appel solennel au gouvernement français pour rendre possible ce désarmement avec toutes les garanties techniques et légales avant cette date.
En visite à Pau quelques jours plus tard, Bernard Cazeneuve affirme qu’aucun gouvernement ne peut s’opposer à un désarmement, dans les règles de la République. Cette fois, tout se passe en territoire français et le gouvernement actuel pourrait s’honorer d’avoir mis fin au plus vieux conflit armé d’Europe.
Silence et oubli
Qu’est-ce qui empêche l’Etat français de changer de logiciel ? Pourquoi ne s’attache-t-il pas à trouver des solutions intelligentes, comme pour la Nouvelle Calédonie, à l’époque ? Qu’est ce qui le dérange dans ce désarmement ? Quand sera-t-il enfin un Etat souverain ? se demandait Jean-René Etchegaray au forum de Biarritz. Autant de questions que nous nous posons tous.
Bien sûr, la France n’a pas l’habitude de la justice transitionnelle. Jamais les cas de torture en Indochine ou en Algérie n’ont été traités. Le silence et l’oubli sont à l’origine de la pire gangrène des décennies plus tard. Selon Serge Portelli, juge à la Cour d’appel de Versailles, le cas des détenus aurait été facile à régler en premier, car moins compliqué qu’ailleurs, mais l’erreur a été de ne pas avoir suffisamment pris en compte l’immense pouvoir de l’administration pénitentiaire française .
Vidéo du Forum : Le désarmement au service du processus de paix 17 et 18 mars – Biarritz Table ronde n°2 le 18/03/2017 « Les principes d’un processus de désarmement » Serge Portelli, Magistrat à la Cour d’Appel de Versailles
La France n’a pas l’habitude de la justice transitionnelle.
Jamais les cas de torture
en Indochine ou en Algérie n’ont été traités.
Le silence et l’oubli
sont à l’origine de la pire gangrène
des décennies plus tard.
Les situations changent, mais, côté espagnol, les réponses sont immuables. Mariano Rajoy, veut une reddition pure et simple “de la bande armée” avec humiliation des perdants et reniement de leur engagement. Pour lui, il n’y a pas de conflit, que des terroristes. Le discours ne change pas, le matraquage dans les media espagnols non plus.
Le moment n’est pas à la polémique. D’aucuns regrettent la rupture de la trêve de Lizarra/Garazi, d’autres font remarquer qu’il n’y a pas de conflit puisque les armes se sont tues. Toutes ces arguties sont déplacées aujourd’hui. L’analyse du passé est un chose, la vision partagée de l’avenir en est une autre. Chacun doit apporter sa pierre à l’édifice pour construire, ensemble, un Pays Basque apaisé dans lequel la pluralité des opinions s’exprimera et les souffrances des prisonniers et de leurs familles cesseront.
Notons tous le 8 avril dans nos calendriers et tenons-nous prêts à prendre part à ce moment important.
Vidéo de la prise de parole de clôture du Forum de Biarritz par Michel Tubiana, Président d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme
« Chacun doit apporter sa pierre à l’édifice pour construire, ensemble, un Pays Basque apaisé dans lequel la pluralité des opinions s’exprimera et les souffrances des prisonniers et de leurs familles cesseront. »
Il est à mon sens très important, à chaque fois qu’on aborde la question des souffrances d’un côté, de ne jamais oublié celle « de l’autre côté », en l’occurrence ici celles des familles (ou des proches) victimes de l’ETA. C’est à mon sens avec cette vigilance et préoccupation constantes que peut se construire un procéssus de paix pluriel et durable.