Bilbao a vécu durant 9 jours une nouvelle «grande semaine». Autour des Txosn, ces immenses installations peintes et montées par des collectifs, depuis 1978 et de manière exceptionnelle, le mouvement social est parvenu à pérenniser sur la place de l’Arenal des fêtes gratuites, participatives, politiques et féministes. Un contre-modèle flagrant pour Bayonne à l’heure où l’entrée payante des fêtes est présentée comme inévitable.
« Les rues, les fêtes et la nuit sont à nous ! » : c’est sous ce slogan que, vendredi 24 août, des centaines de militantes féministes, cagoulés et vêtus de noirs ont défilé pour revendiquer à Bilbao des fêtes exemptes d’agression masculine ! Impressionnante, cette manifestation se voulait aussi la promotion des groupes d’autodéfense féministe1, ces techniques de résistances corporelles pour faire face aux violences sexistes auxquelles les femmes peuvent être confrontées. Bien entendu, l’action était relayée les Bilboko Konpartsak – terme qui à l’origine désignait un groupe carnavalesque – qui depuis 40 ans définit l’organisation bénévole et militante des fêtes. En effet, dans la capitale biscaïenne, pas de blanc et rouge ni d’encierro. Ici tout gravite autour des fameuses Txosn, ces immenses installations peintes et montées par des collectifs militants. Depuis 1978 et de manière exceptionnelle, le mouvement social a en effet redessiné profondément le contenu festif, parvenant à pérenniser sur la place de l’Arenal la gratuité, la participation bénévole, mais aussi les revendications sociales, indépendantistes et féministes.
Pour autant, il n’en a pas toujours été ainsi ! Tout changea à la fin de la dictature. Auparavant, durant la nommée « Semana Grande de agosto » les fêtes de Bilbao se déroulaient principalement autour de spectacles payants comme l’Opéra, la Corrida et d’un théâtre pour le moins conservateur. Un programme conforme à l’idéologie des autorités franquistes qui offraient à la populace de maigres défilés comme les Géants, quelques Txistulari, les traditionnels manèges et un concert de l’orchestre municipal. Bien entendu, les habitants étaient exclu-e-s de l’organisation et du déroulé des festivités.
La fin des réjouissances national-socialistes
A la mort du Caudillo, un espace était donc à saisir : dès 1977, Zorion Eguileor, journaliste et animateur radio, lança depuis son programme hertzien l’idée de fêtes participatives, populaires et dans l’espace public. (Dit autrement, des festivités avec un contenu correspondant à son époque, ne se contentant pas d’être la vache à lait des cafetiers et de quelques associations de notables privilégiés). Dans cette ville très ouvrière, où débutait la même année une crise brutale du secteur de la construction navale, le nouveau modèle dépassa rapidement les attentes de Zorion Eguileor. L’immense place de l’Arenal, collée au Casco Viejo, fut envahie par des habitant-e-s de tout âge et toutes origines sociales, des dantzari se confondant déjà aux prémices du punk basque, des Ikurrina et des drapeaux de l’Atletic flottant au dessus d’un bain de messages colorés en faveur de l’égalité des sexes, de revendications syndicales et de l’indépendance : les fêtes de Bilbao modernes naissaient sous le nom d’Aste Nagusia ! (la grande semaine en français). Elles prirent définitivement forme l’année suivante, en 1978, lorsque le maire José Luis Berasategui Goicoechea (1920 – 1990) non candidat à sa réélection, accepta l’idée d’un concours intitulé “Hagamos populares las Fiestas de Bilbao” (rendons populaires les fêtes de Bilbao). Habile, le maire Berasategui tentait de gommer des mémoires sa collaboration avec le régime franquiste, notamment en tant que Conseiller National d’Éducation à partir de 1955. « Durant des années et traditionnellement, on a affirmé que les fêtes prenaient en compte la participation populaire, mais en définitive, elles ne le faisaient pas, déclara alors à la surprise générale Berasategui, et d’ajouter, Les fêtes doivent représenter l’identité et la personnalité d’un peuple […] ».
