Pendant des mois, la presse hexagonale a martelé que les séparatistes catalans étaient minoritaires. Jeudi 21 décembre, la victoire incontestable des forces indépendantistes met un terme à un inquiétant épisode de désinformation journalistique.
“On ne douta point, parce que la chose était partout répétée et qu’à l’endroit du public répéter c’est prouver ” mettait en garde en 1908 Anatole France dans L’Île des Pingouins. En 2017, la répétition de faits erronés a pris aussi une ampleur journalistique inédite au sujet de la Catalogne : « Malgré les apparences, l’indépendance de la Catalogne reste une cause minoritaire » affirme par exemple devant les téléspectateurs le 3 octobre, Anne-Charlotte Hinet, envoyée spéciale de France 2. Loin d’être anecdotique, cette certitude illustre un processus de désinformation flagrant auquel s’est plié la quasi-totalité des médias français ces dernières semaines au sujet de l’indépendance de la Catalogne. (A l’exception notable une nouvelle fois de Politis, de Mediapart, Alternatives économiques, BastaMag et du Monde diplomatique pour lesquels le traitement était plutôt équilibré). Partout, on a expliqué que « le projet indépendantiste n’avait pas l’adhésion de la population », que « Puigdemont avait échoué dans sa stratégie« », et bien sûr « que les catalanistes étaient minoritaires ». Et ce, grâce au renfort de « spécialistes » omniprésents comme Barbara Loyer et Benoît Pelistrandi ou d’écrivains bien douteux politiquement comme Mario Vargas Llosa. De fait, les élections régionales anticipées du 21 décembre constituent un brutal retour au réel pour les médias français. Que l’on soit à titre personnel pour ou contre l’indépendance, il est inquiétant de réaliser comment des analyses, se réclamant des valeurs de l’universel, se sont transformées en matraquage médiatique en faveur d’un camp, celui du roi et du pourvoir central conservateur. En effet, dans un scrutin aux allures de référendum “pour ou contre l’indépendance”, les partis catalanistes ont à nouveau obtenu la majorité absolue des sièges au parlement, c’est à dire la liste Ensemble pour la Catalogne, du président séparatiste Carles Puigdemont, la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) et la gauche révolutionnaire de la Candidature d’unité Populaire (CUP). Et ce, alors que la campagne électorale était très entravée (pour ne pas dire non conforme à un État de droit) en raison de la mise sous tutelle de la région par le pouvoir central, du fait que les deux principaux leaders, Carles Puigdemont et Oriol Junqueras, sont respectivement en exil et en prison, que 700 maires sont toujours poursuivis par la justice espagnole, que 5000 “renforts” policiers venus de toutes l’Espagne avaient été déployés, que les tenues vestimentaires de couleur jaune (signe de soutien aux détenus du gouvernement catalan et de l’ANC) ont pu même être interdites et que 400 sites web en faveur de l’indépendance restent fermés.
La disparition soudaine de la « majorité silencieuse »
Bien sûr, les médias détracteurs de l’indépendance se sont empressés de nuancer que comme en 2015, les indépendantistes avaient certes la majorité des sièges (68 sur 135), mais pas la majorité des voix, à savoir seulement 47.49%. Pour autant, le camp unioniste avec un score de 43.49% des voix réalise un score plus faible (le parti libéral Ciudadanos, le parti socialiste de Catalogne et le Parti populaire (PP) du premier ministre Mariano Rajoy). Explications : Comu-Podem, la branche catalane de Podemos recueille 7.45% des voix sachant que ses leaders ne se sont pas positionnés, ni pour, ni contre l’indépendance, restant favorable à la tenue d’un référendum officiel et légal.
