Dire que la situation géopolitique des Kurdes est compliquée est un euphémisme. Au gré des luttes, de la répression et des renversements d’alliances, cette situation est devenue quasi incompréhensible. Voici un point sur la situation.
Le 8 mai restera peut-être comme une date marquante pour le Kurdistan, le jour où Donald Trump a annoncé que les Etats-Unis armeraient directement le YPG kurde et leurs alliés des Forces Démocratiques Syriennes (FDS).
Le plan d’armement préparé par le Pentagone devrait permettre au YPG de se constituer en une véritable armée, ce qui réjouit évidemment le mouvement kurde : “le moral de nos combattants est au plus haut. Cette étape majeure mènera les Kurdes au succès”.
En Turquie par contre, c’est la soupe à la grimace.
Le Premier ministre Binali Yildirim avait pourtant pris soin de mettre en garde les Américains contre leurs nouveaux partenaires qui “ne sont pas humains. Ce sont des machines qui tuent des gens.”
Il n’est pas inutile de revenir sur les raisons qui ont poussé les Etats-Unis à passer outre cet avertissement…
C’est au cours de l’été 2012 que plusieurs zones syriennes proches de la Turquie passèrent sous le contrôle du YPG, puis annoncèrent la constitution du Rojava, une région kurde autonome formée de trois cantons disjoints séparés par des zones contrôlées par l’Etat Islamique (EI) ou d’autres groupes djihadistes.
Les forces du YPG ont par la suite continué à avancer, avec pour objectif de relier les trois cantons et de faire ainsi du Rojava une zone politiquement et économiquement viable.
C’est parce que cette perspective lui était inadmissible que la Turquie lança en août 2016 l’opération Bouclier de l’Euphrate. La raison officielle de cette incursion armée en Syrie était de repousser l’EI, mais son objectif réel était bien évidemment d’empêcher le YPG d’assurer la jonction qu’il recherchait.
Les esprits s’échauffent
La Turquie entendait aussi s’appuyer sur l’opération Bouclier de l’Euphrate pour prouver son efficacité sur le terrain, et par la même pousser Washington à s’appuyer sur les forces pro-turques plutôt que sur les Kurdes pour l’offensive prochaine sur Raqqa, la “capitale” de l’EI.
Erdogan pensait par ailleurs pouvoir compter sur le soutien de Trump qui avait été le premier chef d’Etat à le féliciter après le référendum controversé visant à renforcer ses pouvoirs.
A quelques jours d’une rencontre entre les deux hommes, Erdogan a donc tenté de pousser son avantage et a voulu tester la solidité de l’accord entre les Etats-Unis et le YPG en bombardant le quartier général des forces kurdes en Syrie.
Mal lui en a pris, car les Etats-Unis et la Russie ont très peu apprécié cette initiative unilatérale et l’ont fait savoir en envoyant les troupes de la coalition internationale patrouiller ostensiblement aux alentours de la frontière turque. Cela n’a pas manqué d’échauffer certains esprits à Ankara, un conseiller du Président Erdogan allant même jusqu’à dire que “s’ils s’aventurent un peu trop loin, nos troupes pourraient ne plus se soucier des Américains… par accident, quelques roquettes pourraient bien les frapper”.
C’est dans ce contexte tendu, deux semaines à peine après le bombardement du YPG par la Turquie, que Trump annonçait sa décision d’armer les forces kurdes…
Cette décision a certainement été facilitée par la dégradation des relations américano-turques, mais elle fait surtout suite à un constat multiple et assez cruel pour la Turquie :
• Les forces du YPG sont jugées bien plus efficaces que les forces pro-turques
• Erdogan est devenu un partenaire peu fiable et affaibli après un référendum controversé gagné de justesse (et perdu dans toutes les grandes villes)
• Le YPG risquerait de se tourner vers la Russie et/ou l’Iran s’il était abandonné par les Etats- Unis
• Les Etats-Unis sont à la recherche d’un nouvel acteur sur lequel s’appuyer au Moyen-Orient, et le Rojava pourrait très bien jouer ce rôle.
Scénario catastrophe?
Les Kurdes de Syrie sont bien conscients de la faiblesse de la Turquie et entendent en tirer parti pour obtenir de conséquentes contreparties à leur futur engagement dans la bataille de Raqqa : ils souhaitent publiquement l’ouverture d’un corridor commercial reliant le Rojava à la Méditerranée.
Les Kurdes de Syrie sont bien conscients de la faiblesse de la Turquie
et entendent en tirer parti pour obtenir de conséquentes contreparties
à leur futur engagement dans la bataille de Raqqa :
ils souhaitent publiquement
l’ouverture d’un corridor commercial
reliant le Rojava à la Méditerranée.
Il est cependant assez peu probable qu’ils l’obtiennent.
La priorité, pour le moment, est d’accorder des gages à la Turquie qui pourrait tout à fait décider d’attaquer les zones kurdes quand les combattants du YPG seront mobilisés pour la bataille de Raqqa.
Pour éviter que la Turquie n’opte pour ce scénario catastrophe qui pourrait signifier l’échec de l’offensive de Raqqa et déstabiliser encore davantage la région, Washington assure que le YPG ne sera pas autorisé à rester à Raqqa et que “rien n’a été promis au YPG”. Un haut responsable américain a même affirmé que l’accord avec les forces kurdes est “temporaire, transactionnel et tactique”.
Autre monnaie d’échange : le PKK. Trump a tenu à rappeler que les Etats-Unis considèrent toujours le PKK comme une organisation terroriste, et il est fort probable que les Américains compensent leur soutien au YPG par une collaboration accrue avec la Turquie dans sa guerre contre le PKK. Vu le degré de cynisme de cette politique, on peut craindre que le “cadeau” fait par Washington au YPG ne soit un cadeau empoisonné : si le YPG sortait décimé –et donc dévalorisé— de la bataille de Raqqa, les Etats-Unis pourraient très bien le laisser tomber. C’est probablement le scénario qu’espère Erdogan.
Biziki argia et mamitsua da. Milesker zure azalpenengatik.
Bonjour, il s’agit d’un bon article.