Victoire de « Txomin Barullo » et du Mouvement Communiste de Euskadi (EMK)
La mairie de Bilbao lança un grand concours (à valeur consultative avec un prix de 100 000 pesetas à la clef) afin de construire le meilleur projet pour les futures fêtes. A l’époque, les critiques venant de la gauche radicale et indépendantiste étaient très vivaces, notamment à cause du fait que la grande chaîne commerciale « El Corte Igles » parrainait l’opération. Pour autant, le concours connut une large participation citoyenne : 37 dossiers furent retenus, et à la surprise générale, le vainqueur fut “Txomin Barullo”, le projet porté par la Commission de la Culture et des Arts du Mouvement Communiste de Euskadi (EMK). A la sortie de la dictature, le mouvement social et la culture ouvrière étaient à leur apogée : l’année 1978 fut alors décisive ! On raconte que les associations et les porteurs du projet “Txomin Barullo” se lancèrent dans un bras de fer virulent avec la mairie, celle-ci à la fois clairement débordée sur sa gauche par le Mouvement Communiste d’Euskadi, et dans le même temps, soucieuse d’atténuer les traces de l’héritage du national-socialisme espagnol des mandats précédents. Totalement inédit, aucun conseiller municipal ne fut finalement admis à la Première Commission des fêtes, constituée de 17 membres issu-e-s du mouvement social. Le maire Berasategi attribua alors un budget de 8.438.000 pesetas à la Commission dite « populaire », lui laissant même jusqu’à toute la responsabilité dans l’organisation et la sécurité des activités sur la zone de l’Arenal et du Casco Viejo. C’est le début des fameux « Konparts », ces groupes de bénévoles avec chacun un style, un déguisement ou un code couleur durant l’Aste Nagusia (Parmi les 27 pionnières, restent encore aujourd’hui les écologistes de Bizizaleak, Txomin Barullo, Pinpilinpauxa et Uribarri…) : « A l’époque il était improbable d’observer la police municipale, les pompiers ou les agents administratifs obéir aux ordres de konpartsak » se rappellent les plus anciens.
Une représentation volontairement féminine
Pour rompre avec l’idéologie patriarcale, militaire et conservatrice promue auparavant par la dictature, il fut décidé que la majorité des activités et des spectacles y seraient également gratuits ; que la Txupinera, chargée du lancer du Txupinaso (la fusée qui signe le début des fêtes) serait systématiquement tirée au sort parmi les femmes du Bilboko konpartsak ; que l’effigie géante des fêtes, Marijaia, serait également une figure féminine et que le « Pregonero » ou la « Pregonera », chargé-e de lire la proclamation des fêtes depuis le balcon de la mairie serait élu-e avec la préoccupation de célébrer une figure de gauche, plurielle ou du mouvement social. (A titre d’exemple en 2013, ce fût Iraia Iturregi, la capitaine de l’équipe féminine de Athletic Club ; en 2014 le club de Basket-Ball en fauteuil-roulant de Bilbao, le BSR ; en 2017, Nati Ovelleiro, pour la structure venant en aide des migrants « Ongi Etorri Errefuxiatuak » ; en 2018 le journaliste Zorion Eguileor…)
Les années punk
Cette même année 1978, dans l’improvisation la plus totale, 1600 bénévoles se mobilisèrent et une trentaine de Txosn furent construites par les « Bilboko konpartsak », c’est à dire ces immenses buvettes colorées et créatives à thème (encore aujourd’hui le cœur des fêtes de Bilbao). « Tout a été organisé depuis la base. Pour nous anarchistes, c’était la démonstration qu’il n’est pas nécessaire d’avoir des chefs, ni dirigeants, et que la population sait s’organiser elle-même » rappelle avec fierté, Fernando Toja, un vétéran des Konparts. Depuis le début, grâce aux recettes, ces collectifs financent au cours de l’année des activités d’intérêt public et à destination de tous (éducation informelle, groupes féministes, projets écologistes, radio libre, gaztexte, soutien à la langue basque, activités de plein air…). Le Bilboko konpartsak organise enfin et surtout pendant la durée des fêtes des animations, des jeux souvent carnavalesques, toutes formes de spectacles de rue, des ateliers à destination des enfants…
