Lors des élections à la présidence des États-Unis, nous avons fait la connaissance d’un prétendant qui a cassé tous les codes, mené une campagne déroutante usant de toutes les vilaines ficelles du populisme qui est l’art du politique “discount”.
Dans un monde d’une grande complexité, traversé par de grandes crises : économique, écologique, religieuses, identitaires, la tentation du discours binaire devient le plus souvent la règle. Les antisystèmes prolifèrent sans que l’on comprenne toujours très bien la définition donnée au mot “système” et au vu de l’hétérogénéité de ses tenants, il y a fort à parier que chacun a la sienne.
Le plus fort, c’est Donald un milliardaire par filiation, une sorte d’original à la crinière orange qui a réussi à devenir le héros et le porte-parole de l’Amérique profonde, celle qui est la plus malmenée par la crise économique, la plus victime de la crise écologique.
Ils ont élu Trump, contre toute attente, persuadés qu’il rendrait sa grandeur au pays et que par voie de conséquence cela ne pourrait qu’améliorer leur quotidien. On ne pourra pas reprocher à cet homme le non-respect de son programme.
En un temps éclair, il aura démonté le système de santé, institué des politiques de discrimination évidente envers tout ce qui n’est pas WASP (blanc, anglo-saxon et protestant), remis les mines de charbon en exploitation et pour finir (enfin pour le moment) acté la sortie des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat.
Cette figure particulière a été moquée, vilipendée par nombre de pays au monde, notamment lors d’un de ses derniers coups d’éclat, le déménagement de l’ambassade des EU à Jérusalem. Le bougre n’en a cure et loin de s’amender, force toujours plus le trait. On s’interroge doctement sur sa santé mentale, lui fait fuiter quelques examens médicaux mais poursuit sa chevauchée. Dernière sortie en date : alors qu’une nouvelle fusillade fait morts et blessés dans un lycée du Kentucky, que la mobilisation s’intensifie pour que la loi encadre enfin la vente des armes à feu, le même propose d’armer les enseignants pour un nouveau genre de règlements de compte à OK Corral. Même la très puissante NRA (National Rifle Association) qui défend avec vigueur le port des armes n’aurait pas osé. Dans la vieille Europe, on est un peu ahuris, éberlués par ce cow-boy mal dégrossi et une nouvelle forme d’antiaméricanisme est de bon ton, après une adhésion presque unanime à la présidence Obama.
Dans cette volonté de
“décomplexer” le discours politique,
le cynisme émerge lentement mais sûrement,
il bouscule les représentations,
et rend possible ce qui, il y a quelque temps,
était juste inimaginable.
Faut-il en rire ou s’en méfier ? Se méfier du modèle que commence à constituer l’agité de la Maison Blanche quand en France, par exemple, on conceptualise de plus en plus la “politique décomplexée”, le glissement s’opère peu à peu, et certains ne cherchent même plus à donner le change. On commence par expliquer qu’on pratique un langage de vérité et on finit par se “wautrer” dans des soi-disant cours d’école de commerce. Pris au piège ou instigateur cynique de cette piètre pièce ? Dans cette volonté de “décomplexer” le discours politique, le cynisme émerge lentement mais sûrement, il bouscule les représentations, et rend possible ce qui, il y a quelque temps, était juste inimaginable. Plus grave, il provoque une déconstruction de la philosophie des Lumières dont le socle a guidé les décennies précédentes érigeant en principe le progrès de l’Humanité, en combattant oppressions, arbitraire, obscurantisme…
Le contre-pied est visible et assumé, le venin est instillé, il glorifie l’insoutenable, il promeut un monde où il y aura peu de gagnants et beaucoup de perdants. La bête immonde prend le visage de la respectabilité mais les ressorts sont identiques, il faut écarter sans vergogne tout ce qui paraît modéré, attirer les votes les plus suspects, la fin justifiant tous les moyens. De crinière orange à parka rouge, il n’y qu’un pas et il conduit au bord d’un précipice que nous aurions tort d’ignorer, car le discours peut devenir dominant. Le langage dit de vérité est la face cachée du mépris du contrat social, de l’éthique, il est le fer de lance d’une façon “décomplexée” de professer des horreurs. “Le marquis m’a fait grand étalage de cynisme allant jusqu’à dire que la misère était un des piments de sa vie”… Bonjour tristesse ! (Ça tombe bien !) Françoise Sagan.