Personne n’attend d’un président de la République française un soutien à la cause indépendantiste corse. Non pas que cela soit inconcevable, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le droit à la séparation étant reconnus internationalement, parfois défendus par les grandes puissances et ces droits s’étant exercés à de nombreuses reprises y compris en Europe ces vingt dernières années. Le formatage des “élites” françaises ne prédispose pas à la compréhension de certaines problématiques.
La visite en Corse de Macron aura déçu jusqu’aux moins optimistes. “Consternés”, “humiliés” ont été la qualificatifs employés par les élu-e-s de la Collectivité. Les formules “en deçà des attentes et des enjeux” et “occasion manquée” ont résumé le bilan du côté de la majorité abertzale corse.
La posture, le ton, le contenu du discours présidentiel, rien ou presque n’a permis une lecture positive de la séquence.
La première intervention lors de l’hommage au préfet Erignac a été utilisée pour surjouer l’autorité de l’Etat. Macron n’a pas encore eu son heure de gloire martiale comme Hollande avec les interventions militaires à l’étranger ou les attentats jihadistes. D’où un discours anachronique comme si la mort du préfet avait eu lieu la veille, comme si vingt ans ne s’étaient pas écoulés depuis, comme si la page de l’action armée n’avait pas été tournée. Cerise acide sur le gâteau, une formule, “un tel crime ne se plaide pas”, visant directement le président de l’Assemblée de Corse, par ailleurs avocat d’Yvan Colonna.
Ton condescendant
Le point d’orgue de la visite, son discours devant les élu-e-s du territoire, a confirmé que si Macron n’avait pas grand-chose de concret à proposer, il ne souhaitait pas non plus faire preuve de la moindre empathie vis-à-vis de la majorité politique sortie récemment des urnes. Rien n’avait été laissé au hasard. Fouille des élu-e-s à l’entrée, drapeaux français et européen à foison, aucun emblème corse. Sur la posture rien d’inhabituel désormais : Jupiter s’adresse au terriens.
Le ton est condescendant, donneur de leçons comme sur les effets limités des subventions en faveur de la langue corse ou les insulaires qui vendent leur terre. Le mot “ouverture” est répété comme un mantra tout au long d’un discours dont le fil conducteur peut se résumer à : la France est grande, universelle et bienveillante et c’est une chance pour la Corse d’en faire partie. Une chance que le monde entier vous envie. La Corse c’est le particularisme, la fermeture, l’étroitesse d’esprit, le manque d’ambition.
Les revendications portées par la majorité de l’Assemblée territoriale sont au mieux des fausses pistes, au pire des illusions. Macron y oppose quelques formules creuses comme la Corse “un territoire innovant pour un développement durable intégré” ou “la pointe avancée de la politique méditerranéenne de la France”.
Pas de statut de résident, une mauvaise réponse. Pas de co-officialité de la langue ni aucune autre reconnaissance légale envisagée. En filigrane l’imaginaire colonial : l’universel s’énonce forcément en français ; impensable de mettre les deux langues sur un pied d’égalité.
Alors qu’il a face à lui,
non pas une minorité agissante
ou des mouvements clandestins
mais une majorité politique et sociale
Macron n’a rien à lui dire
car la Corse n’est pas un sujet pour lui.
Situation de blocage ?
Aucune référence aux prisonniers, sujet ne méritant pas de figurer dans l’exposé de la vision du président. Seule concession, la promesse d’une inscription de la Corse dans la Constitution, pour laquelle les élu-e-s sont invités à réfléchir mais, au cas où ces derniers se feraient des illusions, mesure aussitôt ramenée à son niveau symbolique par Macron.
Bref, un condensé de ce que peut produire de pire le système politique de la Ve République : un homme élu, certes grâce à son habileté tactique, mais en grande partie par la conjonction d’éléments qui ne lui doivent rien, encensé par des éditorialistes de cour s’imagine plus fort, plus intelligent, plus visionnaire que l’ensemble des personnes impliquées pour l’avenir de leur territoire.
Le dossier Corse agit comme un révélateur. Alors qu’il a face à lui, non pas une minorité agissante ou des mouvements clandestins mais une majorité politique et sociale Macron n’a rien à lui dire car la Corse n’est pas un sujet pour lui. Cela ne rentre pas dans son grand dessein de “réformer” la France suivant les canons de la pseudo-modernité néolibérale.
L’avenir dira si cette occasion manquée sera suivie d’autres plus réussies pour la Corse comme pour la France mais la posture présidentielle fait écho, toutes proportions gardées, à la Catalogne où le refus de toute évolution par le pouvoir central a engendré une situation de blocage ne débouchant que sur la répression et la violence étatique.