Ne sont des veaux, ni les basques, ni les français

IMGDPL07-10-2-76d84L’idée consistant à expliquer les résultats du 1èr tour des présidentielles par la bêtise des votants ne peut suffire. C’est en effet oublier le rôle crucial joué par les grands médias généralistes, service public compris, en faveur des trois candidats arrivés en tête.

Printemps 2007, le linguiste Noam Chomsky rappelait que certes la puissance de manipulation des médias n’est pas absolue, mais que leur influence est importante, notamment sur la fraction de la population la plus éduquée. Ironie du sort tout juste une décennie plus tard, Emmanuel Macron, un ancien banquier de Rothschild totalement inconnu avant 2014, est parvenu en tête des élections présidentielles. Une victoire d’autant plus déconcertante qu’elle a propulsé vers le pouvoir l’héritier en filigrane de François Hollande, ce président sortant à l’impopularité inégalée, et qu’elle a reposé entièrement sur une stratégie de marketing. Ainsi on ne saurait expliquer ce coup de force politique par la seule phrase du général de Gaulle « les français sont des veaux ». En effet, plus que jamais dans cette élection présidentielle, les grands journaux privés et les médias de masses sont parvenus à imposer les candidats de leur choix : Emmanuel Macron, et dans une moindre mesure François Fillon et Marine Le Pen. Et en ce sens, les 19,64 % de Jean-Luc Mélanchon au niveau hexagonal et le faible score du Front national localement en Iparralde (12,10%) montrent que ni les basques, ni les français sont de jeunes bovins. En effet, une percée de la France insoumise était hautement improbable il y a quelques semaines encore : on pourrait même s’étonner que tant de votants aient résisté à l’intense matraquage médiatique en faveur de la droite et de l’extrême-droite.

L’hystérie sondagière

Comme le rappelle Acrimed, en 20 ans la folie sondagière s’est totalement aggravée : du 1er janvier au 6 avril 2017, 266 sondages ont été publiés, soit près de 3 par jour. Une critique élémentaire suffit à nuancer, sinon à discréditer, les interprétations des résultats des sondages électoraux récents. Pourtant, ces derniers ont constitué quotidiennement une grande partie de la production et de l’analyse de l’information électorale. Parmi les biais élémentaires, (outre ceux méthodologiques recensés par Alain Garrigou et Richard Brousse dans Manuel anti-sondages. La démocratie n’est pas à vendre), il faut pointer les conflits d’intérêts évidents dont a profité le candidat d’En Marche ! Contrairement à ses discours rabâchés, Emmanuel Macron était « le » candidat du système avec dernière lui les banques, les grands groupes du CAC40 et… les instituts de sondages, comme l’a démontré courant mars cette vidéo militante. On y découvre notamment que Vincent Bolloré, président des conseils de surveillance de Canal+ et de Vivendi, et soutien public d’Emmanuel Macron, possède, par l’intermédiaire du groupe Bolloré, l’institut CSA, chargé d’études de marché et d’enquêtes d’opinion. Or, à partir du moment où ces instituts de sondages ont placé Emmanuel Macron en tête des intentions de vote, ce phénomène a constitué un effet fondateur dans l’imaginaire des votants et sa stature de présidentiable apparaissait des-lors comme naturelle.

