Cet été, Alda vous offre quelques unes des bonnes feuilles du livre Beti Bizi ! Climat d’urgence en vente à 10 eusko dans toutes les bonnes librairies. Le livre fait 300 pages, dont une moitié faite des photos et affiches des actions et campagnes menées par le mouvement basque oeuvrant sur les fronts de l’urgence climatique et de la justice sociale. Il révèle de nombreux aspects de la méthode spécifique qui a permis le travail intense réalisé par Bizi cette dernière décennie, et décrit plusieurs épisodes clefs de son histoire.
De 2013 à 2015, les méthodes et le logiciel de Bizi, ainsi que plusieurs de ses initiatives vont essaimer partout en France. C’est étonnant pour un petit groupe (220 adhérent·e·s début 2013), qui communique de manière bilingue français-euskara et dont la pratique très spécifique est ancrée dans un territoire basque à forte identité, peuplé d’à peine 300.000 personnes et situé tout au bout de l’Hexagone.(…)
C’est bien sûr le mouvement Alternatiba qui, imaginé et lancé par Bizi, va se développer partout en France mais également dans d’autres pays du Monde tel le Sénégal ou Haïti. Mais ce sont bien d’autres dynamiques que le mouvement basque suscitera, impulsera, cofondera ou influencera, comme les Faucheurs de chaises, ANV-COP21, les études sur les emplois climatiques, le pacte de transition municipale… Le plus important est peut-être l’essaimage de notre logiciel avec sa dimension radicalo-pragmatique d’une part et son articulation climat / justice sociale d’autre part. (…)
La fusée à trois étages
Nous décidons alors de mettre des moyens importants pour organiser un Alternatiba de grande ampleur. Il ne s’agit pas juste d’en faire un événement local, ici à Bayonne ou en Pays Basque nord. Nous voulons qu’il devienne le premier niveau “d’une fusée à 3 étages” destinée à développer une nouvelle génération climat en France, et ailleurs si c’était possible.
La stratégie que nous concevons est claire et nette. Nous allons organiser à Bayonne un premier village des alternatives au changement climatique intitulé Alternatiba (= l’alternative, en basque) et nous devons le réussir pour prouver qu’il est possible de mobiliser massivement pour le climat. (…) C’est le premier étage de la fusée.(…) Le Jour J, la réussite est totale. 580 bénévoles ont organisé un village des alternatives au changement climatique débordant d’énergie et réunissant 12 000 personnes. Beaucoup ne sont pas du tout militant·e·s, ni même sensibilisé·e·s auparavant aux questions d’écologie et de climat. L’impact résonne très loin et de nombreux déclics ont lieu dans beaucoup de milieux et de territoires. On peut à nouveau mobiliser massivement sur le climat.
Nous passons alors à la construction du second étage de la fusée. Pas le temps de se reposer, il faut battre le fer tant qu’il est chaud et enchaîner immédiatement. Nous savons que nous allons devoir soulever des montagnes et nous y sommes prêt·e·s. Nous rédigeons un kit méthodologique qui explique dans le détail la méthode et le processus que nous avons suivis pour réussir cet événement ; et notamment pour y impliquer des centaines de bénévoles qui pour beaucoup ont vécu là leur première expérience militante. Nous expliquons dans ce kit le logiciel et le fonctionnement de Bizi. Cela contribuera fortement à l’essaimage de notre méthode au cours des années qui suivent. Avec Kanaldude, une télévision participative basque, nous réalisons une vidéo montrant et expliquant Alternatiba Bayonne. Nous organisons à Bayonne un week-end de formation à l’organisation d’un Alternatiba, auquel vont assister 80 personnes venues des 4 coins de l’Hexagone. Nous continuerons à donner de telles formations pendant toute l’année. Des premiers Alternatiba s’organisent dès 2014 à Bordeaux, Lille, Nantes, Europa City en Ile-de-France… D’autres sont en préparation pour 2015. Nous faisons un travail de suivi de tous ces Alternatiba. En février 2014, nous lançons lors d’une réunion à Nantes une coordination “européenne” de ces Alternatiba en cours d’organisation. Elle se réunira désormais tous les trois mois dans une ville différente.
Ce seront au total pas moins de 175 Alternatiba qui s’organiseront comme autant de processus participatifs. Certains vont réunir 1.000 ou 2000 personnes, d’autres vont attirer 20.000, 30.000 voire 50.000 personnes. C’est donc un mouvement qui touche une masse de personnes et qui a formé, territoire par territoire, des centaines ou des milliers de bénévoles autour de l’organisation de ce processus. (…)
En parallèle à cette multiplication des Alternatiba, nous commençons à préparer, à partir du Pays Basque, un outil supplémentaire pour compléter et élargir le second étage de la fusée. C’est le Tour Alternatiba, un nouveau pari un peu fou. Il s’agit d’organiser une caravane militante qui partira de Bayonne le 5 juin 2015 pour traverser 180 territoires différents en 4 mois avant d’arriver à Paris, ville accueillant la COP21. Elle le fera notamment avec des vélos 3 et 4 places, symboles de la transition écologique et de la solidarité, de l’effort collectif. Pendant une année entière, nous suscitons la création d’équipes organisatrices des 180 étapes de ce Tour Alternatiba 2015, la plupart du temps dans des villes ou des territoires où nous ne connaissons personne, où nous n’avons aucun contact militant, tout cela à partir des locaux bayonnais de Bizi. Peu à peu se mettent partout en place de nouvelles équipes Alternatiba. Leur mission est d’organiser l’étape : une conférence publique quotidienne, des réunions avec les élus et associations locales, l’accueil du Tour, une vélorution sur les 5 derniers km de l’étape, parfois un mini village associatif ou une fête populaire. Il faut aussi éditer les affiches et tracts pour mobiliser la population locale, trouver l’hébergement chez l’habitant de la douzaine ou quinzaine de militant ·e·s participant au Tour, et leur préparer le repas ; cela le midi et le soir.
