Le scrutin français du 18 juin a vu l’élection de cinq députés indépendantistes : trois Corses, un Martiniquais et un Polynésien. En revanche, du fait de leurs dissensions internes, les Canaques ne sont pas parvenus à élire un des leurs.
L’élection d’un député souverainiste polynésien
et la défaite des trois députés sortants
traduisent l’effondrement d’un système mafieux.
Jean-Philippe Nilor du Mouvement indépendantiste Martiniquais,
est réélu avec 68,02 % des voix
avec pour objectif
“la décolonisation et l’indépendance de la Martinique”.
Moetai Brotherson sera le premier député souverainiste polynésien qui siègera au Palais-Bourbon. Candidat du parti Tavini Huiraatira, il a été élu dans la 3e circonscription de Polynésie (Bora-Bora) avec 52,50 % des voix. Cette formation dont le nom complet, en tahitien, Tāvini Huira’atira nō te Ao Mā’ohi-FLP (serviteur du peuple polynésien), est un parti politique polynésien, dirigé par Oscar Temaru qui a présidé à plusieurs reprises le pays. Son but, à terme, est l’indépendance du territoire. Moetai Brotherson né en 1969 est métis, il parle la langue reo tahiti. Après des études d’ingénieur à l’École Internationale des sciences du traitement de l’information, puis en Floride, il travaille à New-York de 1999 à 2001. Éprouvé par l’attentat du 11 septembre 2001 au World Trade Center qu’il a vécu en direct, Moetai Brotherson décide de rentrer à Tahiti fin octobre 2001 avec toute sa famille. Ecrivain, il est auteur de contes et de romans dont le plus connu est le Le Roi absent et s’inscrit dans la lignée d’écrivains et conteurs polynésiens tels que Chantal Spitz ou Titaua Peu, qui cherchent à travers leur écriture à libérer la parole de leur peuple, jusqu’alors en proie au mutisme et à l’autocensure. Indépendantiste depuis l’âge de onze ans, M. Brotherson ne veut pas se résoudre à mourir en Polynésie occupée et croit au sens premier du «Taui», le changement. L’élection de ce député souverainiste polynésien et la défaite des trois députés sortants traduisent l’effondrement d’un système mafieux longtemps au pouvoir dans l’archipel, celui du RPR Gaston Flosse.
Jean-Philippe Nilor du Mouvement indépendantiste martiniquais (MIM), est réélu dans la 4e circonscription de la Martinique avec 68,02 % des voix. Né en 1965 à Fort-de- France, il a fait des études universitaires en Aménagement du territoire et en économie du transport. De 1997 à 2012, il est assistant parlementaire du député indépendantiste Alfred Marie-Jeanne qui préside aujourd’hui le Conseil régional de la Martinique. Le Mouvement indépendantiste martiniquais (Mouvman endépandantis matinitjé en créole) a été créé en 1978 par Alfred Marie-Jeanne, avec pour objectif “la décolonisation et l’indépendance de la Martinique”. Mais aujourd’hui, le MIM ne fait plus de l’indépendance un objectif immédiat. En décembre 2008, lors du Congrès des élus départementaux et régionaux de la Martinique, les élus du MIM ont voté à l’unanimité pour une évolution statutaire de l’île fondée sur l’article 74 de la Constitution qui permet l’accès à l’autonomie. Le 10 janvier 2010, la consultation de la population martiniquaise a eu lieu sur un éventuel changement de statut de leur département en une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 et dotée d’un juste degré d’autonomie. Les élus et militants du MIM ont voté oui à cette consultation. Le journal du MIM a pour nom La parole au Peuple et sa radio s’appelle RLDM, Radio Lévé Doubout Matinik. Le mouvement compte un député, huit conseillers régionaux, deux conseillers généraux et un maire à Gros-Morne. Il dispose également d’une quarantaine de conseillers municipaux dans toute la Martinique. À l’Assemblée nationale, Jean-Philippe Nilor siège depuis 2012 au groupe parlementaire de la Gauche démocrate et républicaine.
Les trois députés abertzale corses élus le 18 juin se présentaient sous l’étiquette Pè a Corsica (Pour la Corse) qui rassemble les deux tendances du nationalisme corse aujourd’hui réconciliées : les autonomistes et le FNLC, pour faire court. Une seule circonscription, celle d’Ajaccio, échappe aux nationalistes corses.
