Dans le nécessaire travail mémoriel qui s’amorce au lendemain de la dissolution d’ETA, il ne faudrait pas occulter l’apport de l’organisation indépendantiste à l’histoire du Pays Basque. Car celle-ci n’aurait pas été la même sans ETA. En conséquence, la reconnaissance de la souffrance des victimes des deux camps du conflit est indispensable à la réconciliation.
L’organisation armée ETA a annoncé sa dissolution définitive le 3 mai dernier. Il s’agit d’une étape historique pour le Pays Basque qui n’a pas fini de faire couler beaucoup d’encre. Je me contenterai d’en commenter ici cinq aspects.
Premièrement, le point de vue unanime des différents acteurs et experts internationaux mobilisés en faveur de la paix en Pays Basque, est qu’ils ne connaissent pas à travers le monde d’autre exemple d’une organisation militaire ayant été aussi loin dans la formalisation de pas unilatéraux en faveur de la paix. ETA a été jusqu’au bout des engagements pris publiquement au lendemain d’Aiete. Et cet engagement d’ETA en faveur de la paix a été d’autant plus remarquable qu’il n’y pas eu en Pays Basque de dissidence ayant entraîné des dérapages violents. Cela n’a pas été le cas par exemple en Irlande du Nord, où, malgré des accords de paix à caractère bilatéral, les actions de l’IRA véritable – une scission de l’IRA – ont causé la mort de dizaines de personnes.
Discours amnésique
Deuxième réflexion : l’histoire du Pays Basque n’aurait pas été la même sans ETA. En particulier, le PNV ferait bien de se rappeler que les institutions autonomes du Pays Basque Sud qu’il gère ont été créées en bonne partie du fait de la lutte menée par ETA fin des années 60, début des années 70. Ces institutions n’auraient sûrement jamais vu le jour sans le combat de militants d’ETA qui ont payé le prix fort pour leur engagement en faveur de la liberté du Pays Basque, pendant qu’une bonne partie des cadres du PNV préférait esquiver une confrontation directe avec le pouvoir franquiste. Remémorons-nous à cet égard la réflexion de J. M. Leizaola – Lehendakari en exil après la mort de J. A. Aguirre – qui avait affirmé au lendemain de l’attentat contre Carrero Blanco qu’il était impossible que des basques aient pu commettre une telle action.
Troisième réflexion relative au discours dominant qui a marqué la fin d’ETA. Ce discours selon lequel rien ne justifie la violence est souvent simpliste et/ou amnésique. Pour s’en rendre compte, je crois qu’il vaut la peine de relire un article du quotidien El Pais datant de 2001 (édition du 28.01.2001) qui commente la remise pour la première fois par le gouvernement espagnol de la médaille du mérite civique à une victime d’ETA. Cette première médaille a été octroyée à titre posthume au policier Melitón Manzanas, tortionnaire notoire formé par la Gestapo.
Quatrième réflexion : la question des victimes. On peut comprendre la frustration avec laquelle les familles des victimes ont vécu la fin d’ETA. J’espère sincèrement que dans l’avenir de nouveaux pas pourront être formalisés dans le sens de la reconnaissance de la souffrance des victimes des deux camps du conflit. Ils sont indispensables à la réconciliation. Sur ce registre il faut cependant souligner un paradoxe : en récusant l’existence d’un conflit, certaines associations de victimes ont empêché que, avec l’aide d’experts internationaux reconnus en la matière, se mettent en œuvre en Pays Basque des protocoles qui permettraient justement d’appréhender cette souffrance à sa juste mesure.
Un combat à gagner
Quatrième réflexion concernant les prisonniers. Le Collectif des prisonniers politiques basques (EPPK) a soutenu le processus de résolution étapes après étapes, et ce, sans qu’aucun accord sur la libération des prisonniers n’ait pu être scellé avec les Etats espagnols et français. Cette attitude incroyable doit être soulignée, elle mérite le respect de tous. Pour en saisir la portée, il faut se rappeler que depuis Aiete, cinq prisonniers sont décédés des suites de leurs conditions de détention : Xabier López Peña, Arkaitz Bellon, Josu Uribetxeberria Bolinaga, Kepa del Hoyo, Xabier Rey Urmeneta. Au sens littéral du terme, les prisonniers incarnent la persistance du conflit. Même si des pas considérables dans la résolution du conflit ont été formalisés ces dernières années, nous ne pourrons pas parler de paix définitive tant qu’il restera un seul militant emprisonné. Ainsi, la libération de l’ensemble des prisonniers basques constitue un défi pour tous les défenseurs de la paix en Pays Basque.
Même si des pas considérables
dans la résolution du conflit
ont été formalisés ces dernières années,
nous ne pourrons pas parler de paix définitive
tant qu’il restera un seul militant emprisonné.
Cinquième réflexion : n’oublions jamais que les nouvelles générations sont les légataires du mot de la fin et donc, du fin mot de l’histoire. L’ETA déclare dans son ultime communiqué ne pas craindre la confrontation démocratique. A l’heure où l’Etat espagnol incarcère des dirigeants politiques pour le seul motif d’avoir organisé un référendum invitant la population à exprimer par les urnes son opinion sur l’indépendance, on ne peut que constater qu’il s’agit d’un pari sur l’avenir. En effet, une situation démocratique dans laquelle tous les projets politiques pourraient être défendus sur le même pied d’égalité, permettant aux citoyen-ne-s du Pays Basque de se déterminer librement sur le(s) statut(s) politique(s) dont ils entendent se doter est loin d’être acquise… Elle relève plutôt d’un combat qui nous appartient pourtant de gagner, si nous ne voulons pas qu’une partie de la jeunesse basque considère demain que le fin mot de l’Histoire aura été celui du pari perdu d’une confrontation démocratique ayant justifié en son temps la fin de la lutte armée.