Les défis de la gauche au Pays Basque (1/2)

Unai OÑEDERRA,directeur de la Fondation Manu Robles-Arangiz du syndicat ELA
Unai OÑEDERRA,directeur de la Fondation Manu Robles-Arangiz du syndicat ELA

L’analyse d’Unai Oñederra, directeur de la Fondation Manu Robles-Arangiz du syndicat ELA montre comment tout projet de société de gauche visant à être mis en pratique doit compter sur un rapport de forces favorable et disposer de compétences et de moyens. Voici la première partie de la version française de la transcription de l’intervention d’Unai Oñederra du  mardi 6 février à Bergara lors de l’école citoyenne organisée par Sortu Bergara.  

INTRODUCTION

Bonne après-midi à vous et merci de m’offrir l’opportunité de m’exprimer ici. Ça m’a fait énormément plaisir qu’Ibai m’appelle et me demande si je pouvais participer à une Table Ronde au sujet des défis de la gauche. Je me suis dit « punaise, il y a encore du monde qui veut aborder le sujet de la gauche !». En effet, il est plus courant d’entendre que la gauche  est quelque chose du passé, et, c’est plus moderne de dire « je suis ni de gauche, ni de droite ». C’est la raison pour laquelle j’étais très content de savoir qu’il y a du monde qui reste sourd à ce genre de chants des sirènes. Il est vrai que la gauche a été très liée aux divisions internes, aux discussions sans fin, aux scissions et hostilités. “ Toi tu n’es pas de gauche, moi je suis plus de gauche que toi… ” tant de dogmes à respecter, que de difficultés pour atteindre la pureté la plus pure. Le film « La vie de Brian » présente de façon extrêmement juste et comique cette réalité.  Moi, ici, je vais laisser de côté ce débat, et me concentrer sur ce que nous faisons avec ELA en lien avec les défis de la gauche.

  1. Je commencerai par une analyse de la situation actuelle, en utilisant une formule choc : il y a 60 ans, la droite faisait des politiques de gauche. Actuellement, la gauche fait des politiques de droite.
  2. Ayant pris conscience de cette situation, je vous présenterai ce que sont selon nous les défis de la gauche, et j’essaierai de vous raconter ce que nous faisons par rapport à ces défis.
  3. A la fin, j’essaierai de résumer le tout, pour qu’en sortant d’ici vous puissiez vous rappeler de l’essentiel.

La synthèse que vous devrez garder en mémoire ressemblera à ceci : pour nous, le défi qu’a la gauche au Pays Basque, c’est de présenter ce qui se passe en toute transparence et avec beaucoup de pédagogie : nous sommes en train de perdre la bataille, nous sommes peu nombreux, mais nous devons construire le modèle de société que nous voulons ; avec une stratégie à long terme, de la base, vers le sommet, en émancipant les travailleur·euse·s, les femmes, les citoyen·ne·s ; le changement ne pouvant s’obtenir dans je ne sais quelle table, avec je ne sais quel gouvernement après avoir signé je ne sais quel accord ; le changement s’obtiendra si nous avons auparavant construit  les forces et acquis les compétences et moyens de mettre en pratique l’accord signé.    

1. ANALYSE DE LA SITUATION ACTUELLE : UNE FORMULE CHOC

Pour débuter, j’utiliserai une formule choc, en guise de provocation.

  • Dans les années 50, aux États-Unis,  ceux·elles qui avaient les revenus les plus élevés payaient 91% de leur revenu en impôt.
  • Dans les années 50, aux États-Unis, l’impôt sur le revenu des grandes entreprises  représentait 30% des revenus fiscaux fédéraux.
  • Dans les années 50, aux États-Unis, c’est Eisenhower, homme de droite, qui était au gouvernement.

En Europe aussi, à cette époque, et à titre d’exemple, dans la plupart des pays 70 à 75% de la richesse allait aux salaires. Et que se passe-t-il maintenant ?

Entre 1969 et 2009, les salaires aux États-Unis ont connu une baisse de 28%.

Les revenus les plus élevés, payant 91% de leur revenu en impôt, n’en paient plus que 35%. Obama proposa de passer à 39%,  mais vous imaginez comme on est loin des 91% d’époque !

