Bizi! pense que le Département 64 n’est ni neutre ni loyal dans l’affaire Moriba Koivogui. Voici la lettre détaillée et argumentée envoyée par les altermondialistes basques à M. Eric Moratille, Directeur Général des Services du Département des Pyrénées-Atlantiques.
Objet : votre courrier en date du 28 janvier 2019 relatif à la situation de M. Moriba Koivogui
Monsieur,
Nous avons bien reçu votre réponse à notre courrier du 11 janvier et nous vous en remercions. Nous déplorons seulement qu’il ait pour cela fallu que nous adressions un communiqué à la presse disant que nous n’avions aucune réponse de votre part. Tout comme nous n’avons été reçus par vos services qu’en organisant un rassemblement public devant l’Hôtel du Département, et non pas à la suite de nos demandes privées de rendez-vous. Nous aurions préféré pouvoir réussir à discuter avec vous sans en passer par le rapport de force et les interpellations publiques.
Vous nous dites dans votre courrier que nous rejetons « les conclusions et décisions judiciaires et administratives dans ce dossier« . C’est faux. Nous avons pris acte de la décision du Tribunal correctionnel de Bayonne qui le 28 juin 2018 a présumé mineurs 2 enfants guinéens, dont Moriba Koivogui, et qui n’a fait l’objet d’aucun appel. Alors que vous même n’avez pas, suite à cette décision de justice, remis sous votre protection ces 2 enfants, qui avaient été placés à l’ASE 64 avant votre plainte du 21 février. Nous en concluons que c’est plutôt vous qui prenez les décisions judiciaires à la légère. Quant à la décision de la juge des enfants concernant Moriba Koivogui, elle est contestée et fait l’objet d’un appel.
Vous écrivez que « M. Koivogui a fait l’objet de vérifications dans le cadre des lois et textes réglementaires qui s’imposent en la matière tant des services de l’aide sociale à l’enfance que des services de police et de justice« . Justement non, et nous nous demandons, au vu de votre affirmation, si vous connaissez ce dossier. Moriba Koivogui a été l’objet d’une plainte de vos services, et incarcéré suite à cette plainte, sans qu’aucune évaluation de sa situation n’ait été faite ! (cas unique en France, il nous semble). Puis la juge des enfants vous a demandé de l’évaluer, alors que vous étiez devenu partie prenante de l’affaire : vous aviez intérêt à ce que Moriba Koivogui soit déclaré majeur. S’il était reconnu mineur, cela signifiait que vous aviez commis une faute grave en provoquant, sans avoir procédé à aucune évaluation préalable, son incarcération dans une prison (de surcroît une prison pour majeurs) en prétendant qu’il était majeur et en le poursuivant donc pour escroquerie. Il y avait forcément là un conflit d’intérêts.
Vous avez demandé à Isard COS, désigné par l’ordonnance de la juge des enfants, de réaliser cette évaluation (de quelqu’un qui n’était déjà plus un primo-arrivant, cas habituel des personnes évaluées par Isard COS), alors même qu’on était là dans le cadre d’une procédure judiciaire. Or, comme l’a avoué le directeur des COS lui-même (cf Mediabask et Sud-Ouest des 8 et 9 janvier 2019) lors de la venue de Bizi dans les locaux d’Isard COS le 7 janvier 2019, cet organisme n’est pas habilité à faire des expertises judiciaires ! Enfin, comme nous l’avons démontré de manière détaillée et argumentée (cf notre dossier du 3 janvier 2019), le rapport d’évaluation de Moriba Koivogui réalisé par Isard COS a clairement violé les modalités de l’évaluation des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille définies par l’arrêté interministériel du 17 novembre 2016. Nous attendons toujours vos explications sur ce grave dysfonctionnement. Au passage, nous vous signalons que cette évaluation ne respecte pas non plus les termes de la convention 2016-2018 établie entre le Département des Pyrénées-Atlantiques et le COS concernant le Service d’accueil et d’évaluation des mineurs isolés étrangers.
Vous nous appelez à la « raison et à la modération » dans cette affaire. Services et élus du Département 64 invoquent, dans vos courriers et dans la presse locale, la situation générale de l’accueil des mineurs non accompagnés pour relativiser le sort réservé à Moriba Koivogui. Mais Moriba Koivogui n’est pas un numéro dans une masse de « migrant-e-s anonymes ». Il est, comme chacun d’entre elles et eux, une personne humaine, un adolescent scolarisé à Bayonne, un orphelin ayant besoin d’être protégé, un enfant qui a été injustement incarcéré dans une prison pour majeurs, suite à une plainte de vos services. Et vous devriez le considérer comme tel, et pas comme un dossier dans une pile (rappelons ici que depuis sa sortie de prison il y a bientôt un an, aucune personne de vos services ne s’est donné la peine de le contacter, de le rencontrer, de discuter avec lui, pour le connaître directement, pour savoir comment il vivait cette épreuve dans laquelle vous l’avez plongé).
Lors de notre entretien avec votre directeur adjoint ce jeudi 31 janvier, celui-ci s’est retranché derrière la justice en nous disant en substance : « Le Département est neutre et bienveillant dans cette affaire, nous attendons juste la décision de la justice et nous nous y conformerons. » C’est le même discours que vous tenez auprès de la presse locale. Or, c’est absolument contraire à la réalité des faits.