Chercheur en sciences politiques, François-Bertrand Huyghe a redéfini en 2016 le concept de désinformation comme « la propagation délibérée d’informations fausses, prétendues de source neutres pour influencer une opinion ». En Catalogne, cette désinformation a consisté à affirmer d’abord qu’une « majorité silencieuse était opposée à l’indépendance » à l’instar BFM-TV, Europe 1, le Monde, l’Express,etc. Il a s’agit aussi de tenir loin des feux médiatiques la manifestation exceptionnelle de 45 000 personnes à Bruxelles soutenant le président Carles Puigdemont ; de nier que les manifestations unionistes se sont déroulées à grand renfort de militants nostalgiques du franquisme venus de toute l’Espagne ; de ne jamais aborder l’importance de l’opposition symbolique entre un projet de république catalane et les limites de la monarchie parlementaire espagnole ; de ne pas dénoncer et de ne pas considérer comme politique l’arrestation de Jordi Sànchez et Jordi Cuixart, les leaders de l’ ANC, association citoyenne à l’origine des immenses manifestations depuis 2010 (Dans le cas des membres du gouvernement catalans, ceci est plus sujet à débat) ; Le 28 septembre, Agnès Rotivel, grand reporter à la Croix titrait même « Le débat sur l’indépendance de la Catalogne n’est pas démocratique » en relayant le discours de la mal nommée « Societat civil Catalana ». A l’époque, il était vraisemblablement trop de demander à La Croix d’enquêter, comme l’ont fait avant elle le quotidien de gauche Publico et le journaliste Jordi Borràs, sur les liens évidents de cette association avec les réseaux de l’extrême-droite franquiste, notamment la Fundación Nacional Francisco Franco et le Movimiento Social Republicano. Désormais, après une nouvelle victoire des forces indépendantistes, il sera quand même difficile d’affirmer que le processus indépendantiste n’est pas démocratique en Catalogne.
Il faut comprendre que beaucoup d’éditorialistes se sont montrés quotidiennement incapables de concevoir d’autres modèles de référence et d’autres points de vue géopolitiques, culturels, voir même de classe au sujet de la Catalogne. Trop peu de médias mentionne que l’indépendantisme catalan bénéficie d’une hostilité à l’égard des vestiges de l’absolutisme monarchique, encore nombreux en Espagne, où le roi, l’Église et les « grands » demeurent les principaux propriétaires terriens du pays. Enfin et surtout, une poignée de journalistes a perçu la dimension démocratique dans les immenses mobilisations populaires, l’auto-organisation horizontale de l’ANC, l’héritage notable de l’anarchisme catalan et les processus de résistance comme les Comitès de Defensa de la República. Aujourd’hui, avec une participation de 84%, très haute pour un scrutin régional, les médias français considèrent enfin la légitimité du processus d’indépendance, mais ce, uniquement au regard du principe « démocratique » du système électif parlementaire.
Incapacité à penser la Catalogne
« Chercher, non pas la conquête du monde, mais à l’emporter dans une bataille dont l’enjeu est l’esprit des gens » s’indignait déjà Hannah Arendt (Du mensonge à la violence. 1969). Bien sûr, la désinformation reflète toujours un système de valeurs et nul n’échappe à l’idéologie, surtout celui qui s’en croit indemne. Dans le cas du traitement de la Catalogne, beaucoup de journalistes et de « spécialistes » entretiennent inconsciemment l’héritage jacobin français, à savoir un modèle de pouvoir très centralisé, mono-linguistique et égalitariste. Pierre Bourdieu expliquait d’ailleurs peu avant sa mort qu’ « il est vrai qu’un certain universalisme n’est qu’un nationalisme qui invoque l’universel » Contre-feux – Ed Raison d’agir. Or difficile d’interpréter le réel en Catalogne avec ces éléments de lecture. Alors maintenant que la force du mouvement catalaniste est indéniable, il s’agit pour la médias au nord des Pyrénées d’écrire qu’une minorité d’hispanique et unioniste serait victime d’une politique de discrimination linguistique d’une majorité malveillante, comme l’a déjà fait et de manière bien douteuse Le Monde fin octobre en affirmant qu’ « en Catalogne, les écoles négligent l’enseignement du castillan ». Dans les faits, les résultats scolaires en espagnol sont meilleurs en Catalogne comparativement à la plupart des autres autonomies ibériques (lire ici), et ce pour deux raisons principales : Premièrement, sans être obligé de se référer au linguiste Noam Chomsky, on comprend aisément qu’un enfant qui maîtrise quotidiennement deux langues accroît ses compétences langagières. Deuxièmement, et on peut le regretter, en Catalogne le niveau socio-économique est tout simplement supérieur au reste de l’Espagne (A l’exception du Pays basque et de la communauté autonome de Madrid).
L’inquiétude économique des dominants
Pour la première fois depuis la transition de 1975, la lutte pour la souveraineté est pensée comme une lutte civique articulée depuis la base. “C’est la pression de la rue qui a contraint Puigdemont à déclarer l’indépendance. La droite catalaniste n’avait pas imaginé un scénario comprenant une résistance massive de la population lors du référendum. Elle pensait jusqu’au bout que la solution viendrait d’une négociation avec Madrid” raconte le leader de la CUP David Fernandez. Les juristes sérieux (notamment le doctorant Anthony Sfez) s’accordent également à considérer qu’il se déroule actuellement en Catalogne une révolution, à savoir la substitution d’un ordre constitutionnel par un autre. Ainsi dans le traitement médiatique français, on devine un puissant sentiment « antidémocratique » de la part d’une élite qui refuse de reconnaître que la population a la capacité de décider pour son avenir, de prendre collectivement des décisions respectueuses de l’égalité, de la justice et de la dignité de chacun (Lire Antidémocratie de Sandra Laugier et Albert Ogien. 2017 et la Démocratie aux marges de David Graeber. 2016).