L’impôt payé par les entreprises les plus grandes ne représente plus que 6,6% des recettes fiscales fédérales.

Et le même phénomène se retrouve en Europe. De 1996 à 2006, dans la zone euro, les bénéfices ont augmenté de 36%, alors que les salaires de 18,2%.

En 1992, le poids des salaires dans la richesse produite de la zone euro représentait 70%. En 2005, il était de 62%. En Allemagne, de 1995 à 2009, l’impôt sur les sociétés a connu une baisse de 26 points, et l’impôt sur les plus hauts revenus, une baisse de 9,5 points. C’est Schroeder, la gauche, qui était au pouvoir.

Que nous montrent ces données ? En schématisant beaucoup (et sans oublier que l’État providence était fondée sur l’exploitation de la femme, des colonies et de la planète) : dans la période 1950-1980, de façon globale, des politiques de gauches étaient menées, même si des partis de droite étaient au pouvoir. A partir des années 80, par contre, la tendance est opposée : ce sont des politiques de droites qui sont généralement menées, même quand la gauche est au pouvoir.

Comment expliquer cela ?  Pourquoi à partir des années 50 la droite mettait en place une politique de gauche ? Ici, en schématisant, ce sont la force du mouvement ouvrier et le communisme réel qui ont amené le capital à pactiser. Pour sauver le système, le capital était prêt à mieux répartir le gâteau. Mais, le capital a respecté ce pacte jusqu’à ce qu’il voit une opportunité de le rompre. Ainsi, en profitant de la crise de 1973, et en usant La Stratégie du Choc, le capital est passé à l’attaque, et débute le cycle néolibéral, qui sera marqué par l’arrivée au pouvoir de Thatcher et de Reagan.

Et qu’arrive-t-il au Pays Basque ? Il faut souligner que dans la Communauté Autonome Basque et en Navarre, à cause de la dictature, l’État Providence s’est mis en place, dans les années 80,  de façon tardive et très limitée, quand en Europe et aux États-Unis le changement de cycle était déjà en marche. Durant la décennie 90, ici aussi, le néolibéralisme a pris le dessus.

Quelques exemples pour illustrer : en 1993, dans la Communauté Autonome Basque, 54,7% de la richesse était destinée aux salaires. En 2006, 48,3%. Le Capital contribue beaucoup moins que le revenu du travail. 80% des impôts directs provient des salarié·e·s, 11% du capital. Comme le dit le professeur d’économie à l’université Ignacio Zubiri, ici les entreprises paient très peu d’impôt, ou presque rien (80% des entreprises déclarent avoir des pertes ou moins de 6 000 euros de revenus annuels).

Ainsi, pour résumer, à partir des années 50 on arrive à faire accepter des politiques de gauche au capital, parce que le mouvement des travailleur·euse·s est fort, et l’alternative réelle du bloc communiste (avec ses bons et mauvais côtés) est présent en tant que menace. C’est pourquoi, aujourd’hui, la clé permettant d’obtenir un changement, pourrait peut-être consister dans l’obtention une nouvelle fois d’une force et une alternative réelle capable de contraindre le capital.

Je ne veux pas clore cette partie sans évoquer deux cas qui ont fait naître l’espoir d’obtenir ce changement, et parce qu’ils me paraissent très utiles pour définir le défi auquel nous devons faire face :

  1. Le premier cas, c’est celui de la Grèce. Nous avons l’arrivée au pouvoir de Syriza avec beaucoup d’espoir. Regardez jusqu’où ils étaient arrivé : après avoir fait un référendum, ils avaient dit non au mémorandum européen. Mais ils n’avaient pas de plan B. Ils n’étaient pas prêts, face aux attaques de l’Union Européenne, à aller de l’avant par eux-mêmes
  2. Le deuxième cas, est celui de la Catalogne. Regardez jusqu’où ils sont arrivés. Les images du référendum du Premier Octobre sont gravées dans nos mémoires. Le Parlament a réussi à revendiquer l’Indépendance. Mais la situation est bloquée. Ils n’avaient pas mis en place par leur propres moyens tout ce qui leur fallait pour vivre en tant que République Indépendante.

Suite et fin disponible bientôt en cliquant ici.

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