Paul-André Colombani, élu député de la deuxième circonscription de Corse-du-sud (Sartène) avec 55,22 % de suffrages, a mis fin à une dynastie du clan corse, représentée par Camille de Rocca-Serra. Engagé sur le plan syndical au sein des Unions régionales des professionnels de santé, ce médecin généraliste de 49 ans a présidé l’Observatoire régional de la Santé qui lutte en particulier contre la progression des déserts médicaux dans l’île et s’attaque aux difficultés sanitaires liées au vieillissement de la population. Il a en outre mis en place un registre des cancers de la Corse. Très sensibilisé aux questions sociales, Paul-André Colombani s’engage en politique et rejoint la liste d’opposition au maire de Zonza lors des élections municipales de 2014, avant d’être élu en décembre 2015 à l’Assemblée de Corse dirigée par les nationalistes. Il appartient au groupe Femu a Corsica (Faisons la Corse) de tendance autonomiste.
Michel Castellani, 71 ans, élu de la première circonscription de Haute-Corse (Bastia) avec 60,81 % des voix. Ce professeur d’économie à l’université de Corse Pascal Paoli, est adjoint à l’urbanisme et à la planification au sein de la municipalité de Bastia conquise par Gilles Simeoni. Le 18 juin, il a battu une figure politique locale, Sauveur Gandolfi (LR) qui se présentait pour la troisième fois. Membre fondateur de l’ARC aux côté d’Edmond Simeoni, pilier du mouvement autonomiste corse, M. Castellani milite depuis 50 ans et siège à l’assemblée de Corse dont il fut le benjamin en 1982 sur la liste du mouvement autonomiste Unione di u Pòpulu Corsu. Ses parents “n’ont jamais mis un pied à l’école ni parlé français à la maison” et il est un des acteurs majeurs de l’évolution fulgurante qu’ont mis en oeuvre les nationalistes corses ces dix dernières années. Pour en savoir plus, vous pouvez regarder ou lire trois interviews de Michel Castellani aux adresses suivantes : www.corsicatheque.com, www.corsenetinfos.corsica, www.famillechretienne.fr
Jean-Félix Acquaviva, 44 ans, député de la deuxième circonscription de Corse-du-sud (Corte, Calvi), avec 63,05 % des voix. Conseiller territorial à l’assemblée de Corse, maire de Lozzi, il préside l’Office des transports de la Corse. Jean-Félix Acquaviava est un des bras droits du patron de la région, Gilles Simeoni. Pour être élu député, il a bénéficié du retrait du député sortant Paul Giacobbi (DVG) et figure du clanisme le plus corrompu, qui a choisi de ne pas briguer de quatrième mandat après sa condamnation en janvier dernier à trois ans de prison ferme pour détournements de fonds publics. Cet indépendantiste considéré comme « modéré » et qui pratique le chant polyphonique, a notamment fait adopter à l’assemblée corse une nouvelle structure juridique pour gérer la desserte maritime de l’île et en finir avec les insécurités juridiques qui ont plombé la SNCM. Son parcours est constant depuis son engagement tout jeune au sein de la Lutte de Libération Nationale, puis pour faire évoluer le nationalisme vers la non-violence. Son engagement pour la montagne a construit sa notoriété auprès du monde rural. Maire de son village au coeur du Niolu, président de la Foire du Niolu, président de l’Association nationale des élus de montagne (ANEM), il a revendiqué sans relâche la nécessité de créer un Comité de Massif corse. Pour en savoir plus sur Jean-Félix Acquaviva, vous pouvez consulter : www.corsenetinfos.corsica, / www.lepoint.fr
La bannière qui rassemble les trois députés, Pè a Corsica, est une coalition nationaliste appelant à une autonomie renforcée de la Corse. Elle rassemble deux partis politiques (les autonomistes Femu a Corsica et les indépendantistes Corsica Libera).
Ses principales revendications sont les suivantes : la protection du littoral (interdiction du bétonnage des côtes), la co-officialité de la langue corse, le rapprochement des prisonniers politiques sur l’île, la maîtrise du foncier, le statut de résident, la préférence insulaire à l’embauche et l’inscription dans la Constitution française de la reconnaissance des spécificités de la Corse.
En effet, l’État français oppose souvent à ces demandes des obstacles constitutionnels. Avec l’éviction en 2007 de l’ancien ministre PRG Emile Zucarelli et l’effacement aujourd’hui de deux autres figures du clanisme corse, Rocca-Serra et Giaccobi, le paysage politique de l’île est désormais bouleversé. C’est la fin d’une époque. Cette arrivée en force des abertzale arrive trois ans à peine après le dépôt des armes par le FNLC, le 25 juin 2014. A la fin de l’année, de prochaines élections verront la disparition des deux départements Haute-Corse et Corse-du- Sud qui, par le biais des emplois publics, des investissements et des subventions, étaient le bras armé du clanisme. Les abertzale corses qui ont uni leurs forces en décembre 2015 et dirigent l’assemblée territoriale actuelle, devraient prendre le contrôle de la future collectivité unique. Quarante deux ans après l’occupation et la prise d’otages à la cave d’Aleria, le 21 août 1975, par le leader autonomiste Edmond Simeoni et les futurs fondateurs du FNLC, le chemin parcouru est immense.