Victoire du pouvoir économico-médiatique

« Cette victoire montre qu’il n’y a aucune fatalité » s’est enthousiasmé Emmanuel Macron à l’annonce des résultats du 1er tour. Mais aucune fatalité pour qui ? Les puissants ou la cohorte de fossiles notoires de la politique qui se recyclent : Dominique Strauss-Khan, François Bayrou, Jacques Attali, Stéphane Le Foll, Alain Minc, Robert Hue, Bertrand Delanoe… ? Dans Main basse sur l’information, Laurent Mauduit, le cofondateur du site Médiapart décrit l’« asservissement » des grands médias français à une poignée d’oligarques multimédias (voir « Le pouvoir médiatique en France »). L’auteur détaille les méthodes et les parcours de Vincent Bolloré, Patrick Drahi, Xavier Niel ou Bernard Arnault. « Ces patrons, manifestement ivres de leur pouvoir, envisagent des censures qui, en d’autres temps, auraient été plus discrètes » rappelle Mauduit. Dans ce contexte, il est évident que le candidat Emmanuel Macron a été privilégié par les médias privés en raison de leurs liens de subordinations à une poignée d’oligarques qui voyaient un grand intérêt économique dans sa victoire. (Faut-il encore rappeler qu’Emmanuel Macron promeut une croissance sans limite quels que soient les ravages sociaux et écologiques, le travail le dimanche, le CETA, le tout routier, la casse des acquis sociaux et du droit du travail…) Exemple, avant mars, BFMTV avait diffusé en durée autant de réunions publiques d’Emmanuel Macron… que de l’ensemble de ses quatre concurrents principaux réunis ! Et même les médias spécialisés comme Sciences et Avenir, deuxième magazine de vulgarisation scientifique, on fait la promotion du leader d’En Marche !  : « Quatre pages dans l’édition de mars 2017, avec le nom du candidat en (très) grand sur la couverture » s’indigne ainsi Laurent Dauré pour Acrimed (Sciences et Avenir est détenu à 93 % par l’industriel et homme de presse Claude Perdriel, propriétaire de l’hebdomadaire économique Challenges). A contrario, à l’égard de Jean-Luc Mélanchon, les médias de masses et tout particulièrement les radios commerciales comme RTL, RMC, Europe 1, se sont caractérisés par un déferlement de commentaires hostiles, outranciers, mensongers et grossièrement partisans – un « véritable cas d’école de journalisme de compétition (sondagière) et de prescription (des options politiques légitimes) » commente Mathias Reymond, toujours pour Acrimed. Et le service public a rapidement pris ce sillage, exemple sur France 2 (24 février 2017) : François Lenglet, soutenu par David Pujadas et Léa Salamé expose les similitudes entre les programmes de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen. Un procédé qu’il ne renouvelleront pas, bien sûr, avec les autres candidats comme Emmanuel Macron.

ppa-1-9Information sous contrôle, le mythe déchue du contre-pouvoir

Il est loin le temps où chacun assimilait les médias à un contre-pouvoir. A juste titre, le sociologue Marcel Gauchet préfère désormais le terme de « méta-pouvoir« , parce que conditionnant sans cesse les pratiques des pouvoirs politiques et constituant tant leur infrastructure que leur superstructure. Exemple, la candidate du Front national a multiplié les contre-vérités pendant sa campagne, comme le montre la rubrique les « décodeurs » du quotidien Le Monde. Pourtant, aucun de ses mensonges n’a été pointé à heure de grande écoute lors des interview par les journalistes mainstream. Tout comme David Pujadas et Léa Salamé n’ont jamais demandé à Emmanuel Macron, en quoi concrètement son programme, dans la continuité de celui de Hollande, constituait une « révolution » ou un « vote anti-système » (selon les termes de son ouvrage et de sa rhétorique privilégiée) ; comment tout simplement un programme peut-il être ni de droite, ni de gauche ? : « C’est juste un programme de droite qui ne s’assume pas ! » analyse ironiquement l’économiste Frédéric Lordon, agacé par le fait que cette certitude ne se soit jamais imposée dans le débat public.

Le lit idéologique du FN

Selon le sociologue Pierre Bourdieu, un principe de base en manipulation journalistique et de fabrique de l’opinion consiste à choisir les thèmes des questions destinées aux candidats. En ce sens, en abordant systématiquement la question migratoire (voire la « crise » migratoire pour faire bien peur) et celle du terrorisme islamiste, ces thèmes s’imposent ensuite comme centraux dans l’esprit des citoyens (et donc la tentation d’élire des candidats sur ce créneau thématique), et ceci au détriment par exemple de l’enjeu climatique, de la souffrance au travail, de la violence conjugale et sexiste, des inégalité de richesses… Exemple, les thèmes choisis lors du grand débat de BFM qui avait réuni les 11 candidats à la présidentielle le 4 avril (temps de travail, soutien aux entreprises, terrorisme, immigration et gouvernance internationale), étaient de fait défavorables à Benoit Hamon, Jean-Luc Mélanchon et normalisaient dans l’inconscient collectif les propositions d’Emmanuel Macron, François Fillon et Marine Le Pen. De manière révoltante, il fallut que cela soit Philippe Poutou, et non un journaliste, pour pointer les casseroles de Marine Le Pen et de François Fillon, contraints pour une fois d’y répondre en direct, et non pas par conférence de presse interposées.