Vous avez porté plainte le 21/02/2018 contre Moriba Koivogui pour escroquerie en contestant sa minorité, et vous avez même estimé un préjudice de 1000 euros !
Vous avez adressé le 19/10/2018 à la juge des enfants une lettre à charge où vous produisez des éléments jamais portés à la connaissance de Moriba Koivogui. Par exemple, une capture d’écran Facebook où il appelle une dame Maman, ce qui vous fait contester son statut d’orphelin. Si vous aviez eu la loyauté et la bienveillance minimale consistant à donner connaissance de cet élément à Moriba Koivogui, il vous aurait expliqué sans peine, que cette dame qu’il appelle Maman est en fait Gbolou Koivogui, sœur de son père, qui l’a hébergé et élevé plusieurs années après le décès de son père, ce qu’il a d’ailleurs expliqué lors de son évaluation à Isard COS. Les avis de décès produits postérieurement prouvent hélas que Moriba est bien orphelin de père et de mère.
Vous transmettez à la juge des enfants un mail que vous auriez reçu de la PAF et où il serait dit que Moriba Koivogui « a par ailleurs reconnu être âgé de 22 ans« . Cet élément capital (dans une affaire où la juge doit trancher sur la majorité ou la minorité de la personne jugée) n’est pas versé au dossier ni porté à la connaissance de Maître Faget, l’avocat de Moriba Koivogui. (L’année de naissance de la mère de Moriba Koivogui, dont on prend connaissance dans son avis de décès, soit 1988, démontre l’impossibilité d’un tel aveu. Si Moriba Koivogui avait 22 ans, sa mère aurait accouché à l’âge de 7 ans ! D’ailleurs la lecture de l’intégralité des procès-verbaux de la PAF concernant les interrogatoires de Moriba montre qu’il a toujours affirmé être mineur, né en 2001, et jamais n’apparaît un tel aveu de majorité). Vous refusez de vous expliquer sur ce mystérieux mail qui alimente les pires soupçons de manipulation. Nous vous demandons à nouveau, par ce courrier, de communiquer à Maître Faget, avocat de Moriba Koivogui, ce mail de la PAF en votre possession, que vous avez transmis à la juge des enfants ayant statué sur Moriba Koivogui, et qui contiendrait un élément capital sur cette affaire. Votre refus de le faire nous paraît gravissime, et incite à penser que quelque chose ne tourne décidément pas rond dans cette affaire.
Vous mandatez une avocate en Cour d’appel pour contester la minorité de Moriba Koivogui, ne vous contentant donc pas « d’attendre avec neutralité et bienveillance » que la justice rende sa décision. Non, vous êtes bien dans une position belligérante dans cette procédure. Belligérante et déloyale. En effet, la défense de Moriba Koivogui transmet avant l’audience de la chambre des mineurs de la Cour d’Appel ses conclusions écrites à l’avocate du Département 64, pour qu’elle ait connaissance de ses arguments, dans le respect du contradictoire. Votre avocate lui dit alors qu’elle n’a pas rédigé de conclusions écrites. Mais lors de l’audience, elle renvoie la Cour au courrier que lui a adressé le Département 64, dans lequel il explique sa position ! On apprend donc au moment de l’audience que le Département a développé ses arguments par écrit à la Cour, sans en donner connaissance à la défense de Moriba Koivogui, qui n’a donc pas pu ni les entendre ni y répondre. Pire, alors que Maître Faget a écrit après l’audience à l’avocate du Département 64 pour lui demander qu’elle lui communique ce courrier valant comme conclusions, elle ne lui répond pas et ne le lui transmet pas. Où est l’égalité des armes qui est pourtant une exigence de la Convention européenne des droits de l’homme pour qu’on soit en présence d’un procès équitable ? Et où est le respect du contradictoire ?
Vous conviendrez qu’au regard de cette succession de faits matériels, nous ayons du mal à croire à votre neutralité, voire même à votre bonne foi dans cette affaire. Nous ne demandons qu’à en être convaincus, en lisant ou écoutant vos réponses à nos questions et vos explications quant à nos affirmations, qui sont précises et factuelles. Votre silence, vos contradictions et vos contre-vérités ne peuvent qu’alimenter notre suspicion et un doute plus général sur la manière dont vous gérez le sort des mineurs non accompagnés dans les Pyrénées-Atlantiques. Mais nous sommes têtus, comme le sont les Basques en général, et les faits en particulier. Et nous continuerons nos actions jusqu’à connaître la vérité et le fin mot de cette affaire.
Je vous prie de recevoir l’expression de mes salutations les plus respectueuses,
Pour l’association Bizi, Txetx Etcheverry
PS : L’adresse (Centre d’accueil Autoport, Rue de l’Autoport 64 700 Hendaye) à laquelle vous avez envoyé votre courrier n’est pas, et n’a jamais été celle de Bizi, que nous avions pourtant indiquée dans notre courrier avec accusé de réception (20, rue des Cordeliers 64 100 Bayonne). Il s’agit juste d’une erreur administrative de la part de vos services, comme on en retrouve si souvent dans les documents officiels guinéens, ce qui n’en fait pas forcément des faux, tout comme votre lettre est parfaitement authentique, nous n’en doutons pas.