Il ne faut jamais oublier que l’objectif des grands propriétaires de médias (Bolloré, Bouygues et Dassault comme figures de proues) consiste à maintenir des rapports de pouvoir économiques via ses représentations. Or le processus d’indépendance en Catalogne « dérange » d’emblée, avec son hymne Els Segadors qui commémore de manière très explicite la première révolution ouvrière que l’histoire ait connue : le révolte des Faucheurs (1640 – 1649). Et contrairement aux idées reçues encore, l’indépendantisme catalan a connu, lors des dernières élections, une évolution de son électorat dans le sens d’un ancrage populaire, voire ouvrier, très marqué. Alors maintenant que la force du mouvement indépendantiste est indéniable, il s’agit désormais pour les médias français de créer le soupçon en brandissant le risque de chaos, de contagion et de récession économique dans le reste de l’Europe. “Catalogne : menace sur l’économie” titrait par exemple le Point. Et pendant ce temps, “pour la première fois depuis l’Ancien Régime, on décide ainsi d’instituer aux Etats-Unis et en France un système fiscal explicitement dérogatoire pour les catégories de revenus et de patrimoines détenues par les groupes sociaux les plus favorisés » analyse sur son blog Thomas Piketty “Trump, Macron: même combat”. Le fait que dans un même temps certains considèrent comme une “menace économique” l’indépendance de la Catalogne, mais pas la suppression de l’impôt sur la fortune pour les plus hauts patrimoines financiers et professionnels, dit beaucoup sur l’idéologie et l’intention des médias dominants.
Un peu en colère à la lecture de cet article dans un journal qui en compte par ailleurs de remarquables sur le sujet de la Catalogne. C’est vraiment du propos de comptoir, du « tous pourris », du « journalope » et de la « désinformation des médias dominants ». Le problème n’est pas votre opinion mais le fait de l’enrober d’analyse forcée, exactement ce que vous prétendez dénoncer. Car il n’y a pas un seul argument qui montre la « désinformation » dans votre article lorsque l’on s’attarde sur vos exemples :
– La phrase de la journaliste de France 2, Anne-Charlotte Hinet, qui était en direct de Barcelone, est tronquée. Elle n’a pas simplement dit « Malgré les apparences, l’indépendance de la Catalogne reste une cause minoritaire », elle a ajouté : »mais la brutalité policière, elle, rassemble bien au delà des indépendantistes ». Ce qui devient une analyse vraisemblable. La réponse policière et la politique du PP ont largement alimenté le camp indépendantiste qui est passé de 13% à 47% en 10 ans.
– BFM TV titre « une majorité silencieuse reste opposée à l’indépendance » mais s’en explique fort bien en citant d’ailleurs des sondages proches des résultats obtenus et Christian Hoarau, auteur de « La Catalogne dans tous ses états ». Le papier de BFM s’appuie sur le propos de cet économiste : « Dans le catalanisme politique, l’indépendantiste a toujours été minoritaire », rappelle Christian Hoarau, économiste et professeur titulaire de chaire du Conservatoire national des Arts et Métiers, qui livre des chiffres provenant de sondages commandés par le gouvernement catalan. » OK c’est pas cool et peut être de mauvaise foi mais je ne vois pas où est la désinformation dans cet article.
http://www.bfmtv.com/international/les-independantistes-sont-ils-majoritaires-en-catalogne-1271330.html
– enfin vous dites que « Le 28 septembre, Agnès Rotivel, grand reporter à la Croix titrait même « Le débat sur l’indépendance de la Catalogne n’est pas démocratique » en relayant le discours de la mal nommée « Societat civil Catalana ». Là c’est vous qui êtes de mauvaise foi, il s’agit d’une interview et Alex Rotivel, qui était à Barcelone et à donc pris cette peine, titre entre guillemets avec les paroles d’Alex Ramos, notoire espagnoliste. C’est donc pour rendre compte de son opinion à lui.
https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Le-debat-lindependance-Catalogne-nest-pas-democratique-2017-09-28-1200880505
Je ne vois pas pourquoi donner la parole à ceux qui sont contre l’indépendance est un gage de « désinformation », sauf si vous considérez que la seule information véritable est la votre. Il vous faudrait pour cela un peu plus de rigueur. Les choses ne sont pas blanches ou noires et il ne suffit pas de dénoncer la concentration des grands médias pour avoir raison. Parlons de parti pris, de méconnaissances, observons les causes structurelles et les mécaniques éditoriales mais s’il vous plaît, évitez de hurler « désinformation » avec les loups, surtout si vous en donnez par deux fois la définition. Du moins sans aucun argument. Merci.