Dès le début des années 80, de nombreuses scènes à ciel ouvert se sont ensuite montées pour des live de musiques actuelles (et bien sûr gratuits). En pleine effervescence du punk ibérique, la capitale biscaïenne était devenue celle du « rock radikal vasco » ! En 40 ans, tous ont joué durant dans cet improbable chao sonore que sont les txosn pendant l’Aste Nagusia de Bilbao : Eskorbuto, les Vulpes, Barricada, Kortatu, la polla records…et plus récemment Kuraia, Berri Txarrak, Doctor deseo, Distorsion, Dead Bronco, Lisabo, Gatibu, Willis Drummond…
Un rapport de force perpétuel
L’Aste Nagusia est devenu aujourd’hui un des plus grands rassemblements festif de la péninsule ibérique, désormais supérieur à Bayonne avec 1,5 millions de personnes. Si le budget municipal consacré est de 2 500 000 d’euros, il paraîtrait ici indécent de faire payer une quelconque entrée aux participants. Pour autant, au cours des 40 années passées, à Bilbao, la pérennité de fêtes pleinement populaires n’a jamais été acquise. Les premières menaces sont survenues en 1980, lorsque le maire Jon Castañares (EAJ-PNV) décida d’écarter la Commission « populaire » des fêtes afin de reprendre la main sur une partie de la programmation. Les Konparts, suivies alors par un bon nombre d’habitants, boycottèrent les fêtes réduisant momentanément son affluence. Par conséquence, l’année suivante en 1981, une Commission mixte (et toujours en vigueur) fut créée, avec une représentation paritaire des conseillers de toutes les formations politiques, du conseil municipal, des commerçants de la vieille-ville et des membres du Bilboko konpartsak, mais malheureusement sans porte-parole direct des habitant-e-s.
En août 1983, après d’historique inondations, le gouverneur civil de Biscaye, Julián Sancristóbal – PSOE postérieurement condamné pour ses liens avec le GAL – traitera aussi publiquement de « fils de pute » certains membres Konpartsak.
En 1985, de manière surréaliste le maire José Luis Robles Canibe (EAJ-PNV) tenta de lancer une opération de « propreté corporelle » à destination exclusive des punks qui occupaient massivement les trottoirs de la ville durant les 9 jours de l’Aste Nagusia.
« Le modèle festif participatif, populaire et gratuit que maintiennent les Konparts depuis 1978 va totalement à l’encontre de celui que promeuvent désormais les gouvernants et la ville » affirme Galder Antón, porte-parole actuel des Bilboko Konpartsak. En effet, le modèle dominant défendu par les dirigeants politiques n’est en effet plus un secret pour personne : attraction touristique, marchandisation de la fête, obsession sécuritaire, privation et maîtrise de l’espace public, pour ne pas dire clientélisme électoral et passe-droit en faveur de lobbys…Cette année 2018 encore, les membres Bilboko Konparsak ont dénoncé le refus du conseil municipal d’autoriser, Plaza del Gas, la projection en plein air d’ »Amets Nagusia », un documentaire qui retrace justement l’histoire de l’Aste Nagusia.
Ainsi, si les fêtes de Bilbao restent exceptionnelles, là-bas plus qu’ailleurs, on sait qu’il n’y a pas de fin de l’histoire et que les luttes d’émancipation sont sans relâche.
1(Pour plus d’infos, la philosophe Elsa Dorlin dans son nouvel essai, Se défendre. Une philosophie de la violence, (La Découverte) sur la tradition d’autodéfense dans les mouvements militants, un mot d’ordre qui s’applique, au-delà du genre féminin, à tout groupe social stigmatisé, persécuté à un moment de l’histoire (esclaves, colonisés, Juifs d’Europe au début du XXe siècle…)).
Encore une fois bravo, Jean Sé, pour cet excellent article riches en information. Je suis un peu moins con en l’ayant lu ! Et je me dis que la commission extra municipale des fêtes de Bayonne devrait s’y déplacer l’an prochain : pour toute la grande semaine !
À vrai dire j’ai été déçu les fêtes de Bayonne était payante cet article, M’a fait ouvrir les yeux sur la façon dont les choses changent vite et sur le faite qu’on privatise Et on capitalise même ce qui appartient au peuple on les fait payer pour circuler dans leur ville et même quand ils sont chez eux.
J’ai vu ça dans visage dun pere de famille qon il allait payer pour 6 personnes Et sur le faite qu’il faut qu’il soit obligé de payer pour rentrer à ses fêtes. Il faut réfléchir autrement et Rendre au peuple ce qui est au peuple.
Merci jean se pour cette article..