L’actualité de cet été a été marquée dans nombre d’endroits en Europe par un phénomène plutôt nouveau à cette échelle mais bien connu au Pays Basque : la critique du tourisme. Tant de raccourcis sont opérés à ce sujet qu’il convient de rappeler quelques fondamentaux.
Barcelone, Saint-Sébastien, Venise, Dubrovnik… On ne compte plus les villes dont les habitants saturent de leur succès d’estime, jusqu’à manifester leur exaspération de manière parfois abrupte : “tourists go home !”
C’est assez nouveau, car d’ordinaire le tourisme est plutôt perçu comme une aubaine extraordinaire, véritable tas d’or sur lequel bien des “déserts touristiques” rêveraient de s’asseoir.
Mais voilà, partout cette affluence devenue extrême, le plus souvent ramassée sur quelques mois d’été, induit une kyrielle de phénomènes connexes insupportables : saturation de l’espace, chaos routier, inflation dans tous les domaines et notamment ceux du foncier et de l’immobilier, précarisation d’un emploi devenant toujours plus saisonnier, dégradation de l’environnement…
“Vous êtes gonflés, de quoi vivriez-vous sans l’argent des touristes !” – nous rétorque-t-on ; “Vous êtes des communautaristes et vous rejetez l’étranger” ; “Vous êtes contre les commerçants, or ce sont eux qui font vivre le pays”…
Tout y passe sur l’analyse réaliste ou présupposée du tissu économique local, ainsi que sur les motivations là encore souvent fantasmées de ceux qui tirent la sonnette d’alarme.
En ce qui me concerne, j’assume volontiers ma propre posture : oui, je fais partie de cette sinistre engeance qui trouve à redire à la situation touristique de son petit pays ; mais oui aussi, je suis favorable au tourisme.
Contradictoire ? Ni plus ni moins que le nutritionniste qui conseillerait à un obèse d’adopter un régime alimentaire mieux équilibré.
Car au Pays Basque comme ailleurs, le diable n’est pas dans l’activité touristique mais dans la place hypertrophiée qu’elle prend dans l’économie locale.
Pourquoi, d’ailleurs, serions-nous opposés au tourisme ? Rien ne me fait plus plaisir que faire découvrir à des gens de passage les beautés dont la nature et les sociétés qui nous ont précédés ont doté notre pays.
A l’inverse, pour peu que nos moyens financiers nous le permettent, nous aimons bien, nous aussi, jouer les touristes hors de chez nous, et parfois précisément en ces destinations dont on contribue à la saturation lors même que nous nous en désolons chez nous !
Non, nous ne disons pas “tourists go home”.
“Le Pays Basque n’est pas à vendre”
Ce slogan, qui fit florès il y a quelques décennies, ressemble davantage à ce que l’on pourrait plus vraisemblablement reprocher à l’activité touristique.
Ouvrir notre pays à ses visiteurs, oui. Partager tout ce qu’on a à leur offrir, oui aussi ; à supposer que cela ne sombre pas dans ce folklorisme racoleur qui respecte aussi peu le pays que ceux qui le visitent. Faire commerce de produits d’agréments et de souvenirs, oui encore, en sachant ne pas oublier quelques règles d’éthique de base. Mais vendre le pays lui-même, pas question !
Ouvrir notre pays à ses visiteurs, oui.
Partager tout ce qu’on a à leur offrir, oui aussi ;
à supposer que cela ne sombre pas
dans ce folklorisme racoleur
qui respecte aussi peu le pays
que ceux qui le visitent.
Mais vendre le pays lui-même, pas question !
Or, c’est bien de cela qu’il s’agit quand on laisse proliférer les logements de villégiature alors que la population locale peine à se loger ; quand on multiplie les infrastructures de transport (élargissement de l’A63, LGV) pour favoriser l’accès à ces logements depuis Paris ; quand on laisse les commerces “éphémères” (de tout type) supplanter les commerces ouverts à l’année ; quand l’effort en matière culturelle ou de loisir se porte sur l’été et laisse de côté les saisons “basses” durant lesquelles ne demeure que la piétaille du coin ; ou encore quand un projet pharaonique met en péril un massif naturel sensible tel que Larrun (dit “La Rhune”).
Tout cela, ce n’est pas partager son pays avec ses visiteurs, c’est bel et bien le vendre ; non pas à ces derniers, d’ailleurs, qui le plus souvent ne cherchent guère à l’acheter, mais à certains opportunistes locaux qui veulent en faire leur beurre.
Ongi etorri deneri
La question qui se cache derrière ces propos teintés d’amertume, c’est celle d’un territoire et de son usage : cet usage appartient-il d’abord à celles et ceux qui y vivent, et qui font justement qu’on peut l’admirer tel qu’il est ? Ou est-il d’abord prisonnier de l’image que l’on veut en vendre ? Cela revient à l’éternelle question de l’usage de la montagne, qui appartient à tous et doit être accessible à tous – bergers comme randonneurs –, mais qui reste un espace de vie et de travail pérenne avant d’être un espace de loisir périodique.
Pour les durs de la feuille, soulignons ici le concept de “priorité” qui n’est pas synonyme d’“exclusivité” et qui induit la notion d’“équilibre”. En matière de tourisme, il en est de même : aucun abertzale n’est contre l’activité touristique, bien au contraire. Nous sommes pour un tourisme actif et de qualité, tenant toute sa place au coeur d’un tissu économique diversifié et équilibré. Mais à l’image de la question foncière, qui ne trouvera de réelle réponse qu’à partir du moment où l’on en aura récupéré la maîtrise publique, une gestion équilibrée du tourisme ne sera possible que lorsque les élus locaux – au premier plan la Communauté Pays Basque – voudront en récupérer les rênes et inverseront les termes de la question globale de l’aménagement du territoire : non plus “comment adapter le pays en fonction de son usage touristique” mais “quel pays veut-on, pour quels usages, et comment y intégrer le tourisme à sa juste place ?”