J’ajoute que je ne vois pas en quoi les médias « vont revenir au réel » et ce n’est pas votre papier qui va m’éclairer. Qui vivra verra…
Cher Axel Villard,
merci pour vos commentaires.
Si vous avez eu un peu de colère à la lecture de cet article, sachez que des milliers de personnes ont à l’inverse beaucoup de ressentiment, et ce quotidiennement, à l’égard de la manière dont est traitée l’actualité en Catalogne, notamment le parti-pris en faveur du roi et du pouvoir central, la négation du caractère démocratique des mobilisations, le fait de ramener systématiquement l’enjeu à la question économique, la non dénonciation du caractère politique des arrestations dans le camp des indépendantistes, et plus généralement la négation de l’histoire et de la nation catalane elle-même.
Je ne sais pas si vous êtes l’Axel Villard de France Inter, mais si vous évaluez comme neutre le fait de titrer, certes en italique, « le débat en Catalogne n’est pas démocratique », forcément nous n’avons pas le même regard. D’autant que la « societat civil catalana », avec des liens évidents avec l’extrême-droite, est une pâle tentative de contrer l’« assemblea nacional catalana », association de 30 000 membres à l’origine notamment de la grande chaîne humaine. Et La Croix n’a jamais titré (en italique) avec les propos de l’ « assemblea nacional catalana », de surcroît alors que deux de ses leaders Jordi Sànchez et Jordi Cuixart sont incarcérés, ou quand Carme Forcadell présidente de l’ANC de 2012 à 2015, est incarcérée puis libérée contre une caution de 150 000 euros. (Je n’ai rien contre La Croix, c’est un exemple)
D’ailleurs, concernant la question répressive, si vous considérez qu’Enbata a des articles remarquables, lisez attentivement ceci http://www.enbata.info/articles/majorite-independantiste-reconduite/ tout particulièrement la partie intitulée « La répression judiciaire ne désarme pas » et dites moi ou l’on peut retrouver par exemple ces informations dans la presse généralistes française, à savoir que l’on condamne à 7200 euros, Santiago Espot, un catalan a l’origine des sifflets contre le roi…
Oui, il y a un décalage entre la situation sur le terrain en Catalogne et la manière dont l’info est relayé. D’ailleurs, cet article survient après un premier sur l’enjeu du traitement médiatique http://www.enbata.info/articles/independance-ou-pas-la-catalogne-a-mauvaise-presse/
Là aussi, j’ai pris le soin de relever les médias qui ont un traitement équilibré sur la Catalogne, pour ne pas verser dans le traitement « tous pourris ».
Je m’arrête là, pas envie de tomber de tomber dans une joute ridicule sur Internet.
Merci quand même pour vos commentaires. Ecrivez-moi si vous voulez en parler davantage [email protected]
Cher Axel Villard,
à la relecture de votre commentaire je rajoute ceci :
– Les indépendantistes se sont clairement présentés avec le projet d’un référendum en 2015 et ont obtenu la majorité des sièges (bien avant la répression du PP). Rien que cet élément interdisait d’affirmer que « les indépendantistes sont minoritaires » en Catalogne.
– C’est tout simplement le concept de « majorité silencieuse » qui dérange dans le papier de BFM. Attribué à Richard Nixon, le concept « majorité silencieuse » est un classique du répertoire autoritaire. Nicolas Sarkozy s’est d’ailleurs souvent placé en porte-parole de la « majorité silencieuse », tout comme le clan Ben Ali à son époque. Il repose sur le postulat que celui qui ne prends pas position est d’accord avec l’ordre en place et avec les aspirations du pouvoir. Or un bon nombres de personnes n’ont pas d’avis ou sont rapidement prêts à accepter une nouvelle normalité politique : lisez par exemple « Anatomie politique de la domination » de Béatrice Hibou.
De surcroit, quand par exemple des iraniens manifestent contre le pouvoir, des militants écologistes luttent contre l’enfouissement des déchets radioactifs à Bûre, ils sont clairement minoritaires numériquement. Or vous serez d’accord pour dire qu’il serait ici indécent de brandir le concept de « majorité silencieuse ». Donc ce terme n’a aucune valeur journalistique !
Merci