« Le 25 novembre prochain, ce sera comme chaque année la Journée Internationale contre la Violence faite aux Femmes. Comme chaque année, nous lirons et écouterons des témoignages effrayants de femmes brutalisées. L’erreur sera alors de croire qu’il s’agit de cas particuliers. La violence endurée par les femmes ne pourra pas être endiguée tant qu’une chose fondamentale ne sera pas comprise : cette violence n’est pas un problème de personnes, ce n’est pas juste parce-que « elle n’a pas eu de chance, elle est tombée sur un sale type », mais c’est un problème politique ». Retranscription d’une partie de l’émission Bizirik, l’émission radio du mouvement Bizi! du 13 novembre 2017.
« Intéressons-nous tout d’abord à ce que la société, par son discours ambiant, considère normal ou pas dans une relation de couple. La jalousie, les menaces, les engueulades pour des questions d’argent, tout cela est considéré comme normal. De même qu’il est considéré normal que les relations amoureuses impliquent une forme ou une autre de conflit, auquel on collera l’adjectif « passionnel » pour faire présentable. Combien de fois avons-nous entendu « oui il était violent mais il l’aimait », ou comme l’ont trop souvent titré les journaux, dans le cas d’hommes qui après avoir assassiné leur (ex)femme et enfant(s) se sont donné la mort : « drame familial », causé par un « dépit amoureux ». Drames oui mais dont chacun avait un auteur, et qui a été favorisé par un contexte social et législatif. Et qu’on ne vienne pas parler d’amour concernant ces horreurs.
Selon ce discours ambiant, dans une relation de couple hétérosexuelle un certain niveau de violence de la part de l’homme est considéré comme normal, acceptable. Dans les cas beaucoup moins nombreux de femmes violentes, l’hôpital psychiatrique sera une solution rapidement mise en avant, mais pour ce qui est d’un homme violent, trop souvent sa compagne s’entendra dire de lui pardonner, voire que son « impulsivité » est une preuve d’amour. Pour une femme à qui on ne laisse pas la possibilité de prendre conscience et de s’interroger sur ces déséquilibres, les choses sont mal engagées
Dans de nombreux cas de violence, si ce n’est pas le cas dès le début, la violence commence lorsque la femme est enceinte, car plus vulnérable. Ou, selon les ressources financières et l’entourage de la femme, lorsque vient le deuxième enfant, et qu’elle quitte son travail pour s’en occuper, ce qui réduit ses ressources matérielles et souvent son cercle social.
D’un autre côté, les changements législatifs et la formation des professionnels est extrêmement lente. À titre d’exemple:
• La violence psychologique au début et après de multiples types de violence physique est souvent ignorée dans les services sociaux français.
• Dans la médecine, l’éducation et la police, il y a très peu de formation en matière de violence sexiste.
• Dans la nouvelle législation espagnole, mais toujours pas en France, la violence infligée par l’ex-compagnon est considérée comme une violence de genre et, par conséquent, ces antécédents sont pris en compte pour les mesures de protection.
Rappelons-nous qu’à diplôme et niveau de responsabilité égaux, les femmes gagnent encore aujourd’hui moins que les hommes. En raison des options limitées de garde d’enfants, beaucoup quittent leur travail pour s’occuper de leurs enfants. Le père quant à lui gagne généralement plus, donc n’a pas de raison de quitter son travail. Le congé parental est en outre très mal rémunéré, et dans la plupart des cas seule la mère le prend.
Dans l’état actuel des choses, les relations de couple* et la maternité favorisent la vulnérabilité et la dépendance matérielle des femmes, et dans cette situation la violence a plus de chances d’émerger.
« Pourquoi ne pas le quitter alors? » diront certains. Si c’était si simple. En France, depuis la loi Boutin**, une personne en instance de divorce ne se verra pas attribuer de logement social tant que la séparation n’est pas prononcée, et la garantie «loyers impayés» exclut de fait les plus précaires du marché locatif, les reléguant chez les marchands de sommeil. Par ailleurs, la garde alternée des enfants devenant la norme lors des jugements de divorce, une mère souhaitant se séparer sera contrainte de vivre à proximité de la résidence du père de ses enfants. Dans un contexte de chômage structurel et dans une zone où le logement est aussi peu abordable qu’en Pays Basque Nord, avec moins d’argent, une carrière professionnelle interrompue par la maternité, un cercle social souvent amoindri, et des enfants à charge, trouver un logement et un emploi relève de la mission impossible, encore plus depuis les différents rabotages des APL, débutés avec la loi de finances de 2016. Beaucoup de femmes brutalisées se résignent au silence et à rester avec un conjoint violent. Celles qui franchissent le pas savent que ce faisant elles se jettent dans la précarité.
De nos jours, telles que les normes sociales implicites et les lois sont construites, tout est fait pour maintenir les femmes dans la vulnérabilité et la dépendance économique, et pour dénigrer la violence qu’elles subissent. Gardons cela à l’esprit, et souvenons-nous de trois choses:
– Il n’y a pas de niveau de violence tolérable dans un couple
– La spéculation immobilière tue, alliée aux lois et à la violence contre les femmes
– Plutôt que de réduire encore les minima sociaux (tout en faisant des CICE à 48 milliards et en laissant filer l’évasion fiscale), si nous les augmentions jusqu’à un niveau permettant de vivre sans angoisse, notre société serait plus saine et plus paisible
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* hétérosexuelles
** Loi du 25 mars 2009, de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion (on appréciera l’ironie de l’intitulé)
Pour aller plus loin :
- Françoise Héritier : « Ce rapport entre les sexes est le problème politique majeur »: Première femme anthropologue au Collège de France, Françoise Héritier a souvent évoqué la domination masculine dans ses travaux. « Ce rapport inégalitaire est universel, il a été créé à l’aube des temps », expliquait-elle dans l’émission « Ce soir (ou jamais !) » en 2009. D’où la difficulté aujourd’hui de lutter contre les inégalités sexuelles. Pour Françoise Héritier, les femmes sont depuis toujours considérées comme un réceptacle, réduit à un état de maternité. « Elles deviennent alors quelque chose qu’il faut s’approprier », continuait-elle. « Ce n’est pas la nature qui a dit que les femmes sont inférieures, c’est la culture ! ». Françoise Héritier est morte dans la nuit du 14 au 15 novembre à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Elle avait 84 ans.
- Silvia Federici «Capitalismo y violencia contra las mujeres» :