Entretien – Pierre Mendiharat Directeur adjoint des opérations, MSF France
Originaire de Senpere, Pierre Mendiharat est responsable des opérations de l’Aquarius au sein de Médecins sans frontière. Il évoque ici les “pouvoirs politiques très puissants” qui s’opposent à cette mission devenue symbolique ainsi que l’influence des xénophobes européens…
Pourquoi l’ONG MSF intervient-elle sur l’Aquarius ?
MSF a des activités dans tous les pays dont sont originaires les exilés qui tentent la traversée de la Méditerranée, sauf l’Erythrée. Nous avons aussi des programmes de soutien aux migrants dans plusieurs pays d’Europe depuis plusieurs années. Nous étions donc particulièrement bien placés pour réaliser ce qui était en train de se jouer en 2015 lorsque, certains mois, plusieurs centaines de personnes s’y noyaient. Il nous a alors semblé, comme à plusieurs autres organisations de la société civile, que la meilleure chose à faire était d’affréter un bateau pour tenter de porter secours à ces naufragés, même si nous n’avions pas d’expérience de ce genre d’opérations. En 2016 nous avons eu trois bateaux concomitamment en mer. Aujourd’hui nous sommes en partenariat avec SOS Méditerranée pour opérer des sauvetages avec l’Aquarius, dernier bateau humanitaire présent au large de la Libye.
Est-ce que les migrants doivent nécessairement être débarqués en Europe ?
Je pense notamment à la Tunisie dont les côtes sont proches des lieux de secours… Nous débarquons les exilés là où le centre de contrôle et de secours en mer de Rome nous dit de le faire – dans la région, c’est uniquement en Libye que nous refuserions de le faire si on nous demandait d’y retourner les rescapés, ce qui n’est jamais arrivés de la part du MRCC de Rome. Un débarquement en Tunisie ne nous a jamais été prescrit non plus –il ne semble pas que la Tunisie y soit favorable. Par ailleurs ce pays n’est pas signataire de la convention de Genève, et les conditions n’y sont pas réunies pour un bonne prise en charge des demandes d’asile.
Mais de l’autre côté l’Europe ferme ses frontières. Est ce que l’issue de la crise est nécessairement de briser ce mur politique?
Les opérations de secours de l’Aquarius ne devraient pas se discuter à l’aune des politiques migratoires de l’Union Européenne. Il s’agit d’empêcher des morts par noyade, nous sommes dans le registre des secours humanitaires d’urgence et du droit maritime international qui a défini que fournir ces secours était une obligation légale de quiconque est en mesure de le faire. Malheureusement il existe une montée de courants politiques xénophobes en Europe qui fait le lit d’une déshumanisation des exilés africains et ces courants n’hésitent pas à préconiser de laisser les gens se noyer si ça peut servir leurs intérêts politiques.
En tant qu’organisation humanitaire vous intervenez dans des pays en guerre ou déchirés. N’est ce pas au fond une situation courante que de devoir composer avec un pouvoir réticent à vos actions ?
Absolument et ici nous faisons face à des pouvoirs politiques très puissants : l’Italie a fait pression sur le Panama pour qu’il nous retire notre pavillon, sans hésiter à mentir à notre propos et à menacer de représailles s’il ne le faisait pas et tous les gouvernements de l’UE cautionnent cette manoeuvre d’état voyou puisqu’aucun n’a pris la parole pour s’en dissocier, sans même parler de nous proposer leur pavillon. Il existe quand même des pouvoirs élus favorables à ces actions de secours, puisque le gouvernement basque finance l’Aita Mari, un chalutier qui va bientôt prendre la mer pour déployer des secours en Méditerranée. J’espère que ce parrainage permettra à l’Aita Mari de résister aux pressions qui ne vont pas manquer de s’abattre sur lui.
Quelle est la particularité de cette crise?
C’est une crise extrêmement médiatique et l’Aquarius est devenu le symbole positif ou négatif de beaucoup de forces politiques ou citoyennes en Europe. Je suis frappé par l’irrationalité des justifications des attaques contre l’Aquarius, car le nombre de personnes à secourir en Méditerranée est complètement marginal par rapport aux flux migratoires en Europe. Pourtant, les réactionnaires et les xénophobes européens, et même bon nombre de partis conservateurs normalement plus modérés, comme Les Républicains ou la République en Marche en France, préfèrent quand même que ces personnes se noient, ou restent aux mains de leurs tortionnaires en Libye, plutôt qu’elles puissent arriver en Europe. C’est le choix qu’elles expriment quand elles soutiennent les garde-côtes Libyens et le gouvernement de Salvini plutôt que les organisations de secours en mer.