macronunesLe vote FN n’est pas un accident de parcours

Dans Pharmacologie du Front National, en 2013, le philosophe Bernard Stiegler a relancé le débat en montrant que les idées dans lesquelles se reconnaissent les électeurs Lepénistes n’ont pas été produites par le Front National : ce sont celles que l’ultralibéralisme a engendrées. La logique du bouc émissaire, à savoir l’étranger, serait fonctionnellement indispensable comme inversion de causalité à l’acceptation des dégâts de l’ ultralibéralisme en France. De plus, selon lui « la défaite idéologique de la pensée de la gauche aura consisté à abandonner toute capacité à critiquer la société de consommation et à ne pas voir comment le consumériste est devenu, en quelque sorte par intégration fonctionnelle, une machine de guerre idéologique, permettant de contrôler les représentations ». Avec ce logiciel, on comprend pourquoi le Vaucluse concentre à la fois les plus grands centre commerciaux d’Europe et un électorat séduit encore dimanche dernier à 30,5% par Marine Le Pen. Les centres villes y ont été délaissés au profit d’un mode individualiste, où domine le sentiment d’abandon, d’isolement et la vie pavillonnaire (Lire aussi Le cauchemar pavillonnaire). D’ailleurs, au Pays Basque ce sont encore les communes de zones péri-urbaines, banlieues dortoirs du BAB, qui ont voté le plus FN aux dernières présidentielles : Mouguerre (17,2%), Urcuit (19,26%). A l’inverse, le vote frontiste est relativement contenu à Bayonne (13,5%) et Biarritz (9,59%). Et c’est encore à Etcharry, village de 120 habitants où le vote d’extrême-droite bas des records (28,40%) : un résultat qui doit bien sûr être compris par la présence de la communauté religieuse d’extrême-droite Fraternité Saint Pie X.

Pas de victoire sans métapolitique

Enfin, l’universitaire en science politique Ugo Palheta a aussi détaillé brillamment de quelle manière les médias de masse ont participé au succès du Front national dans les scrutins. D’une part, la construction médiatique de problèmes sociaux qui sont, de fait, le fond de commerce du FN : l’insécurité, l’islam, l’immigration… ; la dépolitisation de l’exercice de la politique réduit aux petites phrases et aux jeux d’appareils ; la stigmatisation des mouvements sociaux, produisant un sentiment d’impuissance, à savoir que les luttes sociales ne servent à rien et qu’une figure messianique sauvera la situation ; la surmédiatisation de penseurs d’extrême-droite (Eric Zemmour, d’Alain Finkielkraut, …) ; la présentation de la construction européenne uniquement sous ses aspects et ses perceptives négatives….A quoi on pourra rajouter la négation des enjeux écologiques.

On l’ a compris, si un vrai changement de modèle politique s’opère par les urnes, il sera forcément précéder d’un projet de société articulé sur la participation et le soutien financier massif à des médias réellement indépendants du pouvoir politico-économique. Ceci passe aussi par la Metapolitique, notion si chère à Antonio Gramsci, à savoir la pérennisation de réseaux solidaires, non sexistes et écologiques d’information, de sociabilisation, de formation et de pratiques festives.

 

 

 

 

 

 

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Une réflexion sur « Ne sont des veaux, ni les basques, ni les français »

  1. Hormis deux broutilles -2 fautes d’orthographes à Mélenchon (pas de « a ») et préceder et un doute sur l’attribution de la phrase « les français sont des veaux » à De Gaulle- voilà encore un excellent article toujours aussi abondamment argumenté par une plume bayonnaise qu’on voudrait lire plus souvent !
    Merci Jean Sébastien : grâce à toi notre intellect s’épaissit toujours un peu plus !
    Jean Marc Abadie

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