Nous étions dans une situation surréaliste. Une organisation armée voulait désarmer, de manière ordonnée, digne et sécurisée et les polices française et espagnole l’en empêchaient. Cela allait jusqu’à convoquer les membres de la Commission internationale de vérification dont la mission était de garantir la réalité du cessez-le-feu déclaré par ETA en 2011. Cela allait jusqu’à arrêter les responsables des caches d’armes d’ETA, qui se livraient à des travaux d’inventaire et de mise sous scellés, faisant bien évidemment peser des risques sur le contrôle effectif de cet arsenal.
Cette politique des Etats français et espagnols était incompréhensible pour tout observateur extérieur. Partout ailleurs, les Etats concernés auraient aidé à rendre irréversible et ordonné le désarmement d’une organisation clandestine ayant décidé de mettre fin à sa confrontation violente avec eux. Ici, ce fut le contraire et ce choix eut des conséquences bien précises. On maintenait artificiellement une situation de tension et de crispation.
Cela bloquait le cours du temps, pendant près de six ans et cela aurait pu durer ainsi très longtemps encore, au détriment des nombreux et importants dossiers qui nécessitaient la fin de cette situation de tension pour avancer et évoluer favorablement.
Accélérer le cours du temps
L’irruption de la société civile, par le biais d’une première initiative retentissante, que certains ont pu juger folle, mais qui était longuement mûrie et réfléchie, a renversé la table. Dès lors, en moins de quatre mois, le problème du désarmement était résolu d’une manière sécurisée et digne, qui prémunit ainsi contre toute envie de revanche, contre toute possibilité de voir se rouvrir la page de la lutte armée.
Louhossoa a accéléré le cours du temps, et je pense que le 8 avril va également l’accélérer à son tour et aura de nombreuses et importantes conséquences positives dans les mois à venir.
Les Artisans de la Paix ont demandé, et obtenu, d’ETA un pas considérable sur le chemin de la paix, le démantèlement total des caches d’armes qui étaient sous son contrôle.
Aujourd’hui, c’est aux deux Etats que nous devons demander qu’ils effectuent à leur tour un tel pas sur ce même chemin de la paix. Il est plus urgent que jamais de mettre fin au régime d’exception, voire de cruauté, dont souffrent les 350 prisonniers politiques basques encore incarcérés. Il faut regrouper et rapprocher ces prisonniers pour éviter à leurs familles l’épuisement physique et financier de ces interminables voyages pour leur rendre visite, sans parler des accidents, graves voire mortels, que cela leur fait risquer (rappelons que cette politique de dispersion et d’éloignement a causé plus de 400 accidents de voiture chez les familles et amis des prisonniers basques, causant pas moins de 16 morts!).
Il faut que les prisonniers basques puissent bénéficier des mêmes droits et bénéfices (remises de peines, libérations conditionnelles, etc.) que les prisonniers de droit commun.
Et il faut, bien entendu, que les prisonniers malades puissent être libérés de manière à recevoir les soins adéquats et être entourés de leur familles.
En moins de quatre mois,
le problème du désarmement
était résolu d’une manière sécurisée et digne,
qui prémunit ainsi contre toute envie de revanche,
contre toute possibilité de voir se rouvrir
la page de la lutte armée.
Les lois d’exception, comme la loi 7/2003 qui officialise des perpétuités effectives, doivent être annulées.
Et il faudra bien avoir l’intelligence politique de voir comment, et via quelles procédures, on va peu à peu libérer tous ces prisonniers politiques.
Qui se figure qu’une paix irréversible, qu’une réconciliation peuvent réellement s’établir en gardant incarcérés 40 ans les militants d’ETA?
D’autant plus dans un Etat où les responsables de la milice para-policière anti-basque GAL, qui étaient condamnés à 70 ou 75 années de prison pour enlèvements, tortures et assassinats, ont été libérés au bout de trois à quatre années.
Paris, prochain Artisan de la paix ?
75 prisonniers politiques basques sont incarcérés en France et y sont également soumis à des régimes d’exception. Paris a enfin montré une différence de ton et d’attitude par rapport à Madrid sur la question du désarmement. Cela lui a particulièrement bien réussi et l’accueil en Pays Basque Nord a été unanimement positif, quelles que soient les sensibilités politiques.
La paix en Pays Basque aurait beaucoup à gagner si le gouvernement français prenait rapidement des initiatives dans le dossier des prisonniers. Ce lundi 24 avril, la justice française vient d’accepter une suspension de peine pour le prisonnier gravement malade Oier Gomez (il est atteint d’un cancer très grave —sarcome d’Ewing— avec des métastases à la tête et au bassin).
Elle a argumenté cette décision au regard de l’état de santé d’Oier mais également du nouveau contexte créé par le démantèlement de l’arsenal d’ETA.
Un minimum d’intelligence politique et humaine semble enfin réapparaître dans le traitement du dossier basque.
Le nouveau contexte, créé par le 8 avril, doit pouvoir permettre la libération des autres prisonniers gravement malades ainsi que les premiers rapprochements et regroupements de prisonniers. Voir qu’à des gestes de bonne volonté répondent d’autres gestes de bonne volonté ne peut qu’enclencher une dynamique positive qui profitera à tout le monde, basques, espagnols et français.
Faire le petit télégraphiste du gouvernement PP à Madrid a fait perdre beaucoup d’années à l’avènement d’une paix globale, juste et durable au Pays Basque. Marquer une position différente par rapport au désarmement a permis un résultat indéniablement positif.
L’Etat français peut aujourd’hui ouvrir la voie, créer de nouvelles perspectives, bien plus constructives, sur la question des prisonniers basques. Il peut en quelque sorte devenir lui également un Artisan de la paix.