Et pendant quatre mois, nous allons parler de l’enjeu et du calendrier de la bataille climatique, dans 180 territoires différents, avec des milliers et des milliers de personnes, de militant·e·s associatifs, syndicaux ou politiques, d’élu·e·s, de journalistes locaux. Beaucoup n’avaient pas du tout conscience du niveau réel de gravité et d’urgence des problématiques liées au changement climatique, même si la plupart en avaient déjà entendu parler dans leur entourage ou dans les médias. C’est souvent une révélation, parfois un vrai choc. Nous débattons du caractère de “mère de toutes les batailles” propre au combat climatique, des stratégies à mettre en place en face. C’est un travail énorme de labour, de semence, de formation qui est réalisé cette année-là (et qui sera réédité en 2018) au plus prés des gens et des territoires.
La COP21
De fait, Alternatiba et ANV-COP21, malgré leur jeunesse, vont être parmi les principales forces de la mobilisation citoyenne durant la COP 21. Celle-ci se déroule dans un contexte dramatique et tendu du fait des attentats du 13 novembre 2015 qui frappent Paris 2 semaines avant son ouverture et de l’État d’urgence alors déclaré en France. Cet État d’urgence va être utilisé pour interdire nombre de manifestations prévues, et menacera jusqu’au dernier moment l’organisation du Village mondial des alternatives ainsi que le rassemblement prévu le dernier jour de la COP21, le samedi 12 décembre. Des mobilisations s’organisent malgré tout, dans un bras de fer permanent avec le gouvernement. Malgré ces interdictions, de nombreuses actions de désobéissance civile sont menées à bien pendant les 15 jours de la COP. Les militant·e·s font preuve d’une détermination et d’un engagement à toute épreuve, et la période est intense et extrêmement formatrice. Alternatiba lance à cette époque des slogans qui vont marquer le mouvement climat pendant les années à venir comme “Et un, et deux, et trois degrés, c’est un crime contre l’Humanité” ou “On est plus chauds, plus chauds, plus chauds que le climat !”. Le 12/12, quelques organisations, dont Alternatiba et ANVCOP21, dénotent dans le tonnerre d’applaudissements qui acclame l’Accord de Paris sur le climat. Bien sûr, il est positif que tous les États du monde aient adopté un accord donnant pour objectif de contenir le réchauffement climatique en dessous de +2°C, voire +1,5°C à la fin du siècle. Mais le texte est vide d’engagements contraignants, et ceux pris en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre par l’ensemble des États du monde en cette année 2015 mènent tout droit à un réchauffement de +3°C dans le meilleur des cas. En résumé, ils mènent à un crime climatique contre l’Humanité.
Les 20 et 21 février 2016, 175 délégué·e·s Alternatiba se réunissent à Bordeaux et inscrivent la dynamique Alternatiba dans la durée. Cette réunion décisive définit les orientations générales, le fonctionnement et l’organigramme du mouvement. Alternatiba marchera sur deux jambes : celle des alternatives et des propositions d’une part, et celle de la non-coopération et de l’action non-violente d’autre part. Se met alors en place une nouvelle équipe d’animation d’Alternatiba composée d’une soixantaine de personnes, majoritairement jeunes ou néo-militant·e·s, à laquelle Bizi cède définitivement la place, retournant à un statut de simple groupe local.
Le sommet de Pau
Quatre mois ne se sont pas écoulés depuis l’adoption de l’Accord de Paris, que les principales compagnies pétrolières et gazières privées (Shell, Exon, Repsol, BP…) tiennent un sommet à Pau à l’invitation de Total. L’objectif est clair : développer les techniques et procédés pour forer en mers profondes et ultra profondes afin de trouver de nouvelles réserves de gaz et de pétrole et de les exploiter. Pourtant, respecter les objectifs issus de la COP21 et rester en dessous de +2°C suppose de ne pas exploiter la majorité des réserves d’énergies fossiles actuellement connues, énergies dont la combustion est la première source d’émissions de gaz à effet de serre. Pourquoi dès lors travailler à en trouver de nouvelles ? Les multinationales ignorent la COP21 et considèrent que les objectifs de l’Accord de Paris n’engagent que ceux et celles qui y croient. Ce n’est plus à +3°C qu’elles sont prêtes à condamner l’humanité mais à +9°C, rendant impossible la vie humaine sur Terre. ANV-COP21 décide de tout faire pour bloquer ce sommet, de démontrer qu’il est inacceptable et qu’il ne peut en aucun cas se dérouler dans des conditions de normalité.
Proximité géographique oblige, le blocage du sommet va s’organiser à partir des locaux de Bizi à Bayonne, puis du Village d’Emmaüs Lescar. Pendant 3 jours, des centaines d’activistes harcèlent le sommet et montrent tout le potentiel de l’action non-violente déterminée par des die-ins, chaînes humaines, actions coup de poing, charges spectaculaires et blocages à répétition. Le sommet des pétroliers à Pau est la véritable conclusion de la COP21 et préfigure le combat qui reste à mener pour pouvoir véritablement rester en dessous de +2°C ou de +1,5°C.